par Edward Bonham Carter, Vice-Président de Jupiter AM
A l'image de ce qui s'est passé ces 12 derniers mois, le comportement des marchés financiers devrait laisser économistes et investisseurs perplexes. On peut cependant espérer que les actions génèrent des revenus raisonnables si l'inflation reste contenue et que les taux d'intérêts américains poursuivent une remontée lente et régulière.
Aussi bien les marchés que les différentes économies ont adopté ces 12 derniers mois des trajectoires déconcertantes aux yeux des investisseurs et des économistes et il y a peu de raison de penser que ça ne sera pas également le cas en 2018.
Un des points les plus déroutants a été la forte hausse des marchés actions partout dans le monde malgré une série de nouvelles qui, en temps normal, auraient dû freiner l'appétit des investisseurs pour des actifs aussi risqués que les actions. En effet, la présidence peu orthodoxe de Donald Trump, les négociations complexes du Brexit, la montée du nationalisme en Europe, les troubles qui perdurent au Moyen-Orient et l'instabilité dans la péninsule coréenne ont constitué la toile de fond des gains de cette année. Même si les marchés sont restés optimistes, des situations qui semblent contenues peuvent rapidement dégénérer et déclencher des ventes massives. Il sera plus important que jamais, l'an prochain, de surveiller les menaces géopolitiques.
Tout devient un peu trop cher
Ce qui est encore plus étonnant, c'est que les marchés, dans l'ensemble, sont plutôt chers. Si on considère le P/E prévisionnel, un indicateur majeur pour évaluer si une action est correctement valorisée, nombreux parmi les principaux indices comme le FTSE All-Share, le S&P 500 ou le MSCI Emerging Markets se traitent à des niveaux proches de leurs records historiques.
Cette combinaison de nouvelles préoccupantes et de valorisations élevées fait que cette hausse des actions se fait, selon moi, à marche forcée et le moment de la correction paraît approcher. Il semble bien que la fête soit bientôt finie, et les rumeurs de marchés sur un éventuel repli ne sont pas rares. Bien sûr certains ont déjà joué aux Cassandre avant, notamment ceux qui étaient sous-investis dans le rally actuel et attendaient une baisse pour se lancer, mais il y a cette fois-ci de fortes raisons de penser que cela va arriver.
Une inflation sous surveillance
La croissance devrait cependant rester favorable pour les marchés en 2018, les marchés émergents jouissant d'une sorte de parenthèse enchantée, avec une croissance ni trop forte pour générer de l'inflation, ni trop faible pour provoquer une hausse du nombre de chômeurs. Toutefois les perspectives d'évolution de l'inflation resteront une source de préoccupation en 2018. Une question reste notamment en suspens : combien de temps la hausse des salaires va pouvoir rester contenue dans des pays comme le Royaume-Uni ou les Etats-Unis avec des marchés du travail aussi serrés? Les discussions sur la défaillance de la courbe de Phillips – le fameux concept développé par l'économiste anglais A.W. Phillips qui avance qu'un faible niveau de chômage entraine inévitablement une pression sur les salaires et sur l'inflation – devraient continuer à aller bon train. Vraisemblablement, la courbe de Phillips fonctionne toujours même si le lien s'est affaibli du fait de la mondialisation et de la technologie. Le pouvoir de négociation des salariés sur les salaires est bien moins important que lors des cycles précédents étant donné que les consommateurs "importent" du travail peu cher en achetant de plus en plus en ligne des produits fabriqués à l'étranger dans des pays pratiquants des salaires peu élevés.
Par ailleurs, l'innovation technologique continue de faire des percées dans tous les secteurs partout dans le monde, maintenant à leur niveau les prix des biens et services, voire les faisant baisser. Si l'inflation venait à augmenter, on pourrait s'attendre à ce que la Réserve Fédérale et d'autres banques centrales accélèrent la cadence des hausses des taux.
Un équilibrage subtil
Dans ce scenario, l'année à venir pourrait s'avérer très différente de celle qui vient de s'écouler. Un environnement de hausse des taux favoriserait les actions au détriment des obligations, mais la confiance des marchés pourrait être ébranlée à mesure que les hausses de taux feraient augmenter les taux de défaut, mèneraient les entreprises et les particuliers à la faillite et mettraient la croissance sur pause. Le prix du risque subit depuis si longtemps une distorsion due aux baisses de taux des banques centrales et à leurs programmes de rachat d'actifs (assouplissement monétaire) pour stimuler la croissance que toute tentative de ramener les taux à leur moyenne historique pourrait s'avérer douloureuse, notamment si cela se faisait trop rapidement. D'ailleurs, depuis le temps que les taux longs sont maintenus si bas, de quelle moyenne parle-t-on quand on parle de retour à la moyenne ? Doit-on prendre une moyenne historique sur 10 ans, sur 20 ans ou doit-on même remonter encore plus loin? Un autre casse-tête pour 2018.
Globalement, cependant, les banquiers centraux devraient vraisemblablement faire remonter les taux petit à petit pour prévenir la disparition de la croissance qu'ils ont eu tant de mal à alimenter avec l'assouplissement monétaire. Néanmoins, une forte vigilance et une allocation diversifiée devraient contribuer à atténuer les risques. A une période où les valorisations sont élevées, ce qui importe est ce qui est relativement peu cher, et non peu cher d'une manière absolue. Enfin, si je devrais faire une dernière remarque, ce serait celle-ci: il est humain de vouloir appréhender l'investissement en termes de cycles annuels, mais les marchés sont en réalités un continuum et il est bien trop facile d'oublier certaines des tendances de long terme qui génèrent du rendement : le vieillissement de la population en Occident mais aussi l'essor de la jeunesse sur les marchés émergents, l'avènement de l'intelligence artificielle, la renaissance de la Chine, et des Etats-Unis qui, malgré les troubles actuels, restent une des économies les plus innovantes du monde.
Les actions, dans ce contexte, devraient générer des revenus raisonnables tant que l'inflation ne grimpe pas en flèche et que les taux remontent lentement mais sûrement. Les valorisations de marché, comme nous l'avons déjà souligné, sont proches de leurs records historiques, un facteur qui peut entraver les revenus qui peuvent être atteints en 2018. En ce qui concerne les obligations, l'élément clé, dans un environnement inflationniste, est la flexibilité. Une stratégie qui a la possibilité d'investir sur tous les pans du marché obligataire a de meilleures chances, selon moi, d'affronter une année qui pourrait s'avérer compliquée pour les obligations. Par ailleurs, les tendances d'investissement de long terme sont en faveur des marchés émergents, mais comme toujours, seule une grande discipline permettra de surmonter la volatilité inhérente aux économies en phase de développement qui en sont le théâtre.