par Raphaël Gallardo, Stratégiste multi-assets Investissement et Solutions Clients chez Natixis AM
Si 2017 fut pour l’économie mondiale l’année de la reflation, 2018 sera très probablement celle de la normalisation des politiques monétaires.Extinction graduelle du QE en Europe et au Japon, cherté des matières premières, appréciation des devises contre dollar, tentative de deleveraging en Chine : beaucoup d’économies devraient faire leur pic de croissance en cours d’année. Parmi les économies développées, seuls les Etats-Unis pourraient accélérer sous l’effet d’une politique budgétaire laxiste et de l’effet retardé de la faiblesse du dollar.
Mais la cherté des actions américaines (PE>18) incite à rechercher des sources de croissance diversifiante en dehors d’Amérique. Nous pensons que le marché indien offre a ce titre des perspectives intéressantes.
Certes, le marché indien est cher : en termes de PER, il pulvérise les niveaux des autres émergents, avec un ratio supérieur à celui des Etats-Unis. Et ce constat reste vrai même une fois retraité de la composition sectorielle du MSCI India, qui est très fortement pondéré en valeurs technologiques. La cherté relative du marché demeure également lorsqu’on ajuste son ratio cours/valeur comptable (P/B) des différentiels de rendement du capital : l’Inde offre un RoE supérieur à ses concurrents émergents, mais inférieur à celui de Wall Street ; or l’Inde se traite quasiment au même niveau de P/B que les actions américaines.
Malgré cette cherté historique, nous faisons le pari des actions indiennes car nous croyons à un scenario de reprise économique forte et durable, de surcroit moins vulnérable aux aléas de la conjoncture internationale.
Parmi les « Fragile Five » (Inde, Brésil, Turquie, Indonésie, Afrique du Sud) pointés du doigt en 2013 au moment du « taper antrum », l’Inde est probablement le pays qui a le plus réduit ses vulnérabilités externes. Le déficit courant a été ramené de 5% du PIB en 2013, à 1% en 2017, et est couvert par des flux d’investissement direct stables. Le déficit budgétaire a été réduit de 5% du PIB à 3.5%, et devrait continuer à baisser grâce aux rentrées fiscales issues de la nouvelle Good & Services Tax (GST).
Ces progrès ont été récemment salués par l’amélioration de la note souveraine du pays a Baa2 par Moody’s. Le pays reste vulnérable à une hausse du prix du pétrole dont il est un gros importateur, mais les taux réels élevés offerts sur les titres indiens devraient permettre de continuer à attirer les capitaux (notamment via les émissions off-shore de titres en roupies, surnommées ‘Masala bonds’).
L’effet d’éviction de la dette publique a fait que le secteur privé a appris à vivre, et à croitre à hauteur de 5-7% par an, avec des taux réels positifs, ce qui a évité le surinvestissement et mal-investissement qui oblige aujourd’hui la Chine a un ajustement délicat.
Enfin, nous pensons que les reformes mises en place par le gouvernement de Narendra Modi devraient achever de libérer le gigantesque potentiel de croissance du sous- continent. Le pays bénéficie à la fois d’un dividende démographique (croissance de la population de 1.2%) et d’une capacité technologique forte, comme l’atteste le succès du programme AADHAAR. Relever le niveau d’éducation demeure un défi, mais des sauts technologiques («frogleaps») sont possibles dans de nombreux secteurs comme les services financiers, les télécoms et la distribution.
L’Inde a besoin pour cela d’unifier son marché domestique et d’une allocation efficiente de son épargne nationale. Les reformes phares de Modi sont en ce sens extrêmement prometteuses. Avec la création d’une taxe nationale sur les ventes de biens et services, les 36 Etats indiens ont signé l’équivalent de leur Traité de Rome créant le marché commun. Le plan de recapitalisation des banques de 32mrd$, la taxe sur l’or et la campagne de démonétisation devraient canaliser une partie de l’épargne populaire vers les banques. L’adoption d’un régime de ciblage de l’inflation par la RBI et la réduction du déficit public devraient faire baisser les taux réels. Enfin, la réforme du droit des faillites doit rendre les banques moins frileuses dans leurs prêts au secteur privé.
Tous les éléments se mettent en place pour une plus grande intermédiation de l’épargne par le secteur bancaire et son allocation vers le secteur productif.
Les gains de productivité potentiels liés à l’unification du marché domestique sont potentiellement colossaux si le secteur financier parvient à financer les infrastructures nécessaires. Le rebond récent du crédit nous incite à faire ce pari. Certes, avec un PE de 18, le droit d’entrée est cher, mais ce niveau de prime est parfaitement en ligne avec le rebond cyclique auguré par l’indicateur avancé PMI. Il reste à espérer que Modi maintienne le cap des réformes et ne succombe pas aux sirènes populistes a l’approche des élections générales de 2019.