Une récession historique (2ème partie) : les « green shoots »

par Philippe d’Arvisenet, directeur de la recherche économique de BNP Paribas

L’économie mondiale traverse la récession la plus profonde et la plus longue qui ait été observée depuis la Seconde Guerre Mondiale. Cela tient à la fois à son caractère synchrone mais aussi au fait qu’elle s’accompagne d’une crise financière. Fondamentalement, elle est la conséquence du dénouement des déséquilibres globaux qui se sont accumulés depuis une quinzaine d’années. Elle touche, de ce fait, aussi bien les pays présentant un fort déficit des paiements, devenu difficile à financer et qui doit donc se contracter, que les pays à fort excédent affectés par la chute de leurs exportations.

Les indicateurs conjoncturels1 ont donné, depuis quelques mois, des signes de modération du rythme de contraction de l’activité (les « green shoots »). Une « croissance positive » devrait réapparaître à horizon des prochains trimestres. Plusieurs facteurs jouent dans ce sens. Des vents de face s’essoufflent (déstockage, stabilisation des ventes de maisons suite à la chute des prix et à la stimulation du refinancement hypothécaire …). Avec l’action des pouvoirs publics et des autorités monétaires (apports de capital, injections de liquidité, extension des garanties, achats d’actifs illiquides…), les conditions financières se détendent quelque peu après une période de tensions extrêmes (rétrécissement des spreads sur les marchés interbancaires et dans une certaine mesure des spreads de crédit, remontée des Bourses…).

Pour autant, il est difficile d’envisager pour les toutes prochaines années le retour à une croissance dépassant (sauf ponctuellement) le potentiel (bien que devenu plus bas qu’au milieu des années 2000 : guère plus de 2% aux Etats-Unis, ou de 1% en zone euro).

D’abord, la demande des ménages ne sera plus soutenue par une nouvelle vague d’endettement, la priorité est à la correction des bilans. Ensuite, les effets des politiques de stimulation budgétaire vont s’effriter, sauf à faire l’hypothèse d’une augmentation récurrente des déficits ! Enfin, les perspectives de faible progression de la demande augurent mal d’une vive reprise de l’investissement.

Dans ces conditions, à un rythme certes moins marqué que dans les trimestres passés, la sous-utilisation des ressources (output gap, chômage) va continuer à s’amplifier, ce qui va peser négativement sur l’inflation sous-jacente (hors alimentation et énergie). L’inflation totale est actuellement tirée à la baisse par les effets de base liés à la poussée des cours du pétrole observée jusqu’à l’été 2008. Cela cessera naturellement à l’automne. La décrue de l’inflation sous-jacente, une variable décalée de l’inflation totale, prendra alors le relais. Celle-ci est restée, jusqu’à présent, relativement inerte, notamment aux Etats-Unis, mais cela en raison d’éléments bien particuliers, notamment la fiscalité du tabac. Hormis de tels effets, l’orientation est clairement à la baisse (ainsi le prix des services médicaux progresse au rythme de 2,8% en glissement annuel en mars 2009 contre 3,7% en 2008, le coût du logement –loyers- augmente de 1,4% contre 3,2% en 2008). Le profil d’évolution pousse dans le même sens. C’est ainsi que sous l’effet de la détérioration des conditions du marché du travail, la hausse des rémunérations est en nette modération, les salaires hebdomadaires gagnent 1,3% en glissement annuel en avril 2009 contre 3,8% il y a un an, le coût du travail (employment cost index) progresse de 1,9% en glissement annuel et de 0,8% en rythme annualisé au T1 2009 contre 3,2% en ga en mars 2008. La chute de l’activité au quatrième trimestre 2008 s’était accompagnée d’un recul des gains de productivité du travail (-0,6% au T4 après +2,2% au T3) entraînant une forte hausse des coûts salariaux unitaires (5,7% après 3,5% au T3).

Le recul du PIB, d’ampleur comparable au premier trimestre 2009, n’a pas eu les mêmes effets, la productivité a augmenté de 0,8% et la hausse des coûts unitaires du travail est revenue à 3,3%, en liaison avec l’ajustement massif des effectifs. L’amélioration de la conjoncture jouera naturellement en faveur de la poursuite du tassement de la hausse des coûts unitaires, un élément essentiel dans la formation de l’inflation sous-jacente.

Pour l’heure, l’inflation n’est aucunement un problème d’actualité.

L’important est bien plutôt de repousser les tensions déflationnistes. Il faut pour cela éviter le gonflement de taux réels positifs. Avec des taux nominaux quasi nuls, cela implique l’ancrage solide des anticipations d’inflation en territoire positif (on sait, en outre, que celles-ci constituent un facteur explicatif essentiel de l’inflation. Risquer un peu plus d’inflation est sans doute le prix à payer pour éviter la déflation, tout comme risquer une perte d’activité est le prix à payer pour repousser le risque d’inflation).

Le gonflement de la base monétaire (la monnaie banque centrale), voire son explosion aux Etats-Unis, n’a pas pour conséquence une accélération des agrégats monétaires larges plus forte qu’à l’orée des reprises qui ont suivi les sorties des plus graves récessions du passé (M2 a progressé de 12,5% en 1975 et de 13,3% en 1976, de 11,3% en 1983 et de 8,6% en 1984). En fait, le supplément de base monétaire, créé depuis l’automne dernier, est conservé auprès des banques centrales.

Cela n’évacue pas, bien entendu, le risque avec la normalisation des conditions conjoncturelles de voir la liquidité venir gonfler le prix de certains actifs (y compris le pétrole). Le problème posé est alors celui des stratégies de reprise de liquidité (l’exit). La même question se pose en matière de consolidation des finances publiques. Ce dernier point fera l’objet d’un prochain article.

La récession la plus étendue, la plus forte et la plus longue depuis la Seconde Guerre Mondiale

Comme chacun sait, la récession est globale et s’accompagne d’une crise financière, c’est la plus profonde et la plus longue qui ait été observée depuis la Seconde Guerre Mondiale. Seules quelques régions du monde échappent à un recul du PIB en 2009, Chine, Inde, pays du Moyen-Orient non exportateurs de pétrole, Afrique.

Accompagnée d’une crise financière et de nature globale, la récession actuelle a tous les aspects qui la rendent à la fois plus profonde, et plus longue qu’une récession classique. Il faudra aussi plus de temps pour que l’activité revienne au niveau observé avant le déclenchement de la récession, ainsi que l’a montré une étude récente du FMI2 portant sur 122 épisodes de récessions dont 15 s’accompagnaient d’une crise financière. Les récessions définies comme synchrones sont celles où au moins 10 des 21 pays avancés connaissent simultanément une récession.

La récession affecte tout autant les pays caractérisés par un excédent de leurs paiements extérieurs que ceux qui connaissent un déficit. En fait, elle est liée à un processus de dénouement des déséquilibres globaux. La crise des subprime et de la titrisation n’est pas seulement la conséquence de défaillances dans les domaines de la réglementation et de la supervision financières, elle provient du creusement des déséquilibres qui est un aspect de la globalisation financière. Le déficit américain était facilement financé, les entrées de capitaux ont exercé une pression baissière sur les taux d’intérêt. Dans le même temps, la politique monétaire est restée excessivement accommodante, avec la mise en œuvre de l’inflation targeting dans un contexte où la montée en puissance des importations provenant de pays à bas coûts et l’intensification de la concurrence sur les marchés des biens et du travail facilitaient le contrôle de l’inflation (opportunistic monetary policy) et sans que les prix d’actifs ne soient pris en compte tant que ceux-ci ne se traduisaient pas, via l’effet de richesse, sur le taux d’inflation (pas de politique « leaning against the wind »)3 .

Les pays à fort déficit courant n’ont plus été en mesure, à partir de la fin de l’été dernier, de maintenir leur recours au financement extérieur avec la vague d’exacerbation de l’aversion au risque et à la nécessité de réaliser des actifs afin de couvrir des pertes d’où la vague de rapatriements de capitaux.

Dans de telles circonstances, la seule chose qui pouvait se produire, et s’est produite, était une réduction des déficits externes, ce qui impliquait une contraction des importations qui ne pouvait se matérialiser qu’au prix d’une baisse de la demande intérieure. Ceci ne pouvait naturellement se concrétiser sans une baisse des exportations des pays à excédent courant, lesquels ont subi une chute de croissance particulièrement marquée dans le cas de pays dont la croissance était excessivement liée au commerce extérieur comme l’Allemagne ou le Japon, par exemple. Aussi bien les pays à déficit que les pays à excédent ont vu leurs soldes extérieurs se contracter de façon très significative.

La demande interne des pays déficitaires s’est fortement repliée alors que, simultanément, la contribution des échanges extérieurs à la croissance des pays excédentaires (Chine exceptée) a fortement reculé.

La résorption des déséquilibres est aujourd’hui en bonne voie, on s’approche de niveaux soutenables des déficits externes. Ainsi, aux Etats-Unis, le déficit, qui était de 5 points de PIB début 2008, est tombé à 2,3 points au premier trimestre 2009.

Dans le même temps, l’excédent japonais qui atteignait 5,2 points de PIB mi-2007 est tombé à 1,4 point au premier trimestre 2009. Pour autant, le retour à des niveaux soutenables des soldes extérieurs ne va pas automatiquement interrompre les pressions récessives. Il faut, en effet, compter avec la dynamique interne liée aux effets de l’output gap, du chômage, des revenus sur la conjoncture. La chute des exportations japonaises, qui avaient été stimulées par le faible niveau du yen, a entraîné un effondrement de l’activité et des perspectives de croissance qui vont peser sur la demande interne, l’investissement et les importations. Aux Etats-Unis, la chute de l’investissement est de nature, par son ampleur, à compresser le stock de capital, le retour à la normale de l’investissement se traduira par un regonflement du déficit externe. 

Le maintien des déséquilibres à un niveau durablement soutenable suppose un rééquilibrage de l’équation épargne-investissement dans les pays excédentaires, ce qui nécessite des transformations structurelles lourdes comme, par exemple, la mise en place d’un système de « welfare » en Chine qui soit de nature à réduire le taux d’épargne ou encore la réforme du système des retraites et la dérégulation du système de santé au Japon.

Où en est-on ? Le pire est-il derrière nous ?

Le comportement récent des indicateurs conjoncturels a provoqué dans les dernières semaines un regain d’optimisme, les marchés se mettant en chasse aux bonnes nouvelles, les fameux « green shoots ». Pour autant, plusieurs facteurs fondamentaux nous portent à considérer que la reprise attendue l’an prochain sera, au mieux, suivie d’une période de croissance molle.

Aux Etats-Unis, l’indice ISM manufacturier est monté à 40,1 en avril (35,8 en février) et l’ISM non manufacturier à 43,7 (41,6 en février marquant une interruption de la dégradation). La baisse des ventes de maisons neuves s’est modérée (-30,6% en glissement annuel contre -44,6 deux mois plus tôt) et la confiance des ménages s’est redressée à 39,2 (indice du Conference Board) contre 25,3 en février, sous l’effet d’une amélioration de sa composante anticipations. Les indicateurs d’activité restent néanmoins en zone de contraction. Simplement, le recul du PIB attendu au deuxième trimestre 2009 sera en net retrait par rapport à celui observé dans les deux derniers trimestres. Le profil des indicateurs relatifs à la zone euro est comparable avec un PMI manufacturier à 36,8 (33,5 en février) et un PMI non manufacturier à 43,8 (39,2 en février).

Cette relative embellie a conduit nombre d’observateurs à se lancer dans une chasse aux bonnes nouvelles et à des interprétations quelque peu excessives. Il a, par exemple, suffi que la baisse de l’emploi aux Etats-Unis passe de 699 000 en mars à 539 000 en avril pour conclure à une amélioration des conditions du marché du travail en ignorant la poussée du taux de chômage de 0,8 point en deux mois à 8,9% ou la révision en hausse des pertes d’emploi des mois précédents !

Il est certain, cependant, que plusieurs vents de face se modèrent. La chute du PIB au premier trimestre (-6,1% en termes annualisés après -6,3% au T4 2008) est venue, pour une bonne part, d’un ajustement violent des stocks qui a amputé la croissance de 2,8 points. Une fois achevée la correction de l’excès de stocks, un élément majeur de contraction de l’activité aura disparu. Bien plus, il suffit d’un ralentissement du déstockage pour que la contribution des stocks à l’activité devienne positive.

La désinflation (l’indice des prix à la consommation est en recul de 0,7% en glissement annuel en avril) gonfle le pouvoir d’achat des revenus individuels malgré le ralentissement de leur progression nominale (les rémunérations augmentaient de 4,1% au T1 2009 après respectivement 5,2 et 5,7% les trimestres précédents).

Le secteur de l’immobilier résidentiel, compte tenu du redressement de la capacité à accéder à la propriété consécutive à la chute des prix, donne des signes de stabilisation.

Les mises en chantier ont chuté à un tel niveau que l’effet de la resolvabilisation des ménages et le facteur démographique se conjugueront pour cesser de faire de l’investissement résidentiel une composante négative de la demande finale. On notera que la chute des ventes de maisons ralentit (-30,6% en mars contre -45,5% en janvier) et que les stocks reculent (10,7 mois de vente en mars contre 12,5 en janvier pour les maisons neuves).

Si la baisse des taux d’intérêt n’apparaît pas de nature à relancer une vague d’endettement, elle conduit en revanche à alléger la charge de la dette des ménages endettés à taux variables. La baisse du spread des mortgages, consécutive à l’achat de MBS par la Fed est par ailleurs une incitation pour les ménages endettés à taux fixe à se refinancer, ce qui a le même effet que la baisse des taux courts. Le processus est, par ailleurs, stimulé par le dispositif du Trésor « making home affordable » adopté en février dernier, visant à encourager le refinancement des prêts standards (garantis ou détenus par Fannie Mae et Freddie Mac), même pour ceux dont la dette dépasse la valeur des biens immobiliers et assorti d’un encouragement des créanciers à modifier les crédits risqués (à condition que le service de leur endettement ne dépasse pas 38% de leur revenu). Enfin, sans qu’il soit besoin d’y insister, il faut tenir compte des effets des politiques de stimulation budgétaire.

Au total, cet ensemble de facteurs auxquels il faudrait ajouter la reprise en Asie émergente, sous l’effet des mesures de soutien mises en œuvre en Chine, devrait permettre de renouer avec une croissance légèrement positive l’an prochain.

Plusieurs facteurs, en effet, conduisent à repousser l’idée d’une croissance durablement soutenue. D’abord le jeu des variables retardées du cycle, l’emploi et le chômage en premier lieu. La détérioration des marchés du travail se poursuivra tant que la croissance restera inférieure au potentiel. Or, compte tenu de l’impossibilité de tabler sur une nouvelle poussée de l’endettement venant alimenter la demande dans un contexte de consolidation du bilan des ménages et d’un effet de richesse qui reste négatif (les prix de l’immobilier baissent, ce qui ôte toute possibilité d’extraire de la liquidité à partir de la richesse immobilière, la correction du cours des actions est loin d’avoir effacé l’effet de leur chute passée), la demande restera entièrement dépendante de revenus affectés par un marché du travail qui restera déprimé. L’output gap négatif (voir infra) continuera à peser sur l’investissement, tandis que la récession poussera les défauts, là aussi une variable retardée du cycle, à la hausse.

Enfin, au-delà de la question de leur efficacité (niveau du multiplicateur dans un contexte où les ménages rétablissent leur épargne à la fois dans le souci de redresser leur situation financière mais éventuellement aussi sous l’effet d’anticipation de hausse des prélèvements futurs), les mesures de stimulation budgétaires sont appelées à s’essouffler.

Pour qu’il en aille autrement, la taille des stimuli devrait augmenter de façon récurrente, ce qui n’est que difficilement envisageable. Ainsi, d’après les estimations du FMI, les déficits structurels qui correspondent à l’effet des mesures discrétionnaires, passés de 1,4 point de PIB en 2007 à 4,6 points en 2009 aux Etats-Unis, plafonneraient à 4,8 points en 2008. Pour ce qui concerne la zone euro, le déficit structurel, passé de 1,6 point en 2007 à 3 points en 2009, plafonnerait à ce niveau l’an prochain.

Inflation et déflation ?

Les marchés craignent curieusement, simultanément, l’inflation et la déflation. On étudie d’abord les facteurs déflationnistes. La gravité de la récession conduit à un creusement desoutput gap qui vont atteindre les records de l’après-guerre. Même avec la reprise attendue l’an prochain, la croissance, freinée par la consolidation de la situation financière des entreprises, restera très en deçà du potentiel, l’output gap approchera les 10% aux Etats-Unis, en Europe, au Japon… Le taux de chômage dépassera 10% de part et d’autre de l’Atlantique. Dans ces conditions, les relations de Phillips, qui relient l’écart entre taux de chômage observé et NAIRU (non accelerating inflation rate of unemployment) à la variation de l’inflation sous-jacente, indiquent que cette dernière risque fort d’entrer en territoire négatif dans le courant 2010. L’expérience montre que les reprises, qui conduisent naturellement à une accélération des gains de productivité, ne s’accompagnent pas de tensions inflationnistes. Si l’on prend les quatre dernières récessions américaines (1973-1975, 1981-1982, 1990-1991 et 2001), la hausse du prix des biens ressortait en moyenne à 4,8% en fin de récession, à 2,7% un an après et 1,9% deux ans après.

Quid des Etats-Unis ?

Pour l’heure, c’est la sous-utilisation des ressources qui est le principal déterminant de l’évolution des prix, ceci d’autant plus que le phénomène est global. Le passage de l’inflation sous-jacente en territoire négatif est d’autant plus probable d’ailleurs que son point de départ est bas (1,8% ces derniers mois aux Etats-Unis contre 8% en 1980) et que la sensibilité de l’inflation sous-jacente à l’output gap est plus élevée lorsque celui-ci atteint des valeurs extrêmes. Il est clair qu’outre le retour à un fonctionnement normal du système de crédit, l’objectif numéro un de la Fed est d’éviter qu’une très possible déflation technique (baisse de l’indice) ne se transforme en véritable déflation. Celle-ci découlerait d’une modification des comportements, les anticipations de baisse devenant alors auto-réalisatrices : elles conduiraient à différer des achats, ce qui pèserait sur les prix.

Le poids réel de la dette s’alourdirait, les taux réels augmenteraient (les taux nominaux étant bloqués à zéro) ce qui déprimerait l’investissement. Il en irait de même pour les salaires réels (les salaires nominaux présentent une certaine rigidité à la baisse), ce qui induirait une baisse de l’emploi, donc de la demande et des prix. On serait alors en présence d’une spirale déflationniste. Là n’est pas toutefois notre perspective, compte tenu de l’agressivité de la politique économique et, du fait aussi, que l’apparition d’anticipations déflationnistes se heurte au phénomène de dispersion des évolutions de prix. On notera, à cet égard, que cette dernière, mesurée par un écart-type calculé sur la base des composantes de l’indice, ressort à 4,5 points, ce qui est proche de la moyenne historique et d’un niveau comparable à celui observé en 2003, lorsqu’étaient apparues des craintes de déflation qui, ex post, se sont révélées erronées. En fait, l’ancrage d’anticipations déflationnistes suppose que les baisses de prix concernent un très large spectre des composantes de l’indice.

La Fed a doublé la taille de son bilan depuis septembre dernier et a mis en place des programmes qui peuvent potentiellement amener à un nouveau doublement. D’où la crainte exprimée par certains d’un retour de l’inflation, avec l’idée que trop de monnaie « chasserait » trop peu de biens. Cela nous semble aller loin…, l’ampleur de l’output gap sera telle qu’il faudra plusieurs années pour le combler. Au sortir de la récession du début des années 1980, cinq années de croissance supérieure au potentiel furent nécessaires. Le CBO (Congressional Budget Office), sur la base d’hypothèses pourtant marquées d’un optimisme excessif (une croissance de 4% l’an à partir de 2010, alors que la correction des bilans interdit d’envisager une nouvelle vague de recours à l’endettement pour soutenir la consommation), ne prévoit un comblement de l’output gap que vers le milieu de la prochaine décennie !

Pour l’heure, l’explosion de la base monétaire (89,2% en glissement annuel en février) ne s’accompagne aucunement d’un dérapage des agrégats monétaires, M2 ne progressant que de 9,7% en glissement annuel. Autrement dit, le multiplicateur monétaire diminue et le ratio M2/Base est tombé, en un an, de 9,1 à 5,3, préférence pour la liquidité oblige.

Au demeurant, les caractéristiques des économies se distinguent radicalement de celles des années 1970, lorsqu’était apparue la dernière vague d’inflation. A cette époque, avant même le choc pétrolier, des spirales prix-salaires s’étaient enclenchées, alors que les gains de productivité s’essoufflaient. La hausse annuelle des salaires dans les pays du G7, de 10,9% en 1971-1973, a culminé à plus de 14% en 1974-1975, la progression des coûts salariaux unitaires passant de 7,5% à 13,8%.

Sans surprise, l’inflation sous-jacente s’est alors hissée à un niveau proche de l’inflation totale (10,4% contre 11,1% en 1974-1975), tandis que les taux de politique monétaire réels tombaient en territoire négatif (-1,5%).

Les transformations des marchés du travail, l’adoption de politiques d’inflation targeting, l’indépendance institutionnelle des Banques centrales ont radicalement changé le paysage. Enfin, et surtout, la Fed dispose d’une vaste gamme de possibilités pour revenir en arrière. Elle peut interrompre ses programmes d’achat de titres (ABS, MBS), elle peut simplement conserver les titres qu’elle a acquis jusqu’à leur échéance sans renouvellement, elle peut rapidement reprendre la liquidité créée avec les programmes TAF, CPFF et ABCP qui portent sur des titres d’une maturité de 90 jours au plus. Celle-ci représente le tiers du bilan de l’institution et les deux tiers du gonflement observé depuis septembre 2008. La Fed pourrait également émettre sa propre dette et relever la rémunération des réserves.

Quand devra-t-elle revenir à une politique conventionnelle, c'est-à-dire remonter son objectif pour lesFed funds ? Une règle de Taylor dans l’hypothèse d’une inflation sous-jacente de 1,5% (au milieu de la zone de confort de la Fed), suggère un relèvement des Fed funds, output gap oblige… dans quatre ans. Il n’est cependant pas exclu de voir la Fed réagir bien avant, en réaction à la baisse du chômage, même si les estimations économétriques de courbes de Taylor « augmentées » avec l’introduction des croissances du PIB ou du taux de chômage en tant que régresseurs ne débouchent pas sur une amélioration des relations estimées (les coefficients liés à ces deux variables ne sont pas significatifs).

Quid de la zone euro ?

 Dans la détermination de sa politique monétaire, la BCE a retenu l’agrégat M3 comme pilier puis référence, sa progression retenue de 4,5% l’an n’a pas été modifiée depuis 1999. L’analyse sous-jacente repose sur la théorie quantitative de la monnaie : MV= PY ou en évolutions :

Ln M(t)-ln M(t-1)= lnP(t)-lnP(t-1)+ ln Y(t)-ln Y(t-1) –ln V(t)-ln V(t-1) M est la masse monétaire, V sa vitesse de circulation, P le niveau des prix, Y les transactions. Le choix d’une progression de 4,5% l’an comme référence repose sur l’hypothèse d’une croissance potentielle de 2,25%, d’une hausse des prix de 1,5% et d’une dérive de la vitesse de circulation de la monnaie de 0,75%.

La hausse de M3 a été quasi constamment supérieure à la référence de 4,5%. De 1999 à 2008, la hausse de M3 a été de 7,8% l’an. L’excès de création monétaire dépasse ainsi de 36% ce que l’on aurait observé si la référence avait été respectée.

L’excès de création monétaire n’a pas conduit à une dérive de l’inflation mis à part l’effet temporaire de chocs sur les prix du pétrole.

En réalité, il faut compter avec l’incidence sur M3 de circonstances particulières comme les conséquences sur les réallocations de portefeuille de vagues de fuite vers la liquidité (après l’éclatement de la bulle internet par exemple) qui n’ont pas de potentiel inflationniste. Il faut compter surtout avec le fait qu’à partir du milieu des années 2000, la hausse de M3 a tenu pour une large part aux opérations monétaires d’agents financiers non bancaires (contributions d’environ 3 points), elles aussi dépourvues d’effets inflationnistes (elles ne viennent pas nourrir la demande).

En réalité, on constate une baisse de la vitesse de circulation de la monnaie bien plus marquée que celle retenue par la BCE dans son modèle de définition de la référence d’évolution de M3. Le ratio du PIB en valeur sur M3 est ainsi tombé de 1,18 en 2004 à 0,97 en 2008.

L’analyse de l’effet de l’excès de création monétaire sur l’inflation repose sur le modèle P star4 qui relie l’inflation à l’inflation anticipée, aux chocs exogènes (prix du pétrole) et à l’excès de liquidité. Il ressort d’une étude récente qu’une hausse de 1% de l’excès de liquidité aboutit à horizon de 6 trimestres à un supplément d’inflation d’au plus 0,2%. Compte tenu des réallocations de portefeuille, la hausse de l’excès de liquidité ressort à 3% l’an, ce qui aboutit à un supplément d’inflation d’au plus un demi-point5.

La création monétaire par la banque centrale est-elle potentiellement inflationniste ?

La progression de la base monétaire a connu une accélération considérable en 2008, sans pour autant que l’on puisse déceler de pareils développements pour M1 ou M3, en d’autres termes, le multiplicateur monétaire s’effondre, les ratios M1/Base et M3/Base ont chuté respectivement de 4,55 à 3,5 et de 10,3 à 7,9 courant 2008. La poussée observée de la monnaie de base est liée au comportement des banques qui placent leurs excédents auprès de la BCE (facilité de dépôt), ce qui ne revêt aucun potentiel inflationniste.

A contrario, la poussée des défauts liée à la récession et la dépréciation des actifs freinent la création monétaire des banques.

Dans ces conditions, et compte tenu de la forte baisse de l’utilisation des ressources, c’est bien plus l’entrée dans une phase de légère baisse des prix que l’inflation qu’il convient de redouter.

NOTES

1 Cf. Conjoncture Taux Change de BNP Paribas de Mai-Juin 2009
2 World Economic Outlook, FMI, Printemps 2009
3 Pour plus de détails, voir P. d’Arvisenet : « La crise du subprime et ses répercussions », Revue d’Economie Financière, numéro hors série : crise financière, analyse et propositions, 2008
4 Le lecteur peut en trouver une présentation dans S. Gerlach et L. Svenssonn : « Money and inflation in the euro area : a case of monetary indicators », Working Paper n°8025, NBER, déc. 2000
5 Cf. S. Broyer : « Quels liens entre monnaie et inflation ? », Flash Natixis N°216, mai 2009. Dans le modèle estimé par cet auteur, les anticipations d’inflation sont liées à l’objectif de la BCE supposé crédible et à l’écart entre inflation observée et objectif.

Retrouvez la 1ère partie, publiée le 19 février 2009

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