par Slavena Nazarova, Economiste au Crédit Agricole
Depuis la signature en décembre dernier d’un accord préliminaire sur le divorce réglant les questions de la facture et des droits des ressortissants européens et britanniques, les négociations sur le Brexit ont avancé. Les Britanniques ont fini par assouplir quelque peu leurs lignes rouges sans que cela n’entraîne de crise politique majeure. De son coté, l’UE a su faire preuve de souplesse tout en restant ferme sur ses principes fondamentaux. En mars dernier, un accord sur une période de transition a été conclu. Toutefois, le plus dur reste à faire, avec la question irlandaise à régler d’ici juin. Quant aux discussions sur la relation future, celles-ci vont bientôt démarrer. A cet égard, l’incertitude reste entière. Pour le moment, le scénario retenu est celui d’un accord de libre- échange (hard Brexit) de type CETA amélioré.
Brexit : des progrès certes mais des progrès restent à faire
La Première ministre Theresa May a pris un virage dans son discours du 2 mars vers une approche plus pragmatique visant à garantir l’accès le plus large possible au marché unique, sans menacer de rompre les négociations. Elle a assoupli son discours et fait des concessions à l’UE sans que sa légitimité soit contestée. Les avancées les plus significatives des négociations sont, selon nous, d’une part, l’accord (conditionnel) sur une période de transition et, d’autre part, l’ambition des deux côtés de négocier un accord de libre- échange sans tarifs douaniers et incluant les services. Autre progrès important, l’accord sur une solution de dernier recours concernant l’Irlande du Nord. Compte tenu de l’engagement pris par le gouvernement britannique (absence de frontière entre les deux Irlande), il pourrait être contraint d’opter pour une union douanière avec l’UE, voire même pour le maintien dans le marché unique, à défaut d’autres solutions réalistes. Le chemin pour y parvenir sera ardu mais n’est pas hors de portée, surtout après le changement de position du Labour en faveur d’une union douanière.
Le risque extrême de blocage des négociations suivi d’une sortie sans accord, s’il a diminué, est toujours latent. Le Parlement britannique va voter les lois sur le commerce et sur l’union douanière au cours de l’été et l’accord de sortie lui-même à l’automne. Les risques politiques internes tels qu’une chute de Th. May du poste de Premier ministre et de nouvelles élections générales, ne sont donc pas à exclure.
Des prévisions revues à la hausse
Les progrès accomplis dans le cadre des négociations sur le Brexit sont bien sûr positifs pour le climat des affaires et l'activité économique. Les entreprises sont restées confiantes dans l’issue du Brexit, malgré la persistance des incertitudes. Par ailleurs, elles profitent toujours de taux d’intérêt bas (la normalisation de la politique monétaire par la BoE ne se faisant que très graduellement) et d’une situation financière généralement saine dans un contexte d’amélioration de la croissance mondiale.
Dès lors, la principale modification de nos prévisions est une révision à la hausse de l’investissement en 2018-2019. Nous n’anticipons plus de contraction de la formation brute de capital fixe dans les trimestres à venir, mais une croissance très lente. En revanche, la consommation des ménages devrait continuer à peser sur la croissance au cours des prochains mois, avant que la baisse de l’inflation importée ne provoque une remontée du pouvoir d’achat des ménages. Avec des prévisions de demande domestique revues à la hausse, la contribution du commerce extérieur à la croissance devrait rester légèrement négative en dépit de l’impact positif de l’amélioration de la croissance en zone euro et aux États-Unis. Au total, la croissance du PIB devrait ralentir moins fortement que prévu précédemment, de 1,8% en 2017 à 1,5% cette année, puis à 1,4% en 2019 (contre 1,3% et 1,1% précédemment respectivement).
Des chiffres décevants sur l’inflation, à relativiser au vu de l’accélération des salaires
Depuis le mois de février, les données sur l’activité et l’inflation ont déçu par rapport aux anticipations de la BoE. La croissance de l’activité (1,4% en rythme annuel au T4- 2017) est légèrement inférieure à la croissance potentielle (estimée à 1,5%). En outre, le rééquilibrage de l’activité sur lequel table la BoE (baisse de la consommation, compensée par un renforcement anticipé de la demande extérieure et de l’investis- sement) ne s’est pas encore concrétisé. Les taux de croissance des exportations et de l’investissement ont été décevants. La BoE ne semble toutefois pas s’en inquiéter outre mesure : alors que la croissance mondiale reste solide, elle considère que des facteurs temporaires sont intervenus et que les données sont amenées à être révisées.
En revanche, les chiffres d’inflation du mois de mars en deçà des attentes (2,7% au T1- 2017 contre 2,9% pour la projection modale de la BoE du mois de février) risquent de faire hésiter les membres les plus dovish du MPC lors de la prochaine réunion au mois de mai. Ils ne devraient pas pour autant empêcher la BoE de relever son taux, le dernier rapport du marché du travail ayant fait état d‘une nouvelle baisse du taux de chômage et, surtout, d’une accélération de la croissance des salaires. Celle-ci a atteint 2,8% dans l’économie totale et 2,9% dans le secteur privé, très proche de l’estimation de la BoE pour 2018 de 3%. Combinée à la baisse de l’inflation, cela constitue une bonne nouvelle pour les perspectives de consommation des ménages qui a fortement souffert de la baisse du pouvoir d’achat dans le sillage de la dépréciation de la livre.
Prochaine hausse des taux en mai
Nous maintenons donc notre prévision de hausse de taux par la BoE au mois de mai sur fond de hausse des pressions salariales. La BoE a continué de surprendre par une tonalité hawkish et au mois de mars, deux membres du MPC ont voté pour une hausse de taux immédiate.
En outre, le récent accord sur la période de transition rendra probablement la BoE encore plus confiante dans ses prévisions de croissance, pourtant supérieures au consensus (la BoE prévoit une croissance de 1,75% par an pendant les trois prochaines années) : elle pourrait les réviser à nouveau à la hausse dans son Inflation Report du mois de mai. Côté inflation, la BoE ne devrait pas changer son scénario. Les effets de la baisse passée de la livre sur l’inflation importée devraient en effet continuer de se dissiper et provoquer une modération des rythmes d’inflation. Toutefois, ceux-ci resteraient supérieurs à la cible au moins lors des deux prochaines années, les pressions inflationnistes domestiques se renforçant avec la hausse anticipée de la croissance des salaires et des coûts unitaires de travail.
A moyen terme, la conduite de la politique monétaire est plus incertaine
Nous sommes moins optimistes que la BoE sur la croissance à venir et pensons que la croissance des salaires devrait continuer de décevoir. Nous anticipons un retour de l’inflation CPI vers la cible de 2% vers le milieu de l’année prochaine, plus tôt que ne le prévoit la BoE. Nous anticipons un relèvement supplémentaire du taux directeur fin 2018 (en novembre) et, en l’absence de choc majeur sur la croissance, un autre en milieu d’année prochaine. L’incertitude liée au Brexit et aux perspectives de croissance des salaires sur fond de faiblesse de la demande interne impliquent néanmoins des risques baissiers sur ce rythme de resserrement monétaire.