par Tawhid Ali, European Equity portfolio manager chez AllianceBernstein (AB)
Les investisseurs évoluent aujourd’hui dans une Europe très différente de celle qu’ils ont connue il y a un an. Les négociations du Brexit vont probablement s’éterniser et l’on devra sans doute tenir compte des perturbations qu’occasionneront les aléas politiques italiens. Mais la vie politique européenne n’est plus un facteur de risque aussi inquiétant.
Les perspectives de croissance macroéconomique de la région sont prometteuses. On s’attend par exemple à ce que l’économie de la zone euro croisse de plus de 2 % cette année et nombre d’entreprises constitutives de l’indice MSCI Europe devraient afficher une croissance des bénéfices à deux chiffres. À la fin de l’année 2017, les actions européennes s’échangeaient à un cours inférieur de 20 % à celui de leurs homologues américaines.
Nous pensons que les incohérences observables dans la valorisation de nombreuses actions européennes sont un critère de sélection tout à fait exploitable. Nous pouvons repérer des actions beaucoup plus saines qu’on ne le croit. En axant leur analyse sur les fondamentaux des entreprises, les investisseurs pourront s’affranchir des conclusions un peu hâtives que génèrent l’analyse des industries et des pays et dénicher ces « vilains petits canards » – les entreprises sous-valorisées dont on sous-estime le rendement potentiel.
Amer Sports, ou comment identifier une entreprise saine
Amer Sports est un parfait exemple d’entreprise dévalorisée par des ratios peu attrayants. En 2017, les actions de l’entreprise finlandaise de vêtements de sport ont souffert de la désaffection des investisseurs qui craignaient que la faiblesse de ses stocks américains ne soit le symptôme d’un moindre engouement pour deux de ses marques plus populaires en Amérique du Nord qu’en Europe – Wilson et Arc’teryx. Nous pensons que l’analyse des investisseurs repose sur des fondements erronés. Ils assimilent cette entreprise aux détaillants américains du secteur du textile sportif, lesquels ont accumulé des excédents de stocks suite aux diverses offensives de leurs rivaux en ligne. Nos recherches montrent que ces données sont trompeuses. La faiblesse des stocks d’Amer Sports ne signifie en aucun cas que l’entreprise perd des parts de marché. Elle témoigne plutôt de la transition que connaît ce marché vers la vente en ligne, une évolution qui perturbe la gestion des stocks de l’entreprise. Toujours selon nos recherches, les flux de trésorerie d’Amer Sports sont sains et nous pensons que les stocks vont se stabiliser à un niveau qui deviendra la nouvelle norme en la matière, dans un environnement où la vente en ligne occupera une place beaucoup plus importante.
Caixa Bank, ou comment une réputation pâtit d’une situation géographique
Une conjoncture défavorable peut parfois déteindre sur les actions des entreprises qui opèrent dans la zone géographique concernée. La banque espagnole CaixaBank peut en témoigner. Son image a été ternie simplement parce qu’elle est basée à Barcelone et qu’on l’a jugée vulnérable aux turbulences indépendantistes qui agitent la Catalogne. Nous pensons, pour notre part, que ses activités sont résilientes – et relativement imperméables aux aléas de la politique locale.
Dotée du plus grand réseau d’agences en Espagne, CaixaBank détient 18 % du marché national de la banque de détail. L’Espagne poursuit son redressement après une longue période de marasme économique et, dans ce contexte, CaixaBank voit s’améliorer la qualité de son portefeuille de prêts, la structure de ses coûts de financement et la stabilité de ses marges. Grâce à la solide position qu’elle occupe sur le marché de la banque de détail, l’entreprise profite plus que ses concurrentes de la vente croisée des services financiers connexes – comme les assurances et les fonds de placement – qu’elle propose à ses très nombreux clients.
Airbus, ou l’éternelle incomprise
Airbus a depuis longtemps opéré sa révolution interne mais doit encore reconstruire sa réputation. Nombre d’investisseurs pensent encore qu’Airbus souffre d’une médiocre gouvernance d’entreprise parce qu’elle a été dirigée par quatre gouvernements européens avant les changements opérés dans la structure de son actionnariat en 2012. Les actions de l’entreprise semblent perpétuellement en crise et s’échangent avec une décote de 20 à 30 % – sur la simple base des bénéfices – par rapport à celles de Boeing, son principal rival. Pourtant, les deux entreprises vendent des produits similaires à des clients similaires, dégagent des marges de trésorerie similaires et sont exposées à une pression similaire des forces du marché.
Pourquoi Airbus se heurte-t-elle à tant de pessimisme ? Nous pensons que ses difficultés tiennent plus aux cycles des produits qu’à une hypothétique faiblesse propre à l’entreprise. Airbus fabrique le A350, un avion de ligne long-courrier concurrent direct du 787 Dreamliner de Boeing. Boeing est en avance de plusieurs années sur Airbus dans le cycle de son produit. Airbus dépense donc des sommes considérables pour construire des avions dont le prix ne s’est pas encore stabilisé. Les flux de trésorerie d’Airbus sont donc incomparablement moins abondants que ceux de Boeing. Mais cet état de fait pourrait bien évoluer à mesure qu’Airbus rattrapera son retard dans le cycle.
Les investisseurs qui accorderont trop d’importance à la situation géographique des entreprises où qui feront une interprétation erronée des indicateurs d’un modèle économique sain pourraient bien passer à côté des possibilités offertes par les entreprises sous-valorisées. En revanche, les plus avisés ne se laisseront pas distraire par le bruit ambiant et parviendront à identifier et à sélectionner ces « vilains petits canards ».