par Jean-Marie Mercadal, Directeur Général Délégué en charge des gestions chez OFI AM
La macroéconomie est bonne, la micro aussi, les taux restent bas : il s’agit du cocktail parfait pour les marchés. D’ailleurs, le bilan boursier 2017 s’annonce nettement positif sur pratique- ment toutes les classes d’actifs… Comment aborder 2018 ? Il y a quelques nuages à l’horizon et nous avons identifié quelques scénarios de risque. Mais pour les prochains mois, nous pensons que la tendance positive devrait se poursuivre, les marchés sont souvent « résilients »… Quelle analyse porter sur cette situation et quelle stratégie adopter ?
La dynamique de la croissance mondiale est forte
Hormis quelques séances récentes de corrections logiques, et somme toute assez légères, particulièrement sur les actions américaines, les tendances positives des marchés actions de ces derniers mois sont intactes. Les marchés résistent donc assez bien à une multitude de petits signes mis en exergue par la presse financière comme étant annonciateurs d’une crise boursière sévère. Voici les points les plus évoqués : après presque 8 ans de hausse à Wall Street, nous venons d’y vivre 62 semaines sans correction de plus de 2 %, la courbe des taux américains s’aplatit, historiquement le signe annonciateur d’un ralentissement, la situation géopolitique au Moyen-Orient devient plus préoccupante avec les derniers événements en Arabie Saoudite et les tensions avec l’Iran, zone sensible pour l’évolution du pétrole… Et surtout, il y a à nouveau un excès de crédit (quelques sociétés ont été secouées parce que trop leveragées). D’ailleurs, le prix de vente record de 450 millions de dollars pour un tableau de Léonard de Vinci n’est-il pas le signe que le prix des actifs est allé trop loin ?
Beaucoup de questions, mais il n’en reste pas moins que la réalité fondamentale du moment est positive. La dynamique de la croissance mondiale est forte. Le FMI révise à la hausse – mois après mois – ses perspectives et nous attendons désormais + 3,6 % en 2017 et + 3,7 % en 2018.
Aux Etats-Unis, la croissance semble accélérer après un début d’année incertain et l’inaction de Donald Trump jusqu’à présent. L’expansion des deuxième et troisième trimestres a dépassé 3 % en rythme annuel, et c’est la première fois depuis 2014 qu’il y a deux trimestres consécutifs supérieurs à 3 %. L’activité industrielle est encore perturbée par les conséquences des ouragans dans le Sud, mais ce qui est le plus révélateur semble être la baisse du taux d’épargne des ménages qui est tombé à son plus bas niveau depuis 2007, alors que se profilent les baisses d’impôts promises par le nouveau gouvernement. Bref, s’il s’agit de l’un des plus longs cycles de croissance de l’histoire américaine, la récession ne semble pas « au coin de la rue » !
La zone Euro surprend le plus. Les estimations du début d’année étaient à peine supérieures à 1,5 %. Nous estimons désormais que 2017 se soldera par une croissance supérieure à 2 %, ce qui est jugé comme supérieur à son potentiel. La Commission européenne est de cet avis et s’attend désormais à une croissance de 2,2 %, soit le plus fort taux depuis 10 ans, contre une prévision de 1,7 % en début d’année. La zone sort progressivement d’un risque de déflation (même si l’inflation « Core » reste basse(1)) et les conditions de crédit encore accommodantes laissent à penser que cette situation peut durer. La Commission européenne souligne d’ailleurs que les indicateurs montrent en majorité que la zone se situe « en milieu de cycle », ce qui laisse de l’espoir pour les prochaines années. Tous les moteurs sont positifs : investissement, consommation et, au niveau global de la zone, exportations qui bénéficient de la reprise du commerce mondial. La thématique du « soutien budgétaire » redevient également positive : les pays reviennent dans le seuil de 3 % de déficit défini par le Pacte de stabilité (les fameux critères de Maastricht) et la reprise génère de nouvelles recettes fiscales. Nous parlons à nouveau de relance budgétaire en Allemagne (dépenses d’infrastructures) et de baisse des impôts. Ce contexte n’a toutefois pas empêché les mouvements politiques populistes de prospérer ces derniers mois, même si le « pire » a été évité. Cette actualité se poursuit avec l’épisode de la Catalogne. Le scénario de l’indépendance reste peu probable aux yeux des marchés. Mais le risque politique reste le plus significatif pour la zone dans les prochains mois.
Dans les pays émergents, pas de mauvaises surprises non plus. L’actualité en Chine s’est focalisée sur le renouvellement de 5 des 7 membres du Comité central du Parti communiste.
Le Président Xi a obtenu son deuxième mandat de 5 ans, en renforçant ses pouvoirs. L’objectif de la Chine est donc établi pour les prochaines années : développer une classe moyenne nombreuse pour promouvoir une société plus axée vers le bien- être, avec des conséquences positives a priori pour le secteur de la consommation et l’économie verte. L’issue de cet épisode n’a pas constitué une surprise pour les marchés, qui ont plutôt monté en Chine sur ces nouvelles. Le taux de croissance de l’économie devrait logiquement baisser dans les prochaines années, mais c’est normal à ce stade du développement. Reste la question du dégonflement de la bulle immobilière et de la réduction des dettes accumulées ces dernières années : le gouvernement a aujourd’hui tous les moyens pour piloter « en douceur » la réduction de ces excès, à suivre…
Cette conjoncture économique en amélioration engendre naturellement des répercutions positives sur les comptes des entreprises. Les publications de résultats ont été particulièrement positives cette année et les estimations des analystes ont été dépassées : au troisième trimestre, près de 75 % des entreprises de l’indice S&P 500 sont au-delà des attentes, et les chiffres d’affaires sont également supérieurs dans près de 2/3 des cas, ce qui souligne que les résultats ne sont pas seulement le fait d’arrangements comptables, comme des rachats d’actions par exemple. Le constat est globalement identique en zone Euro. Le consensus attend ainsi une progression des résultats des entreprises de 10 % aux Etats-Unis et de 9 % en zone Euro, avec une bonne probabilité de les atteindre.
2018 sera l’année d’un revirement plus marqué des politiques monétaires…
Les rendements sont maintenus artificiellement trop bas, les Banques Centrales ayant mis les marchés obligataires « sous tutelle ». Les conséquences de cette situation sont très impor- tantes, car naturellement, les taux d’intérêt constituent un point d’ancrage essentiel pour les valorisations des autres actifs. Avec des taux aussi bas, les prix des autres actifs (immobilier, actions…) sont ainsi logiquement plus élevés.
Nous pensons que l’année 2018 marquera le début d’une normalisation plus profonde et nous la voyons en deux temps. Durant la première partie de l’année il y aura, selon nous, peu de changement par rapport à la situation actuelle. Les marchés ne seront pas surpris par les deux relèvements des Fed Funds que nous anticipons jusqu’à juin (le premier en décembre, le deuxième à mi-semestre) ni par le statu quo probable des taux directeurs de la BCE. Les politiques de « Quantitative Easing »(2) ne seront pas encore terminées et les investisseurs seront heureux d’une remontée graduelle des taux obligataires compte tenu des montants en attente d’être placés.
Mais à partir du tournant de la mi-année, les choses pourraient changer. Nous nous approcherons plus directement de la fin des « Quantitative Easing » et il est prévu que la liquidité mondiale injectée par les Banques Centrales diminue à partir de fin 2018.
Dans ces conditions, nous pensons que le rendement du Bund à 10 ans atteindra la zone de 0,75/1 % en fin de l’année prochaine, avec une accélération plutôt à partir de la mi-année. Pour le T-Notes 10 ans, nous pensons que la zone de 3 % sera atteinte, avec un cheminement proche.
Les obligations crédit restent chères et il y a peu de potentiel de réduction supplémentaire des spreads. Le segment « High Yield » ne nous paraît également pas attractif, même après le repli récent. Les derniers mouvements de ce marché ont montré que le couple espoir de performance sur risque n’était pas attractif compte tenu de la liquidité globale en cas de contagion rapide de la perception du risque. à noter aussi que le rendement des obligations « High Yield » reste toujours inférieur à celui des actions, particulièrement en Europe.
Nous continuons à penser que les obligations indexées couvertes du risque de taux conservent de l’attrait à moyen terme et complètent un portefeuille obligataire. Les « Breakevens » d’inflation(3) à 10 ans se stabilisent autour de 1,2 % pour le Bund et 1,8 % aux Etats-Unis.
Nous aimons également les obligations émergentes, même si elles ont déjà bien progressé. La pause technique que nous anticipions lors de nos dernières publications s’est matérialisée, si bien que nous pouvons actuellement construire des portefeuilles investis uniquement en obligations gouvernementales d’une vingtaine de positions avec un rendement de plus de 8 % sur un horizon de près de 5 ans. Et les devises émergentes ramenées en euro ne sont pas très éloignées de leurs plus bas, ce qui peut donner un potentiel supplémentaire le cas échéant.
Nous aimons toujours les obligations convertibles, surtout européennes, pour leur convexité intéressante aux niveaux actuels.
Il n’y aura pas d’expansion des valorisations désormais, mais une progression proportionnelle à celle des bénéfices
Nous estimons que les marchés actions recèlent encore un potentiel de performance absolue et relative intéressant. à ce stade, et compte tenu de la situation du marché obligataire évoquée ci-dessus, nous pensons que les actions américaines et européennes pourraient progresser encore, en accompagnement de l’amélioration globale des bénéfices. Nous pensons de ce fait que les actions européennes offrent un potentiel de l’ordre de 10 %, dividendes inclus, à partir des niveaux actuels. Cette progression devrait se réaliser plutôt durant la première partie de l’année 2018. Notons que les flux internationaux se sont largement réorientés vers l’Europe durant l’année et que, là aussi, il devrait y avoir une certaine résilience, ce qui nous incite à favoriser les actions européennes, par ailleurs moins chères et en retard de cycle.
La valorisation des actions américaines pose toujours question. Le fameux PER(4) de Schiller est à près de 30, soit proche de son troisième record historique, et toutes les mesures de valorisation montrent que nous nous situons à des niveaux atteints seulement en 1929 et 2007. Vu de cette façon, il y a de quoi être inquiet et ces observations, largement diffusées, alimentent le scepticisme généralisé qui a accompagné ce « Bull Market » qui a été décrit comme l’un des plus « mal aimé » de l’histoire. Et c’est vrai que la hausse des actions américaines depuis 5 ans s’explique davantage par une hausse des multiples que des bénéfices. à cela il faut ajouter les rachats d’actions, que favorisent les taux très bas et les dividendes. Parier sur une poursuite de l’expansion des multiples semble ainsi aléatoire à ce stade. En revanche un relais des bénéfices est probable, d’autant plus si la réforme fiscale de l’impôt sur les sociétés est adoptée. Plus globalement, nous pensons que nous sommes loin d’être dans une situation de bulle comme en 2000.
Quels sont les scénarios de risque ? Nous en voyons trois principaux, sans ordre d’importance, et avec pour chacun d’entre eux une probabilité plutôt moyenne :
- Une erreur de politique monétaire et/ou un retour inattendu de l’inflation. En résumé, un scénario de brusque hausse des taux. La question de l’inflation reste posée et Janet Yellen, elle-même, considère qu’il s’agit d’un « mystère ». Si, effectivement, il s’agit d’un indicateur retardé et que les prochaines statistiques montrent une accélération de l’inflation, le processus de normalisation monétaire sera plus rapide, avec des conséquences potentiellement plus délicates sur les marchés obligataires. Dans ce cas, les marchés actions seraient affectés.
- Ralentissement marqué et soudain en Chine. Il s’agit d’un risque macro- économique non négligeable étant donnée l’importance prise par le pays dans l’économie internationale. Le sujet, c’est l’ajustement et le retour à des prix plus normaux. Ce processus peut se dérouler dans la douceur car le pays au global a besoin de logements, mais aussi de manière plus brutale, provoquant alors potentiellement une chute brutale des prix et donc une baisse de confiance et de consommation et ainsi un ralentissement. Ou bien l’ajustement peut passer par une baisse de la monnaie, avec des conséquences négatives pour les autres pays émergents et, au final, sur la croissance globale aussi.
- Un phénomène purement financier « auto-réalisateur ». Il passerait selon nous par la volatilité. Actuelle- ment, elle se maintient à des niveaux très bas, en raison de « l’anesthésie » des marchés de taux opérée par les Banques Centrales, mais aussi parce que beaucoup d’intervenants (Hedge Funds) sont actuellement vendeurs structurels de volatilité. Une remontée brutale de l’indice Vix(5) (qu’il faut donc suivre attentivement) provoquerait des réactions en chaîne potentielle- ment dangereuses : si le Vix remonte, les investisseurs vont se dire que le risque remonte et vont donc avoir tendance à être prudents. Par ailleurs, de nombreux modèles quantitatifs d’allocation travaillent selon les régimes de volatilité. Un régime plus élevé signifie des porte- feuilles plus prudents, donc avec des ventes d’actifs risqués qui s’en suivent. Rappelons qu’il n’y a pas eu dans l’histoire récente de consolidation de plus de 10 % des actions américaines avec un niveau de Vix inférieur à 15 %.
Notre scénario central
Notre scénario central reste constructif, avec les soutiens fondamentaux puissants d’une économie en croissance globale solide et synchronisée, avec ses conséquences positives sur les entreprises. Nous estimons par ailleurs qu’il n’y a également pas d’exagération de valorisation… Dans ce contexte, le niveau des taux d’intérêt est évidemment primordial pour que les tendances positives des marchés se poursuivent. De ce point de vue, nous pensons que l’année 2018 sera plus mouvementée et que, à partir du second semestre, les marchés obligataires commenceront à refléter plus nettement un changement des orientations des Banques Centrales. Mais en attendant, il faut profiter de la tendance (« Trend is our Friend »), en gardant à l’esprit que les marchés sont « résilients » !
NOTES
- L’inflation core est une inflation dont on a retiré certains éléments extrêmement fluctuants comme les matières premières, agricoles, énergétiques.
- Quantitative Easing : rachats massifs de titres de dettes par une Banque Centrale.
- Le « Breakeven » inflation représente la différence de rendement entre une obligation classique (taux nominal) et son équivalente indexée sur l’inflation (taux réel).
- PER : Price Earning Ratio. Indicateur d’analyse boursière : capitalisation boursière divisée par le résultat net.
- VIX : indicateur de volatilité américain, calculé en faisant la moyenne des volatilités sur les options d’achat et les options de vente, sur l’indice S&P 500.