Grèce : quel bilan peut-on faire du programme d’aide ?

par Jesus Castillo, Economiste chez Natixis (avec la participation de Ramy Habibi Alaoui)

La Grèce devrait sortir du troisième programme d’assistance financière en août 2018. Le MoU (Momorendum of Understanding) de juillet 2015 fixait des objectifs à atteindre par la Grèce se basant sur plusieurs piliers :

La restauration des équilibres budgétaires ;

La présérvation de la stabilité financière ;

Le renforcement de la croissance, de la compétitivité et de l’investissement.

A la lumière des objectifs fixés par le MoU, nous dressons un bilan des progrès réalisés par la Grèce. Si le pays a atteint ses objectifs en matière de déficit, le ratio d’endettement public reste excessif. Le secteur bancaire, malgré une capitalisation élevée et une amélioration de la liquidité, reste fragile en raison d’actifs dériorés encore présents à son bilan. Le pays a renoué avec la croissance en 2017 mais le niveau d’investissement reste faible et inférieur aux niveaux d’avant- crise pesant, négativement sur l’efficacité de l’appareil productif et le potentiel de croissance de l’économie. 
La soutenabilité de la dette publique et la reconstruction d’un modèle de croissance viable reste l’un des principaux défis pour la Grèce à la suite de la fin du plan d’aide.

L’ambition du programme d’aide à la Grèce était de « restaurer une croissance soutenable, créer des emplois, réduire les inégalités et faire face aux risques concernant sa propre stabilité financière et celle de la zone euro ». L’évaluation du programme s’est articulée autour de trois piliers principaux1 :

1. Restaurer les équilibres budgétaires

L’un des objectifs fondamentaux du programme d’aide visait à rétablir l’équilibre des finances publiques. Pour cela des objectifs de réduction des déficits puis de constitution d’excédents primaires ont été assignés à la Grèce. Ces objectifs ont été atteints et même dépassés.

Le ratio d’endettement public a commencé à baisser en 2017 pour atteindre 179,6% du PIB après un sommet de 180,8% en 2016. En valeur absolue, le stock de dette devrait continuer de progresser jusqu’à cette année. L’arrêt de l’accumulation de nouvelle dette constitue effectivement une bonne nouvelle, mais le niveau très élevé de celle-ci reste un vrai sujet de préoccupation. En effet, pour espérer continuer à réduire son ratio d’endettement public, le pays est obligé de maintenir un effort budgétaire important (avec des excédents budgétaires primaires élevés) sur le moyen terme.

2. Préserver la stabilité financière

Le
second pilier du MoU (Memorandum of Understanding) d’août 2015 visait à restaurer et à préserver la stabilité financière du secteur bancaire grec. Selon les termes du MoU, la réforme du système financier grec sera évaluée sur la base de trois critères principaux :

– La recapitalisation du système bancaire

Depuis le début de la crise en 2010, la composition du passif des banques grecques s’est considérablement modifiée. Les neuf années de récession (2008-2016 hormis 2014) ont conduit à une baisse significative de la part des dépôts dans leur bilan. Les banques grecques ont dû faire face à deux épisodes de fuite massive de dépôts (2010-2012 et 2015). Dès lors elles ont dû recourir largement à la ligne de financement d’urgence (ELA, Emergency Liquidity Assistance) auprès de la banque centrale de Grèce (après autorisation de la BCE). De manière concomitante, la profonde récession qui a touché le pays a provoqué, une dégradation très importante de la qualité des actifs du secteur bancaire. Par conséquent l’explosion des créances douteuses a conduit à la constitution de provisions pour risques très importantes.

La capitalisation des banques grecques s’est considérablement renforcée depuis août 2015. Le ratio Core Equity Tiers 1 (CET1) s’est élevé à 17,1% des actifs pondérés par les risques au T317 au-dessus de la moyenne de la zone euro à 14,2% – ce qui était notamment l’objectif du MoU. Si les capitaux propres (hors provisions pour créances douteuses) ont bondi de 5 Mds € entre juin 2015 et décembre 2017, la hausse des ratios réglementaires s’explique, outre les recapitalisations prévues au programme, par la réduction de la composante risquée de l’actif des banques grecques sur fond de réduction de l’exposition de celles-ci aux titres souverains grecs et de ventes d’actifs à l’étranger (avec par exemple les ventes de la filiale de National Bank of Greece en Turquie et celles de filiales dans les Balkans).

– La réduction des expositions non- performantes

En termes de qualité d’actif, le stock de créances douteuses bien qu’en léger déclin reste à des niveaux élevés représentant 33,5% des prêts totaux au T4 17 selon la Banque Centrale de Grèce. Les expositions non-performantes (NPE) s’établissaient en décembre 2017 à 43,1% du total des expositions (95,7 Mds €) à un niveau très élevé et au-dessus de l’objectif de 60 Mds € fixé par le MoU. Le taux de couverture des créances douteuses bien qu’en forte hausse reste faible, en dessous de 100%. La faiblesse de la qualité des actifs des banques grecques constitue la principale fragilité de celles-ci empêchant ainsi le système bancaire de financer correctement l’économie comme en témoigne la baisse depuis 2011 des crédits accordés au secteur privé. Toutefois, dans leur rapport de novembre 2017, les créanciers de la Grèce notent que des réformes ont été mises en œuvre dans le cadre du troisième programme d’assistance économique et financière afin d’encourager la création d’un marché secondaire pour les NPEs, la restructuration volontaire des dettes et l’amélioration du régime d’insolvabilité.

– La normalisation de la liquidité et la reconstitution des dépôts

Depuis août 2015 la liquidité du secteur bancaire grecque s’est améliorée : la progression des dépôts a poussé à la baisse le ratio prêts/dépôts (graphique 7) Les dépôts des résidents ont ainsi progressé de 4,2% entre décembre 2016 et décembre 2017 tandis que les dépôts des non-résidents ont crû de 4% entre juillet 2016 et décembre 2017.

Les banques grecques ont diminué leur dépendance aux liquidités d’urgence de la Banque Centrale de Grèce (ELA) permettant de réduire leurs coûts de financements.

In fine, des progrès importants ont été réalisés vers la normalisation de la liquidité et le renforcement de la capitalisation du secteur bancaire grec. Le secteur bancaire grec reste toutefois très fragile comme en témoigne le stock de créances douteuses très élevé freinant le redressement du secteur bancaire. Les niveaux élevés des ratios de capitaux réglementaires doivent être ainsi analysés en tenant compte de la faible qualité des actifs des banques grecques. Néanmoins, les stress-tests récents réalisés sur les quatre principales banques grecques par la BCE et l’EBA indiquent une bonne résistance de celles-ci face à un scénario dit stressé. En effet, dans ce contexte, les ratios CET1 des banques grecques resteraient au-dessus (malgré une forte baisse) du seuil de 4,5%. Par conséquent, il semberait que les banques grecques ne devraient pas avoir besoin d’un autre plan de recapitalisation.

3. Renforcer la croissance, la compétitivité et l’investissement

– L’objectif de renforcement de la croissance n’est pas atteint à ce stade

Après avoir une nouvelle phase de récession en 2015 et 2016, la croissance du PIB s’est redressée en 2017 à +1,3%, à son plus haut niveau depuis 2007 et au-dessus de sa moyenne post-crise et de son potentiel estimé à -0,1% par l’OCDE pour 2017. L’an dernier, la croissance a été ainsi essentiellement tirée par une demande domestique plus dynamique. Néanmoins, la croissance moyenne de la période 2014-2017 (+0,4%) reste largement en dessous de celle de la période d’avant crise à +3,6%. La croissance apparait comme structurellement affaiblie.

– Des gains de compétitivité aux effets insuffisants

En termes de compétitivité, bien que la demande domestique se soit considérablement réduite, l’offre nationale n’arrive toujours pas à la satisfaire. Dès lors, un déficit commercial persiste. Néanmoins, la Grèce a effectivement enregistré une baisse de ses coûts salariaux unitaires qui a amélioré sa compétitivité- coût et s’est accompagnée par un rebond notable des exportations notamment depuis 2013. La Grèce a gagné des parts de marché.

– Le secteur productif toujours en rémission

La faiblesse de l’appareil productif grec reflète les problèmes structurels persistants auxquels le pays est confronté.

Comparé à 2008, le niveau de l’investissement total reste 60% en dessous de son niveau d’avant crise. Celui-ci peine à rebondir et les données récentes n’indiquent pas de redressement à court terme. La faiblesse de la demande domestique, les difficultés du secteur bancaire et l’incertitude ont entrainé une chute de l’investissement dans toutes ses composantes. L’investissement en biens d’équipements est loin de retrouver son niveau d’avant crise. Les flux d’IDE nets sont négatifs depuis 2016 reflétant le manque d’attractivité de l’économie grecque.

La modernisation de l’appareil productif a stagné depuis 2011. Les entreprises n’ont pu que partiellement remplacé leurs équipements obsolètes depuis 2011. Dans ce contexte, le stock de capital n’a pas augmenté. L’insuffisance de l’investissement explique en partie la faiblesse des gains de productivité. Du côté du facteur travail, la population totale et la population active continue de diminuer probablement en raison du manque de perspectives sur le marché de l’emploi

In fine, ceci pèse négativement sur la croissance potentielle du pays et sur les perspectives de croissance à moyen-terme.

Au-delà des objectifs des créanciers de la Grèce et de son gouvernement, il apparaît que la situation de la population ne s’est que peu ou pas améliorée. Le niveau de richesse par tête s’est fortement réduit et peine à se redresser.

NOTES

  1. Le programme comporte formellement un quatrième pilier relatif à la promotion d’un Etat et d’administrations publiques modernes, que nous ne reprenons pas ici par faute d’indicateurs adaptés pour évaluer les progrès réalisés dans ce domaine.

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