Climat : peu d’avancées à la COP23

par Raymond Van der Putten, Economiste chez BNP Paribas

Les résultats de la COP23 à Bonn ont été décevants : aucune décision ferme n’a été prise concernant la procédure visant à rehausser les engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre et à préciser les conditions du financement climat destiné aux pays en développement.

L’investissement dans les technologies bas carbone, qui se traduit par une baisse de la part des combustibles fossiles, est essentiel à la diminution de la teneur en carbone de l’énergie.

Conscientes des conséquences possibles du réchauffement climatique, des institutions financières se détournent des combustibles fossiles pour investir dans les sources d’énergie renouvelable.

La 23e Conférence des Parties à la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP23) s’est tenue, en novembre, à Bonn, sous la présidence des îles Fidji. Le principal objectif était de régler les questions techniques de la mise en œuvre de l’Accord de Paris sur le climat, adopté lors de la COP21 en 2015. Ces aspects techniques devraient être finalisés l’année prochaine, lors de la COP24 en Pologne.

La conférence ne s’est pas déroulée sous les meilleurs auspices. La décision des États-Unis de se retirer de l’Accord de Paris, prise il y a quelques mois, n’a pas permis de maintenir la dynamique sur le climat qui avait suivi la COP21. De plus, pendant la conférence, le Projet mondial sur le carbone a annoncé que les émissions de CO2 avaient augmenté d’environ 2% en 2017, après être restées globalement inchangées en 2014-2016.

Les résultats de la conférence de Bonn ont été décevants. Aucune décision précise n’a été prise concernant le processus d’inventaire des actions sur le climat adoptées au plan national, une question qui sera examinée à la conférence sur le climat de l’année prochaine. De plus, il n’y a eu aucun progrès sur l’importante question du financement accordé par les pays développés aux pays en développement pour la mise en œuvre de politiques climatiques. Un travail considérable reste à accomplir dans les mois à venir pour décider de ces questions à la COP24.

On peut néanmoins noter quelques évolutions encourageantes. Ainsi, de plus en plus d’initiatives sont adoptées pour réduire l’utilisation des combustibles fossiles. Lors de la Conférence de Bonn, un petit groupe de pays a ainsi lancé l’« Alliance pour la sortie du charbon », visant l’abandon de ce combustible comme source d’énergie d’ici 2030 dans les pays développés et 2050 dans le reste du monde.

De plus, le secteur financier est désormais bien plus conscient des menaces liées au changement climatique au point que les institutions financières se désinvestissent du secteur des combustibles fossiles. Lors du sommet « One Planet », qui s’est tenu à Paris en décembre, la Banque mondiale a annoncé qu’elle allait cesser d’accorder son concours financier aux activités d’exploitation pétrolière et gazière dans les deux prochaines années.

Des revers depuis l’Accord de Paris

L’Accord de Paris sur le climat a pour objectif de stabiliser le réchauffement climatique bien en deçà de 2°C par rapport aux niveaux de l’ère préindustrielle, en renforçant les efforts pour atteindre la cible de 1,5°C. De plus, les pays développés se sont engagés à accorder des financements aux pays en développement en vue d’atténuer le changement climatique et de s’y adapter. Ces financements devraient atteindre USD 100 mds d’ici à 2020.

L’accord est entré en vigueur le 4 novembre 2016, trente jours après sa ratification par au moins 55 pays responsables d’au minimum 55 % des émissions totales de gaz à effet de serre. En novembre, le nombre de signataires était passé à 170. La progression vers les objectifs fixés s’est cependant heurtée à plusieurs difficultés au cours de l’année écoulée. Le 1er juin, tout d’abord, le président des États-Unis, Donald Trump, a annoncé que son pays se retirerait de l’accord sur le climat. Ce fut un sérieux revers, les États-Unis étant responsables de 15 % des émissions globales, derrière la Chine, le plus gros émetteur de gaz à effet de serre. De plus, les émissions américaines par habitant sont près de quatre fois supérieures à la moyenne mondiale.

Deuxième déconvenue : l’annonce selon laquelle, après trois années de stagnation, les émissions de dioxyde de carbone pourraient avoir augmenté de plus de 2 % en 2017, ce qui n’est pas en totale contradiction avec le scénario de 2°C, qui prévoit une hausse des émissions de carbone jusqu’en 2023. Cependant, ce pourrait être aussi le signe d’une trajectoire d’émissions portant le réchauffement climatique bien au-delà de l’objectif de 2°C.

Les objectifs climatiques manquent d’ambition

Pour parvenir à une diminution des émissions de carbone, les signataires de l’Accord de Paris sur le climat ont choisi une stratégie différente de celle du Protocole de Kyoto. Tout d’abord, tous les pays se sont engagés volontairement sur un ensemble d’objectifs, alors qu’à Kyoto, seuls les pays développés étaient concernés. Cependant, dans la pratique, les cibles de Kyoto n’étaient pas très contraignantes, ce qui permettait à la totalité des pays, ou presque, d’atteindre leurs objectifs sans trop de difficultés1.

Ensuite, le protocole de Kyoto a suivi une approche « top down » tandis que l’Accord de Paris a opté pour une méthode « bottom-up ». Avant la tenue de la COP21, chaque pays a remis ses propres objectifs en faveur du climat, les fameuses contributions nationales des États (NDC ou Nationally Determined Contributions).

Cependant, comme ces contributions ont été présentées sous des formats différents et à des périodes différentes, il est difficile de les comparer. Pour progresser sur ce sujet en vue de la prochaine présentation en 2020, des règles communes de reporting doivent être adoptées lors de la COP24 l’année prochaine.

L’Accord de Paris reconnaît d’ores et déjà que les contributions nationales des États ne suffiront pas à éviter les dangereux effets du changement climatique et que des objectifs plus ambitieux s’imposent. Selon le tableau de bord sur le climat, la mise en œuvre des NDC entraînerait un réchauffement attendu de 3,3°C, avec une marge d’incertitude de 1,9 – 4,4 °C, contre 4,2°C dans le scénario du statu quo. Selon les conclusions de chercheurs du MIT, la hausse de la température pourrait être proche de 3,7°C, soit seulement 0,2 degré en dessous du scénario du statu quo.2 Il semble donc que les pays aient seulement souhaité s’engager en faveur d’objectifs proches de la baisse tendancielle de la teneur en carbone de l’énergie.

Les contributions nationales devraient être progressivement révisées à la hausse. Les pays se sont mis d’accord pour faire le bilan des progrès accomplis lors de la COP24 en Pologne. Les informations ainsi recueillies seront utilisées lors du prochain cycle de révision des NDC en 2020. À l’occasion de la Conférence de Bonn, cet état des lieux, que l’on appelait auparavant « dialogue de facilitation », a été rebaptisé « dialogue de Talanoa », en référence à un processus traditionnel de dialogue inclusif, participatif et transparent, en usage dans les îles Fidji et le Pacifique. Quoi qu’il en soit, on ignore encore quel sera son mode de fonctionnement.

La décarbonation implique l’abandon progressif des combustibles fossiles Ted Nordhaus et Jessica Lovering3 ont étudié l’impact des engagements internationaux de réduction des émissions sur le niveau réel des émissions. Leurs résultats sont contrastés. Premièrement, il est vrai que la teneur en carbone de l’énergie a reculé dans les pays développés signataires du Protocole de Kyoto. On ignore cependant dans quelle mesure cette diminution est imputable aux politiques sur le climat plutôt qu’aux évolutions macro-économiques et technologiques exogènes. En réalité, la teneur en carbone avait déjà amorcé une baisse avant le Protocole de Kyoto, et cette tendance s’est affaiblie au cours de la décennie qui a suivi la signature. Les pays européens ont honoré leurs engagements de réduction des émissions, principalement en raison de la baisse des émissions, due à l’effondrement de la production industrielle dans le sillage de la crise financière mondiale.

Le repli de la production industrielle est également l’une des raisons pour lesquelles le système d’échange de quotas d’émission de l’UE n’a pas correctement fonctionné. Suite à une offre excédentaire de quotas, les prix se sont effondrés. Depuis 2012, ils sont restés inférieurs à EUR 10, un niveau bien trop bas pour encourager les investissements en technologies bas carbone. Cependant, la part des énergies renouvelables a considérablement augmenté au sein de l’UE depuis la mise en place du système d’échange de quotas. Une progression qui est toutefois due aux mesures visant à encourager le développement des énergies renouvelables, comme les subventions et les tarifs de rachat.

Deuxièmement, l’investissement dans les technologies sobres en carbone, et c’est là un facteur essentiel, a entraîné une réduction de la part des combustibles fossiles. L’Allemagne a accru la part des énergies renouvelables dans la production d’énergie primaire, de 7 % en 1990 à 21 % en 2015. Toutefois, l’intensité carbone de l’économie allemande est restée relativement élevée de sorte que cette dernière pourrait rater l’objectif carbone pour 2020, les énergies renouvelables ayant servi à remplacer l’énergie nucléaire. En revanche, le Royaume-Uni a réussi à abaisser sensiblement la teneur en carbone de l’énergie. Outre la fixation d’objectifs d’émission, d’autres politiques ont été mises en place, dont des incitations en faveur des énergies renouvelables et des objectifs d’élimination progressive du charbon et de remplacement de ce dernier par le gaz. Selon T. Nordhaus et J. Lovering, pour obtenir de réels progrès sur la décarbonation, mieux vaut des politiques (énergétiques, industrielles et en matière d’innovation) spécifiques à l’échelle nationale que des objectifs et des calendriers, ou encore des accords internationaux visant à restreindre par des dispositions légales les émissions nationales.

Pas de décision claire sur le financement climat

Une fois de plus, aucun progrès n’a été accompli sur une question très sensible, celle de l’engagement des pays développés à mobiliser des ressources financières et à affecter des financements aux projets d’atténuation et d’adaptation au changement climatique, devant être mis en œuvre dans les pays en développement. La promesse faite en 2009, lors de la COP15 de Copenhague, de mobiliser USD 100 mds par an à partir de 2020, a été réaffirmée ensuite COP après COP. Pour instaurer des relations de confiance entre le Nord et le Sud, il est important que les pays industrialisés honorent leurs engagements. Or, le temps est désormais compté.

Les pays développés affectent d’ores et déjà des fonds dédiés aux projets pour le climat dans le monde en développement. Selon l’OCDE, les financements publics pour le climat, qui représentaient environ USD 40 mds sur la période 2012-2014, pourraient être portés à USD 66,8 mds en 2020. Des cofinancements avec le secteur privé devraient couvrir le solde. Le Royaume-Uni et l’Australie ont, à partir de ces chiffres, présenté une feuille de route indiquant comment les pays développés pourraient atteindre leur objectif de USD 100 mds. Or, les parties ne parviennent pas à se mettre d’accord sur une définition du financement pour le climat, sur les montants affectés aux projets d’atténuation et d’adaptation ni sur la part des fonds alloués sous forme de subventions. La COP23 a décidé de débattre de ces questions lors de réunions intermédiaires précédant la COP24.

Quelques évolutions encourageantes dans le secteur financier

La COP23 a manqué de détermination face aux énormes défis auxquels le monde doit faire face. Des évolutions importantes ont néanmoins eu lieu en faveur d’une diminution de l’utilisation des combustibles fossiles. À la Conférence de Bonn, le Royaume-Uni et le Canada ont ainsi lancé l’« Alliance mondiale pour la sortie du charbon ». Vingt pays et acteurs régionaux, dont les États américains de Washington et de l’Oregon, ont décidé de la rejoindre. L’objectif est l’abandon progressif du charbon dans les pays de l’OCDE et les 28 États membres de l’UE d’ici 2030 et d’ici 2050, au plus tard, dans le reste du monde. Un bémol toutefois : les plus gros producteurs et consommateurs de charbon, à savoir les États-Unis, l’Allemagne, la Pologne, l’Australie, la Chine et l’Inde, n’y ont pas adhéré.

En outre, le secteur financier est de plus en plus sensible aux risques liés au changement climatique: aux dommages directs causés aux actifs, s’ajoutent les atteintes à la réputation. En 2015, le gouverneur Mark Carney de la Banque d’Angleterre a mis en garde contre les graves conséquences du changement climatique pour les acteurs financiers, les investisseurs à long terme, comme les compagnies d’assurance-vie, étant tout particulièrement exposés.4 Les chiffres en témoignent : depuis les années 1980, le nombre de sinistres enregistrés, liés à des événements climatiques, a été multiplié par trois, tandis que les pertes corrigées de l’inflation du secteur de l’assurance sont passées de USD 10 mds par an dans les années 1980 à USD 50 mds au cours de la dernière décennie. M. Carney a demandé l’adoption de normes plus strictes en matière de communication des entreprises pour une meilleure évaluation, par les investisseurs, des risques liés au changement climatique.

Le secteur financier n’a pas tardé à réagir. Les gérants d’actifs prennent de plus en plus en considération l’empreinte carbone de leurs investissements. Certaines institutions financières ont déjà annoncé qu’elles cessaient le financement de projets de centrales au charbon et augmentaient celui des énergies bas carbone et des renouvelables. Lors du sommet « One Planet », qui s’est tenu en décembre à Paris, la Banque mondiale a même annoncé qu’elle arrêterait de financer l’exploration pétrolière et gazière dans les deux prochaines années.

NOTES

  1. Les Etats-Unis n’ont jamais signé le Protocole de Kyoto et le Canada, jugeant ses objectifs inaccessibles, s’en est retiré.
  2. MIT Joint Program on the Science and Policy of Global Change, 2015 Energy and Climate Outlook
  3. Voir Ted Nordhaus et Jessica Lovering (2016), Does Climate Policy Matter?, The Breakthrough Institute.
  4. Mark Carney, « Breaking the tragedy of the horizon », discours prononcé à Lloyd’s of London, 29 septembre 2015

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