par Patrice Gautry, Chef économiste chez UBP
La croissance mondiale devrait, selon nos estimations, atteindre 3,5% en 2018, après un chiffre de 3,6% en 2017, soit le rythme le plus soutenu depuis dix ans. Cette bonne santé tient essentiellement au fait que la croissance est désormais plus autonome que par le passé, et qu’elle est aussi devenue plus synchronisée à l’échelle globale.
Une croissance désormais plus autonome
Au fil des trimestres, une croissance plus autonome s’est mise en place à travers le monde, grâce à la très bonne tenue de la consommation dans les économies développées et à la reprise de l’investissement public et privé dans l’ensemble des pays.
La consommation connaît désormais une croissance régulière, tant en Chine qu’aux Etats-Unis, alors qu’en zone euro, elle devrait retrouver son rythme d’avant crise. De plus, le consommateur américain a bénéficié avant les autres d’une baisse marquée du taux de chômage: la poursuite de cette tendance positive aux Etats-Unis et une accélération des créations d’emplois attendues en Europe devraient contribuer à l’amélioration des fondamentaux et de la confiance.
Par ailleurs, la progression des salaires devrait être plus soutenue en 2018. Le manque de main d’oeuvre qualifiée est régulièrement mentionné aux Etats-Unis, et un phénomène similaire pourrait apparaître en Allemagne. Toutefois, une spirale salariale devrait être évitée en raison de l’évolution du marché de l’emploi. Les réformes passées outre-Rhin et au Japon, celles en cours dans les autres pays européens, et la flexibilité traditionnelle des emplois aux Etats-Unis ont réduit le rôle des négociations collectives. En outre, de nouvelles formes de travail sont en train d’émerger dans le domaine de l’économie collaborative qui pourraient contenir la croissance des salaires.
La confiance des consommateurs et les achats sont, de plus, soutenus par la stabilisation du patrimoine des ménages, à la faveur de la reprise des prix de l’immobilier. A l’inverse de 2007, l’endettement des ménages reste globalement mesuré et le coût du service de la dette modeste, ce qui dégage de la richesse pour soutenir la consommation.
L’investissement des entreprises devrait constituer le deuxième moteur d’une croissance plus autonome, et ses perspectives s’avèrent des plus prometteuses à en juger par les indices de confiance globalement élevés au sein de l’industrie, l’augmentation des taux d’utilisation des capacités dans plusieurs pays, un coût du capital encore faible, ainsi que les solides profits observés du côté des sociétés.
Le cycle de l’investissement devrait retrouver de la vigueur aux Etats-Unis et gagner en maturité en Europe continentale. Plus que l’extension des capacités de production, ce sont les investissements de productivité et de recherche & développement qui devraient dominer. Les mutations des habitudes de consommation et des chaînes de distribution et de production pourraient générer des investissements importants durant la prochaine décennie. Ainsi, le rebond des dépenses d’investissement ne serait pas seulement cyclique, mais il pourrait s’inscrire dans un cycle plus long et revitaliser la croissance potentielle.
Nous pensons donc que la croissance de la demande domestique devrait devenir plus mature et permettre au cycle d’être plus résistant face à d’éventuels chocs extérieurs, comme les attentats terroristes, les tensions géopolitiques, ou encore les catastrophes naturelles.
Une croissance synchronisée
En 2017, toutes les grandes régions ont renoué avec une activité plus soutenue, et cette synchronisation de la croissance entre les différents pays devrait, selon nous, se poursuivre en 2018. Dans les pays émergents, la croissance a accéléré en 2016 et 2017 (à près de 5% en termes agrégés), grâce à la stabilisation observée en Chine (autour de 6,5% en 2017) et à une dynamique encore forte en Inde, malgré le coût associé à la refonte des billets en circulation. En 2018, la tendance devrait rester positive et profiter du retour à la croissance affiché par la Russie et le Brésil. La sortie de récession a été très lente pour ces deux économies, mais elles se remettent désormais en marche et reprennent leur place dans la croissance mondiale.
Les risques géopolitiques attachés à la Corée du Nord, à la situation au Moyen- Orient ainsi qu’à la politique commerciale américaine pourraient modifier la trajectoire de croissance des pays émergents. Toutefois, une stabilisation de la croissance au sein de cet univers est importante car elle permet de renforcer la capacité de résistance à ces potentiels chocs.
Une croissance mondiale synchronisée ne signifie pas que tous les pays et régions évolueront au même rythme. Ainsi, la Chine et certaines économies asiatiques pourraient voir leur croissance se modérer en 2018 par rapport à 2017 – quoique légèrement (soit une baisse de l’ordre de 0,2 à 0,3 point d’une année à l’autre) –, et la tendance de fond devrait rester positive.
De la même façon, du côté des pays développés, les Etats-Unis sont plus avancés dans leur cycle en comparaison des autres économies. Nous attendons ainsi une modération de la progression du PIB américain autour de 2% (après les 2,3% enregistrés en 2017), ce qui témoigne de sa maturité mais n’est pas encore le signe d’une inversion de tendance. Les autres pays développés devraient atteindre une croissance plus forte, notamment le Japon (1,5%) et la zone euro (1,9%), avec en particulier un rebond des économies qui étaient jusque-là en retrait, comme la France et l’Italie. La restauration d’un cycle de croissance soutenu dans les pays développés s’est révélée difficile, en raison du retard pris avec la crise en zone euro, mais la tendance est enfin positive. Au total, la croissance des pays développés est, selon nous, capable de tenir un rythme de 2% en termes agrégés en 2018.
Les politiques économiques soutiennent le cycle via la fiscalité
En 2018, la surprise proviendra moins des chiffres de progression du PIB par pays que de la longévité du cycle économique. Avec une croissance autonome et synchronisée, l’objectif principal de la politique économique est alors d’entretenir le processus. Un rebalancement des rôles entre les politiques monétaire et budgétaire nous semble donc nécessaire et devrait se traduire par un retrait relatif des banques centrales, alors que la dépense publique, la fiscalité et les reformes structurelles ont un plus grand rôle à jouer pour soutenir la croissance sur une longue durée.
Trois axes majeurs se dessinent pour les politiques budgétaires en 2018: une baisse de la fiscalité américaine, une diminution de la fiscalité conjuguée à des réformes politiques et structurelles en zone euro et enfin, en Chine, le déploiement du plan de long terme que constitue la «nouvelle route de la soie». Ces trois projets nous paraissent les plus significatifs, mais cela ne veut pas dire pour autant que les autres pays ne feront rien. Par ailleurs, plus que les montants totaux consacrés à ces politiques, c’est plutôt le ciblage de ces dernières qui nous semble être le gage de leur efficacité et de leur impact sur la pérennité de la croissance.
En effet, depuis 2016, la politique budgétaire s’est progressivement assouplie et est devenue moins contraignante, surtout en Europe. Compte tenu d’un endettement public encore très élevé, il ne s’agit pas de mener une politique de déficit procyclique, mais plutôt de cibler des secteurs et des thèmes spécifiques. Ainsi, les mesures attendues aux Etats-Unis et en Europe ne devraient avoir qu’un impact modeste en termes de PIB (autour de 0,5 point de croissance supplémentaire par an) mais, selon notre analyse, leurs effets devraient être durables, sans toutefois perturber les équilibres budgétaires.
Aux Etats-Unis, les baisses d’impôt ciblées pour les entreprises et les ménages (USD 8 milliards attendus) devraient être contrebalancées par des dépenses moindres dans la santé et la fin de déductions spécifiques. Cependant, de nouvelles dépenses sont aussi en projet (dans la défense et les infrastructures), et si le Congrès les adopte, la politique budgétaire sera plus expansionniste.
En Europe, des réductions d’impôt similaires sont attendues en Allemagne, ainsi qu’en France, où elles seront compensées par des réformes sur le front des retraites et du marché du travail, et enfin par de moindres dépenses de l’Etat. Au niveau des pays de la zone euro, mais aussi de la Commission européenne, des projets devraient être mis en place pour dynamiser la recherche et les nouvelles industries.
De plus, une réforme du fonctionnement des institutions européennes est attendue à la suite des propositions du nouveau président français, reprises par la Commission européenne et examinées aussi par la Chancelière allemande. La zone euro aurait alors une politique budgétaire plus entraînante (surtout si l’Allemagne décide de desserrer le carcan budgétaire), et elle serait ainsi moins dépendante de l’extérieur, avec une nouvelle clé de répartition des compétences entre les pays et les institutions.
Les entreprises des pays développés pourraient nettement profiter des ajustements de fiscalité, car il paraît probable que les taux d’imposition des bénéfices soient abaissés de façon significative en 2018 dans beaucoup de pays (à 20% environ, voire moins dans certains pays).
Au total, la croissance mondiale nous semble s’inscrire dans un cycle long et assez solide, entretenu par les politiques économiques et le rôle des nouvelles technologies. Même si les risques n’ont pas disparu, il faudrait des chocs majeurs pour faire dérailler de sa trajectoire la tendance telle qu’elle se dessine.