Une hausse de l’euro est-elle vraiment préjudiciable ?

par Jean-Christophe Caffet, économiste chez Natixis

Après le très fort recul du PIB enregistré pendant l’automne et l’hiver derniers, la croissance en zone euro devrait avoir atteint son point bas au printemps. La forte désinflation, le dégel des flux de capitaux internationaux, le moindre déstockage et la mise en œuvre des plans de relance à l’échelle mondiale devraient en effet donner une bouffée d’air (temporaire) à l’économie européenne à partir du deuxième trimestre.

Afin de pérenniser ce rebond, nombre d’observateurs jugent désormais qu’une baisse de l’euro serait nécessaire et s’alarment de la réappréciation de la monnaie unique observée depuis mars dernier. Nous pensons non seulement que ces appels à une baisse de l’euro sont assez vains, dans la mesure où celle-ci nous semble peu envisageable, mais aussi qu’une dépréciation de la monnaie unique, dans le contexte actuel, n’est pas forcément utile.

Mis à part les développements de marché qui ont exercé une influence significative sur le change (aversion au risque et flux de capitaux), les déterminants structurels et conjoncturels d’une appréciation de l’euro contre dollar restent en effet d’actualité : intégration croissante des marchés de capitaux euro, politiques de diversification des réserves de change des banques centrales, fermeture temporaire seulement des forts déficits courants américains contre quasi-équilibre européen, crédibilité anti-inflationniste de la BCE contre monétisation de la dette publique et politique à taux zéro aux Etats-Unis, hausse du prix du pétrole… Espérer dans ce contexte une dépréciation substantielle de l’euro face au dollar relève donc selon nous d’un vœu pieu. D’autant que la BCE n’a pas d’objectif de change (avoué ou non) à la différence de nombreuses autres banques centrales. Si une très légère correction nous semble probable à court terme, une hausse de l’euro contre dollar de l’ordre de 10% à l’horizon de prévision reste donc notre scénario central (1,52 à douze mois).

Une dépréciation de l’euro ne nous semble pas non plus particulièrement utile à l’économie de la zone euro dans le contexte conjoncturel actuel : les plans de relance décidés à l’échelle mondiale s’appuient essentiellement sur des grands projets d’infrastructures et d’équipement (plus des deux tiers du plan chinois), dont l’offre est peu substituable à court terme et la demande, par conséquent, peu élastique au change. A cet égard, il nous semble que la zone euro dispose d’un avantage comparatif non négligeable dans ce domaine (construction et transports en France, biens d’équipement en Allemagne…). Aussi un scénario classique de reprise par les exportations postule-t-il implicitement l’existence à l’étranger d’une demande que ne parviendrait pas à satisfaire l’offre domestique.

Or la demande chez les principaux partenaires commerciaux de l’Union nous semble durablement affaiblie en raison de la forte remontée des taux de chômage qu’on y observe et, surtout, du processus de désendettement amené selon nous à durer (Etats-Unis, Europe hors zone euro, Europe centrale et orientale1). Dans la mesure où le taux de change affecte surtout les exportations de biens durables et de biens d’équipement (financés à crédit) insuffisamment différenciés2, une hausse de l’euro dans la période actuelle ne nous semble donc pas particulièrement préjudiciable. Notons enfin qu’une dépréciation significative de l’euro pèserait sur le pouvoir d’achat des ménages européens (une baisse de 10% de l’euro contre dollar génère à long terme 0,3 point d’inflation supplémentaire). D’ailleurs, le rebond de la consommation privée américaine observé au premier trimestre, alors que le taux de chômage augmente pourtant bien plus rapidement qu’en zone euro, montre à quel point la désinflation peut être un soutien de l’activité. Enfin, il faut souligner qu’une baisse de l’euro ne manquerait pas de nourrir les anticipations d’inflation du marché, se matérialisant in fine par une nouvelle hausse des taux longs (+20 points de base, toutes choses égales par ailleurs, pour une baisse de 10% du taux de change eurodollar). Rappelons à cet égard qu’une hausse significative des taux longs constitue le principal aléa baissier sur notre scénario de croissance à moyen terme3.

NOTES

1)  Ces trois zones comptent pour plus de la moitié des exportations de la zone euro. Les chiffres définitifs pour 2008 montrent que les parts respectives du Royaume-Uni et des Etats-Unis sont d’ores et déjà en recul de 2,1 et 1,1 points.
2)  Voir Flash n°2008-109 : « Quelles industries, quels indices boursiers sont les plus affectés par la dépréciation du dollar ? »
3 ) Voir, notamment le Flash n°2009-197 : « Pour que la croissance reprenne : être capable d’assurer des financements à long terme le Special Report n°2009-150 : « Anticipations d’inflation en hausse malgré l’absence durable d’inflation : quels effets ? »

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