Que penser de l’amélioration du commerce extérieur américain ?

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Le déficit commercial et en corollaire le déficit courant se sont nettement améliorés fin 2008 et début 2009, se réduisant de moitié par rapport au niveau qui prévalait mi-2008.

Nous nous intéressons dans ce papier aux différents facteurs à la source de cette forte réduction du déficit extérieur pour essayer d’appréhender son caractère durable. Si la chute du prix du pétrole depuis l’été 2008 explique une grande partie de cette amélioration, cet effet prix masque une réduction significative du déficit réel reflétant le ralentissement cyclique précoce des Etats-Unis par rapport au reste du monde et plus marginalement des gains de parts de marché par les entreprises américaines.

Avec la tendance haussière du prix du pétrole et la reprise (certes très modérée) de la demande domestique, le déficit extérieur pourrait s’élargir à nouveau en deuxième partie d’année. En conséquence, après s’être sensiblement réduit en 2009 (à 3,5% du PIB), le déficit courant pourrait se ré-ouvrir dès 2010.

Très nette amélioration du déficit commercial depuis mi-2008

Après s’être légèrement réduit en 2007 et 2008 (à respectivement 700Md$ et 681Md$ après un pic à 753Md$ en 2006), le déficit commercial américain s’est nettement amélioré depuis mi-2008. Il se situait à 29,2 Md$ en avril 2009 (données mensuelles) contre un déficit deux fois plus élevé en juillet 2008 (62,5Md$). Les importations ont en effet reculé de façon nettement plus drastique que les exportations (-31% en glissement annuel en avril pour les importations vs -22% pour les exportations), impliquant un redressement du taux de couverture (exportations/ importations).

Le corollaire est la sensible réduction du déficit courant qui devrait représenter 2,7% du PIB au premier trimestre 2009 contre 5% mi-2008 et 6% en 2006.

Effets prix vs effets volume

Plusieurs facteurs expliquent cette forte réduction du déficit commercial depuis l’été dernier : 

  • Un effet prix du pétrole : les quatre cinquième de la forte réduction du déficit depuis juillet dernier s’expliquent par la chute du prix du pétrole (de 140$ à 50-60$ actuellement).
  • Un effet volume : le dernier cinquième résulte de l’amélioration du solde hors pétrole. L’effet volume peut résulter de facteurs conjoncturels ou structurels.

Toutefois, l’importance relative de l’effet volume et de l’effet prix est sensiblement différente si on analyse l’amélioration du déficit depuis mi-2007 (correspondant également à une réduction de 30Md$ mensuel). En effet, le déficit « pétrole » n’explique plus qu’un tiers de l’amélioration alors que le déficit hors pétrole explique les deux tiers restants. En fait, la réduction du solde hors pétrole sur la période mi-2007/mi-2008 a été complètement masquée par l’ouverture concomitante du solde « pétrole ».

Les facteurs derrière la réduction du déficit hors pétrole

Plusieurs facteurs expliquent l’amélioration du solde hors pétrole :

  • Le ralentissement immobilier des Etats-Unis : la demande intérieure américaine a commencé à ralentir dès le début de l’année 2006 entraînant dans son sillage les importations en volume. Parallèlement la croissance mondiale est restée vigoureuse permettant aux exportations américaines de rester dynamiques jusqu’au troisième trimestre 2008.
  • Outre l’effet écart cyclique, il semble que les entreprises américaines aient gagné des parts de marché pendant cette période, les exportations américaines progressant plus vite que les exportations mondiales. Ce gain (modéré, échelle inversée sur le graphique) peut s’expliquer par la dépréciation passée du taux de change effectif du dollar sur la période 2002 à mi-2008.

Quel effet du taux de change ?

Nous nous interrogeons sur l’impact de la dépréciation du taux de change sur le solde commercial. En théorie, la dépréciation du change a plusieurs effets sur la balance commerciale :

  • Effet prix : la dépréciation du change entraîne une dégradation des termes de l’échange (P/P*) avec P les prix domestiques et P* les prix étrangers, c’est-à-dire en renchérissant les importations et en rendant moins chères les exportations. Cette modification des prix relatifs entraîne un changement dans la structure de la demande aux dépens des importations. 
  • Effet volume : la déformation des prix engendre une baisse des importations et une hausse des exportations grâce à l’amélioration de la compétitivité. Cet effet améliore le solde de la balance commerciale.

L’impact de la dépréciation du change dépend donc de l’ampleur de ces deux effets. L’effet prix est assez immédiat alors que l’effet volume est beaucoup plus long à se matérialiser. C’est pourquoi, en théorie, la dépréciation du change engendre dans un premier temps une dégradation du solde commercial, conséquence de l’effet prix, puis permet une amélioration lorsque l’effet volume se matérialise, ce qui est traditionnellement illustré par la courbe en J.

Le schéma en J n’est vrai que si la condition de Marshall-Lerner est vérifiée. Cette dernière édicte que la dépréciation du change n’a un effet positif sur le solde commercial que si la somme des élasticités prix des exportations et des importations (en valeur absolue) est supérieure à un. 

Le taux de change du dollar se déprécie depuis 2002 alors que le déficit hors pétrole ne se stabilise qu’à partir de 2005 et ne s’améliore que depuis début 2007.

L’impact de la dépréciation du change sur le solde commercial n’est donc pas trivial.

Nous testons la condition de Marshall-Lerner (ML) en estimant des équations d’importation et d’exportation sur la période 1990-2008 en données trimestrielles en log. Nous retenons les spécifications suivantes :

Avec M les importations en volume, Dem_int la demande intérieure américaine, tx_ouv la part des exportations dans le PIB et comp un indicateur de compétitivité (ratio du prix des importations sur le prix du PIB).

Avec X les exportations en volume, comm_monde le commerce mondial en volume, chge le taux de change effectif « large ».

Les élasticités obtenues avec nos deux équations nous donnent des tendances similaires à celles obtenues traditionnellement, même si leur ampleur peut être différente :

  • L’élasticité revenu des importations est plus forte que celle des exportations, ce qui signifie qu’à taux de croissance égal des demandes domestique et extérieure, le solde commercial se dégrade. Nous retrouvons les résultats de la plupart des estimations1 .
  • Les élasticités revenus sont plus élevées que les élasticités prix impliquant que la dynamique des exportations et des importations dépend plus de la demande que de l’évolution du taux de change. Il ne faut donc pas attendre un impact important sur le solde commercial de la baisse du dollar.
  • La somme des élasticités prix (0,42+ 0,2 en valeur absolue) est inférieure à 1, impliquant que la condition de ML n’est pas vérifiée aux Etats-Unis. Ce résultat suggère une certaine fragilité du lien entre dépréciation du change et amélioration du solde commercial.
  • Il est également intéressant de noter que les importations épendent du taux d’ouverture c’est-à-dire de la part des exportations dans le PIB. Ceci implique qu’une part des importations est destinée aux exportations (dimension ré-exports spécifique de ce cycle mondial).

Les facteurs à la source de la faiblesse du lien entre taux de change et solde commercial

La faiblesse de l’impact de la dépréciation du taux de change effectif sur le solde commercial peut avoir plusieurs sources :

  • Le comportement de marges des entreprises étrangères qui peuvent maintenir leurs prix en dollar inchangés (et donc absorber l’appréciation de leur taux de change par une baisse de leur marge commerciale) de façon à conserver leur parts de marché2. Or, si la dépréciation du taux de change ne conduit pas à une dégradation des termes de l’échange alors il n’y a pas de déformation de la demande en faveur des biens domestiques et donc pas d’effet positif sur le solde commercial.
  • La dépréciation du change ne se fait pas contre toutes les monnaies. En particulier, celle-ci est très faible avec le yuan et le déficit avec la Chine représente plus d’un tiers du déficit total américain.
  • La dépréciation du change n’a que peu d’effet sur le solde commercial si la production domestique ne peut pas satisfaire la demande, pour des questions de pleine utilisation des capacités de production ou de spécialisation productive.

Amélioration du déficit avec l’ensemble des partenaires commerciaux

Les Etats-Unis enregistrent un déficit commercial avec l’ensemble de leurs grands partenaires commerciaux. Le Canada reste l’un des principaux partenaires commerciaux des Etats-Unis mais il a eu tendance à perdre en importance ces dernières années. Les échanges (imports comme exports) avec l’Europe à 15 sont également importants. La montée en puissance de la Chine durant la dernière décennie est impressionnante : la part des importations américaines en provenance de la Chine a fortement augmenté pour atteindre 16,2% en 2008, contre 13% en 2004 et 8% en 2000. C’est également la Chine qui enregistre le plus important déficit bilatéral à 266Md$ en 2008 soit environ un tiers du déficit.

Le déficit s’améliore avec l’ensemble des partenaires commerciaux excepté avec les autres pays émergents. Il s’améliore nettement avec les pays comme le Canada qui exportent des matières premières aux Etats-Unis. Il est intéressant de noter que les déficits bilatéraux avec la zone euro et avec le Japon ont eu tendance à se réduire dès mi-2007 (ce qui n’est clairement pas le cas de la Chine par exemple) correspondant au resserrement du déficit hors pétrole sur la période et reflétant probablement les gains de parts de marché des Etats-Unis grâce aux effets retardés de la dépréciation du dollar contre euro et yen.

Vers un changement de paradigme ?

L’évolution récente des déficits extérieurs soulève la question de son caractère structurel ou non. En d’autres termes, faut-il s’attendre à une poursuite de la tendance observée depuis quelques mois ou à un retour à des déficits chroniques importants. Rappelons en effet que le déficit commercial américain n’avait cessé de s’ouvrir depuis le début des années 90 avec une accélération de cette tendance à partir de 2002, pour atteindre un record de 753Md$ en 2006 (5,7% du PIB). De début 2006 à mi-2008, le déficit a eu tendance à légèrement s’améliorer (environ 5% du PIB). L’ouverture du déficit était la conséquence de deux tendances structurelles de l’économie américaine :
• La désindustrialisation et l’effet induit sur la compétitivité des entreprises américaines à l’export.
• Une élasticité-revenu des importations plus forte que l’élasticité-revenu des exportations.

Au total, si l’on considère la réduction du déficit depuis mi-2007 (plutôt que depuis mi-2008), les effets conjoncturels (effet prix du pétrole et récession américaine) expliquent la plus grande partie de la réduction du déficit comparé aux effets structurels de gains de parts de marché.

Un modèle simple de prévision des exportations et des importations

Pour prévoir le déficit commercial, nous utilisons des estimations d’exportations et d’importations en volume auxquelles nous ajoutons les effets prix. A des fins de simplicité pour les prévisions, nous n’utilisons pas les spécifications précédentes de long-terme mais plutôt des estimations de court-terme en limitant les variables explicatives.

Nous modélisons simplement la variation des exportations et des importations en volume (en glissement annuel). Pour les exportations, nous prenons comme variable explicative la demande adressée aux US (appréhendée comme la somme des PIB des principaux partenaires commerciaux des US pondérée par leurs parts dans les exportations) et le taux de change effectif. Pour les importations, nous prenons la demande domestique et le taux d’ouverture défini ici comme la part des exportations dans le PIB. Le taux de change effectif ainsi que les prix relatifs ne sont pas significatifs à court-terme.

Nous estimons les exportations de 1995 à 2007 (nous disposons des données pour la demande étrangère depuis 1995) et les importations de 1991 à 2007 en données trimestrielles.

Les résultats des équations sont les suivants :

Les résidus sont stationnaires.

Les prévisions sur la période T1-2008 T1-2009 suggèrent que les deux équations retenues sont relativement satisfaisantes car les modèles permettent de prévoir correctement la trajectoire des exportations et des importations sur cette période, en particulier les points de retournement En revanche, pour les exportations, le dernier point prévu par le modèle (T1-09) est beaucoup moins négatif que la réalité. On avait déjà observé lors de la récession de 2001 une surestimation par le modèle des exportations.

Pour les prévisions 2009-2010, nous utilisons nos hypothèses de croissance mondiale, de demande intérieure et de taux de change. Nous ajustons les estimations des exportations données par le modèle par l’écart qui prévaut au T1- 09 de façon à prendre en compte la sous-estimation du modèle par rapport à la « vraie» série. Nous obtenons une baisse du même ordre des exportations et des importations de 13% en 2009. Pour 2010, en prenant en compte une reprise limitée de la demande mondiale (1,4% de progression de la demande adressée aux US) et de la demande intérieure américaine (1,3%) et une dépréciation modérée du taux de change effectif (environ 2%), nous obtenons une progression de l’ordre de 2% des exportations et de 3,5% des importations.

Nous obtenons une contribution du commerce extérieur à la croissance positive en 2009 (de l’ordre de 0,3pt) et négative en 2010 (de -0,3pt).

Concernant les effets prix, nous retenons une baisse de 10% des prix d’importation en 2009 et de 6% des prix d’exportation. Pour 2010, nous prévoyons une progression de 5,5% des prix d’importation et de 3% des prix d’exportation. Les hypothèses sous-jacentes utilisées sont une hausse de 8$ du prix du pétrole, une augmentation de 8% des prix des matières premières hors énergie et une dépréciation de 2% du change effectif en 2010.

En prenant en compte les effets volume et les effets prix, nous aboutissons à une réduction significative du déficit commercial en 2009 à 450Md$ (3,2% du PIB) contre 681Md$ en 2008 (4,8% du PIB). En 2010, le solde se ré-ouvrirait de 100Md$ pour atteindre -550Md$ (3,8% du PIB).

Une approche alternative de la balance courante : l’approche par les besoins de financement

Outre l’approche commerciale (1), nous pouvons appréhender l’évolution du déficit courant par l’approche en termes de besoin de financement de la nation (2). En théorie, les deux approches doivent aboutir au même résultat mais nous verrons qu’il peut y avoir des écarts significatifs (« statistical discrepancy ») entre les deux mesures.
(1) BDP= balance commerciale + balance des revenus + transferts (2) BDP= somme des besoins de financement des différents agents

L’approche par les besoins de financement consiste à prévoir les besoins de financement des différents agents, à les sommer pour évaluer le besoin de financement qui doit être financé par l’extérieur.

Le besoin de financement d’un agent correspond et ses dépenses (consommation/investissement). Le besoin de financement des administrations publiques (état fédéral+ collectivités locales) augmente sensiblement en 2009 (de près de 4pts), en excluant les opérations en capital (TARP). En revanche, tant les ménages que les entreprises ont une capacité de financement qui va sensiblement s’améliorer cette année. Les ménages augmentent significativement leur épargne (en % du PIB) alors que leur taux d’investissement continue de baisser. Les entreprises subissent une baisse de leur taux de profit en 2009 mais ajustent nettement plus leur taux d’investissement à la baisse. Au total, leur capacité de financement après avoir fondu en 2008, ré-augmente en 2009.

Au total, nous obtenons une amélioration de la somme des besoins de financement d’environ 1pt, de la même ampleur que celle de la balance courante mais un écart de 1pt persiste entre les deux mesures.

Pour 2010, tant la capacité de financement privée que le besoin de financement public augmente impliquant une légère augmentation du besoin de financement extérieur ce qui est compatible avec la ré-ouverture du déficit courant (d’ ½ point de PIB) que nous obtenons en utilisant l’approche commerciale.

L’écart entre les deux approches peut être important, historiquement il a même atteint 2pts de PIB dans un sens comme de l’autre.

Synthèse : l’amélioration du déficit courant sera de courte durée

La nette réduction du déficit extérieur depuis mi-2008 est due, en grande partie, à une forte contraction du déficit « pétrole ». Pour autant, le déficit réel s’améliore également significativement depuis mi- 2007 grâce au ralentissement immobilier américain et plus marginalement grâce à des gains de parts de marché par les entreprises américaines. Avec la tendance haussière du prix du pétrole (modérée) et la reprise de la croissance domestique américaine (modérée également), il semble probable que le déficit extérieur s’élargisse à nouveau en seconde partie d’année 2009. Ainsi après s’être significativement réduit en 2009, le déficit courant américain pourrait se ré- ouvrir dès 2010.

NOTES

1 – Hooper, Johnson and Marquez « trade elasticities fo G-7 countries, International Finance Discussion papers, Fed, April 1998. 
2 – Cf. Flash n° 2008-109 « Quelles industries, quels indices boursiers sont les plus affectés par la dépréciation du dollar ? ».

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