par Catherine Stephan, économiste chez BNP Paribas
Au début des années 1990, l’Allemagne a basé son modèle de croissance sur les exportations de biens d’investissement et de biens intermédiaires. L’expansion des exportations a été le fruit de réformes structurelles et de baisses de salaires à partir des années 1990 et 2000. L’effondrement de la demande externe participe donc largement à la récession de l’économie allemande.
L’Allemagne conserve, toutefois, de sérieux atouts qui lui permettront de surmonter la crise actuelle.
Les entreprises allemandes disposent d’une bonne santé financière. Celle-ci s’est, en effet, améliorée à partir du début des années 2000 et permet de résister à la dégradation actuelle de l’activité.
Les aides gouvernementales apportent une bouffée d’oxygène aux entreprises et leur permettront de passer le cap de la crise. Les ajustements seront progressifs, mais les coûts salariaux devraient diminuer au cours des prochains mois compte tenu de l’augmentation du chômage.
L’éclatement de la bulle financière de l’automne dernier a précipité la fin d’un cycle de croissance soutenue, amorcé au début des années 2000. Le PIB allemand a reculé de 3,8% t/t au premier trimestre 2009 après avoir déjà subi une forte contraction au dernier trimestre 2008 (-2,2% t/t). Or, les piètres performances de l’économie allemande à l’exportation à partir du deuxième trimestre 2008 participent largement au ralentissement de la croissance de l’activité (1% en 2008 contre 2,6% en 2007). Malgré ce passage à vide, l’Allemagne conserve de sérieux atouts, fruits des réformes menées ces dernières années, qui lui permettront de tirer pleinement profit de la reprise de la demande mondiale.
Les exportations : moteur principal de la croissance
Au début des années 1990, l’Allemagne a basé son modèle de croissance sur les exportations de biens d’investissement et de biens intermédiaires. L’amélioration de sa compétitivité lui a, en effet, permis de se positionner sur les marchés en plein essor des économies émergentes et principalement d’Asie (cf. encadré). Les exportations nettes ont contribué à plus du tiers de l’augmentation du PIB entre 2000 et 2008. Les exportations de biens et services ont, en effet, progressé de près de 55% entre le deuxième trimestre 2003 et le premier trimestre 2008. Elles ont ainsi contribué à, respectivement, 5,4 et 3,5 points de la croissance en 2006 (3,2%) et 2007 (2,6%).
En 2008, elles ont contribué à 1,1 point de la croissance (1%) malgré l’effondrement des exportations au dernier trimestre (-7,3% t/t) (cf. graphique 1). Au cours de la même période, les exportations de marchandises à destination de l’Asie (12% des exportations totales en 2008) ont augmenté de 60% et celles à destination de l’Union européenne à 27 (64% du total en 2008) de 53,5%. Les économies émergentes, qui ont fortement investi dans l’industrie manufacturière, ont ainsi offert d’importants débouchés aux biens intermédiaires et d’investissement allemands, qui représentaient respectivement 30% et 42,7% des exportations totales de marchandises en 2008.
… et cause essentielle de la violence de la récession
Les exportations se sont repliées de 17,5% entre les premiers trimestres de 2008 et 2009 et se situent désormais au même niveau qu’au printemps 2006. Ce brusque retournement ébranle l’économie allemande, d’autant que la consommation privée pourra difficilement prendre le relais d’une demande externe défaillante.
Le ralentissement de l’inflation depuis la fin 2008 (+0,8% de l’inflation en moyenne au premier trimestre) conforte le pouvoir d’achat des ménages mais il intervient après plusieurs années de faibles hausses de salaires et ne parviendra pas à pallier la détérioration en cours du marché du travail. En outre, si des hausses de salaires ont été consenties en 2007 et 2008, elles interviennent après plusieurs années de modération des revenus d’activité. Les salaires et traitements nets ont augmenté de respectivement 3% et 2,9% en 2007 et 2008 et les cotisations sociales salariés de 2,7% et 5,2%, alors que le taux d’inflation était de 2,3% et 2,8% en 2007 et 2008.
La chute des exportations fragilise fortement les entreprises, d’autant que les coûts salariaux unitaires horaires ont parallèlement vivement progressé à partir de l’automne 2008 (8,4% g.a. au premier trimestre 2009), compte tenu de la dégradation de l’activité. Le taux d’utilisation des capacités de production dans le secteur manufacturier s’est ainsi effondré. Avoisinant 82% du début 2002 au printemps 2005, il oscillait autour de 87% jusqu’à l’automne dernier, avant de reculer brusquement pour passer sous 72% en avril 2009. La productivité par employé a ainsi stagné en 2007, avant de chuter au dernier trimestre 2008 (-2,8% q/q) (cf. graphique 2). Dans un premier temps, les entreprises ont, en effet, préféré conserver des salariés qu’elles ont déjà formés en attendant une reprise de la production. Autant d’éléments qui érodent les profits et nuisent à la compétitivité des entreprises.
Toutefois, l’Allemagne devrait passer le cap de la crise et profiter du rebond de la croissance mondiale
Les entreprises allemandes bénéficient d’une bonne assise financière. Leur santé financière s’est, en effet, améliorée à partir du début des années 2000. Le taux de marge (ratio de l’excédent brut d’exploitation à la valeur ajoutée) des sociétés non financières (SNF) a gagné 4 points entre 2000 et 2006 pour dépasser 41%.
Compte tenu de la forte croissance du PIB en 2007 et début 2008, il a vraisemblablement peu évolué. Les entreprises allemandes ont, par ailleurs, faiblement eu recours au crédit pour financer leurs investissements. Selon les dernières données fournies par la Commission européenne, le taux d’autofinancement, qui avoisinait 58,8% de la valeur ajoutée en 2000, un point bas, était de 93,2% en 2006.
Les entreprises disposent ainsi d’une autonomie qui leur permet de faire face tant à la forte concurrence qu’à un durcissement des conditions d’octroi du crédit. En baisse entre début 2004 et 2007, le nombre de faillites d’entreprises reste d’ailleurs pour l’instant stable.
Si certaines PME, qui composent une part prépondérante du tissu industriel allemand (40% des dépenses d’investissement dans le secteur manufacturier en 2007), avaient tissé des liens étroits avec les banques régionales, fortement mises à mal par la crise financière, les entreprises, dans leur ensemble, parviennent à résister à l’effondrement de l’activité et à la crise du système bancaire. Le rythme de progression de distribution du crédit a certes ralenti à la fin 2008 mais, selon l’enquête de la Bundesbank réalisée auprès des établissements de crédit sur l’évolution escomptée des demandes de crédit, la demande de crédit des entreprises a diminué ; l’indice est passé de 69 en avril 2007 à -4 en juillet 2008 et à 8 en avril 2009.
… aux aides gouvernementales…
Les mesures gouvernementales ont atténué la progression du chômage fin 2008 et début 2009 ; elles permettent actuellement aux entreprises de conserver des salariés à un moindre coût. Celles-ci peuvent désormais avoir recours au chômage partiel pour une durée de 18 mois contre 12 mois à l’origine, avec la possibilité de fractionner les périodes soumises au chômage partiel. Le gouvernement prend également en charge la moitié des cotisations de sécurité sociale, la totalité si le salarié suit une formation.
La question du financement des aides gouvernementales est actuellement laissée en suspens à l’approche des élections législatives en septembre. Le déficit du budget fédéral passera de -0,1% du PIB en 2008 à près de 5% en 2009. Les stabilisateurs automatiques contribuent largement au creusement du déficit, mais les mesures discrétionnaires mises en œuvre à partir de la fin 2008 ont alourdi la charge des dépenses publiques et de la dette qui devra à terme être financée. Les efforts entrepris par l’Allemagne à partir des années 1990 lui ont permis d’asseoir durablement sa compétitivité, mais une mise à contribution trop importante des entreprises à la consolidation des finances publiques y nuirait. Mais ces mesures atténuent la progression du chômage, contribuent à soutenir la consommation et offrent la garantie aux entreprises de disposer rapidement d’une main-d’œuvre qualifiée lorsque la reprise de l’activité sera amorcée.
… et aux ajustements en cours opérés par les entreprises
La poursuite de la dégradation de l’activité au cours des prochains mois affectera le marché du travail, et la progression des salaires va probablement marquer une pause jusqu’en 2011. L’effet des mesures gouvernementales va s’estomper compte tenu de la faiblesse persistante de l’activité, et les entreprises vont ajuster progressivement leurs effectifs à la conjoncture. Selon les données préliminaires publiées par l’Office fédéral du Travail, le taux de chômage (données nationales) s’établissait à 8,2% en mai, en hausse de 0,6 point par rapport au point bas de novembre 2008.
Le nombre de chômeurs progresse, par ailleurs, à un rythme soutenu ; il a ainsi augmenté de 277 000 depuis octobre 2008. De plus, 243 000 emplois ont été supprimés entre novembre 2008 et avril 2009 (cf. graphique 7).
A cet égard, l’envolée du nombre de personnes à temps partiel (+3,4 millions depuis septembre 2008) augure la poursuite de la progression du nombre de chômeurs à un rythme soutenu au cours des prochains mois. Les ajustements seront progressifs, mais les coûts salariaux devraient diminuer. Les salaires et traitements nets ont déjà reculé au premier trimestre 2009 (-1,3% g.a.).
Les difficultés économiques de l’Allemagne sont principalement liées à la faiblesse de la demande et non à l’insuffisance de la distribution de crédits. Les efforts accomplis ces dernières années ont permis aux entreprises de résister à l’effondrement de la production. Néanmoins, compte tenu du maintien à un bas niveau de l’activité au cours des prochains trimestres, les entreprises devront procéder à de forts ajustements, en particulier au niveau des effectifs, pour conserver leur compétitivité et pouvoir tirer pleinement profit de la reprise de la demande mondiale. Ainsi, grâce à l’évolution positive des exportations en 2010, le PIB devrait renouer avec la croissance l’année prochaine, après une contraction prévue de près de 6% en 2009.