par William De Vijlder, Chef Economiste chez BNP Paribas
Le commerce international est sur un terrain glissant et le partenaire commercial d’hier semble, selon certains, se muer en adversaire. D’aucuns diront qu’une guerre commerciale est facile à gagner mais, en réalité, les conséquences sont complexes et diverses, et au final tout le monde en sort perdant. Prenons l’exemple des tarifs douaniers américains : leur instauration a un effet de substitution (la production américaine remplace les importations dans la mesure où elle peut être augmentée et où elle répond aux exigences des clients) et un effet de redistribution, des pays exportateurs (baisse d’activité) vers les producteurs américains (hausse d’activité).
On constate également une redistribution entre secteurs américains : une hausse des bénéfices des producteurs locaux mais aussi des prix pour leurs clients professionnels et donc une baisse de leur rentabilité. Cette situation peut amener ces derniers à réduire leurs coûts (suppressions d’emplois, baisse de l’investissement). Les ménages verront également les prix augmenter, ce qui pourrait freiner la consommation.
En revanche, les tarifs douaniers vont accroître les recettes publiques, et les pays exportateurs souffriront d’une baisse de leur compétitivité sur le marché américain. Cela donnera lieu à un effet de réorientation des échanges qui se traduira par une offre excédentaire sur les marchés tiers : initialement bilatéral, le problème deviendra alors multilatéral. Aux États-Unis, les taxes sur les importations pourraient avoir un effet inflationniste en cas de basculement important en faveur des fournisseurs nationaux, l’économie étant en situation de plein emploi. Elles pourraient aussi avoir des effets stagflationnistes en cas de substitution limitée des approvisionnements (faible augmentation de la production aux Etats-Unis) et de répercussion des droits de douane sur le client final (hausse de l’inflation qui pèserait sur la demande des ménages et l’investissement des entreprises). Dans les deux cas, la Réserve fédérale devra réagir, ce qui risque de peser sur les marchés financiers et, indirectement, sur les dépenses domestiques. Cela dépendra également de l’importance économique des importations impactées et des éventuelles mesures de rétorsion.
L’impact direct macro-économique peut être limité mais pourrait être considérable pour les secteurs et les entreprises, et il complique considérablement le choix des titres pour l’investisseur. Ainsi, lors de l’introduction de droits sur les importations de panneaux solaires, des études américaines tablaient sur un effet net négatif en termes d’emploi, du fait d’une baisse de la demande, les suppressions de postes chez les installateurs dépassant largement les emplois créés par les producteurs. Mais la principale préoccupation concernant le relèvement des droits de douane est qu’il finisse par accroître durablement l’incertitude et la transforme en vent contraire pour l’économie mondiale.
A l’heure actuelle, trois scénarios sont envisageables. Le premier, très peu probable, est que les Etats-Unis viseraient l’effet médiatique plutôt qu’économique. Les mesures en termes de produits et de pays visés resteraient par conséquent limitées. Le deuxième, tout aussi peu probable, serait une approche dogmatique des Etats-Unis : les relations commerciales se détérioreraient, des sanctions provoquant des contre-sanctions, l’incertitude augmenterait fortement provoquant un net ralentissement de la croissance. Le scénario le plus probable est celui dans lequel les Etats-Unis chercheraient à réduire le déficit commercial par la voie de négociations : menacer de droits de douane permet d’obtenir des concessions des autres pays. Au bout d’un certain temps, le calme reviendrait et l’incertitude baisserait à nouveau. Les conséquences macroéconomiques resteraient alors limitées. A noter, toutefois, le risque d’une réorientation des flux commerciaux. En outre, nous ignorons combien de bras de fer seront engagés.