par César Perez Ruiz, Directeur des investissements chez Pictet Wealth Management
La chute des marchés actions et obligataires fin janvier et début février était largement imputable à des raisons techniques, la poussée de volatilité ayant été pour une bonne part déclenchée par des ventes automatiques. Mais les futures poussées pourraient bien avoir d’autres causes. C’est pourquoi nous surveillerons de près l’évolution de la dynamique entre croissance économique, multiples bénéficiaires et inflation dans la période qui vient.
L’évaluation optimiste de la conjoncture américaine faite par le nouveau président de la Réserve fédérale, Jerome Powell, nous conforte dans nos prévisions de quatre hausses de taux d’un quart de point aux Etats-Unis cette année. Mais il conviendra de surveiller la réaction des marchés en cas d’inflexion de l’attitude de la Fed ou de toute autre banque centrale au cours des prochains mois. Bien que nos prévisions d’inflation sous-jacente aux Etats-Unis restent modérées à court terme et que les objectifs d’inflation de la Banque du Japon et de la Banque centrale européenne soient encore loin d’être atteints, certains risques d’accélération dans ce domaine pourraient relancer les craintes de durcissement supplémentaire de la part des banques centrales.
A ces inquiétudes relativement «normales» quant à l’inflation et à la croissance, il convient désormais d’ajouter des évolutions potentiellement négatives en matière de commerce international. Car comme on a pu le constater, les Etats-Unis sous l’ère du président Trump ont changé les règles du jeu.
Début mars, ce dernier a en effet annoncé de nouveaux tarifs douaniers applicables à l’acier et à l’aluminium. On peut certes espérer qu’il y ait encore loin de la coupe aux lèvres, mais nous devons nous préparer à la possibilité que la Maison-Blanche vire à plus de protectionnisme, avec les importations chinoises en ligne de mire. Toute une génération d’investisseurs n’a connu que la mondialisation et une évolution générale vers la libéralisation des échanges, une montée du protectionnisme leur étant totalement étrangère. Il est donc difficile de croire que les marchés réagiraient calmement dans l’hypothèse de son retour.
Pourtant, les fondamentaux nous confortent dans notre optimisme. La croissance mondiale se montre étonnamment vigoureuse et synchronisée. Les échanges repartent, tirés par le commerce entre pays émergents. Et, grâce aux récentes réductions d’impôts, les perspectives immédiates d’expansion américaine semblent également favorables, soutenues par les dépenses d’investissement et une demande de crédit croissante. Les dépenses de consommation devraient quant à elles être dopées par l’évolution positive du marché de l’emploi et les hausses de salaire aux Etats-Unis.
Valorisations plus attractives
Notre position à l’égard des actions reste positive. Les bénéfices des sociétés du S&P 500 ont progressé de 15% au quatrième trimestre, leur meilleure performance depuis la mi-2014, avec 70% des entreprises dépassant les attentes. En Europe, les marges opérationnelles commencent à rattraper leur retard mais, soutenues par les baisses d’impôts, les marges nettes des sociétés américaines restent bien supérieures. Si elles se montrent prêtes à augmenter sensiblement les salaires et les dépenses d’investissement, les entreprises nippones pourraient également bénéficier de taux d’imposition plus favorables. Nous avons donc une vision favorable concernant les actions japonaises.
La récente vague de ventes a fait chuter la valorisation des actions à des niveaux plus attractifs, à l’aune des ratios cours/bénéfices à 12 mois. Il s’agit d’une bonne nouvelle pour les gérants actifs.
Dans le même temps, les multiples bénéficiaires sont nettement plus concentrés qu’ils ne l’étaient en 2000. Et nous avons besoin de croissance et de marchés qui continuent à performer, car les marges d’erreur sont étroites sur le front des valorisations. Une hausse significative et rapide de l’inflation (ou une guerre commerciale) nous conduirait dès lors à modifier notre position positive face aux actions. Ce n’est toutefois pas notre scénario central: tant que l’inflation reste sous contrôle et que la croissance perdure, les multiples élevés peuvent demeurer intacts.
Dans le sillage des réductions d’impôts votées en décembre, les responsables du Sénat ont accepté d’augmenter les dépenses publiques américaines de 300 milliards de dollars au cours des deux prochaines années, ajoutant ainsi un nouveau stimulus budgétaire. Ce qui démontre le pouvoir de négociation de Trump. Mais au final, le déficit budgétaire américain s’alourdit, ce qui risque de peser sur le dollar, confortant notre décision de conserver une duration courte au niveau des Treasuries américains.