par Laurence Chieze Devivier, stratégiste chez Axa IM
Malgré la faiblesse de sa croissance, l’Italie reste la troisième économie de la zone euro, avec un poids quasi stable de 17% du PIB de la région. Pourtant, depuis dix ans, les performances économiques de l’Italie sont inférieures à celles de la zone euro. En 2008 encore, le PIB italien reculait de 1% quand celui de la zone progressait de 0,6%. Pour 2009, nous prévoyons une contraction de l’activité encore plus marquée (-5,3%), supérieure à la moyenne de la zone.
Les différents gouvernements qui se sont succédés depuis l’avènement de l’euro ont tenté de mettre en place des réformes visant à améliorer la compétitivité de l’économie italienne. Nous nous intéressons ici à la performance de l’industrie italienne, et en particulier à celle de ses exportations, afin d’analyser le positionnement de l’Italie dans la perspective d’un redémarrage économique tiré par le commerce extérieur.
Structure de l’industrie italienne
L’économie italienne se caractérise par un poids encore important –bien que déclinant– de l’industrie dans la valeur ajoutée (VA) totale. Elle représente encore 20% de la VA, chiffre à comparer à une moyenne européenne de seulement 15%. L’industrie italienne repose sur un tissu de petites entreprises géographiquement concentrées par secteur et reliées par des réseaux de coopération formelle et informelle, selon le modèle des « districts industriels ». Ce modèle est aujourd’hui en crise, en raison de sa faible performance à l’exportation. La force des bassins de mono-activité reposait sur les diverses synergies historiquement tissées entre entreprises et facteurs de production, aujourd’hui érodées par les vagues successives de délocalisations. En outre, avec la constitution de la zone euro, l’Italie ne peut plus utiliser l’arme de la dévaluation compétitive. Les principales activités industrielles sont les produits manufacturés (18% de la VA), la métallurgie (3,5 % de la VA), les biens d’équipement (4,5% de la VA), les véhicules et équipements de transport, les produits chimiques, les biens alimentaires et le textile (moins de 2,3% de la VA).
La part de marché de l’Italie s’effrite
La balance commerciale est déficitaire depuis 2004 et a atteint le record de 21mds€ de déficit en 2006. Après un léger mieux en 2007, le déficit commercial s’est de nouveau creusé en 2008, passant de 8 à 11mds€, du fait de la combinaison d’une quasi stagnation des exportations alors que les importations progressaient encore fortement.
En termes de part de marché dans le commerce mondial, notons une certaine tendance à la réduction, quelles que soient les mesures retenues :
Selon le critère du poids de ses exportations dans les exportations mondiales, l’Italie passe de 4,0% de part de marché au début des années 2000 à 3,4% en 2008. Comparativement, dans le même temps, le poids de l’Allemagne reste quasiment stable à 9,2%, après un pic à 10% en 2003-04.
Exclusion faite des exportations intra-européennes, la part de marché de l’Italie s’étiole sur la période récente (1,9% en 2008 contre 2,1% au début des années 2000) et baisse nettement par rapport aux années 90 (2,6% en moyenne). Ainsi, les pertes de part de marché sont plus sensibles sur ses débouchés européens traditionnels que sur ses marchés extra-communautaires, probablement la signe d’une concurrence accrue des importations de l’Union en provenance des pays émergents.
La structure géographique des exportations reflète ces variations de parts de marché. La part des exportations vers les pays développés décroît, comme l’illustre la baisse des ventes vers l’UE, passées de 63% du total en 1999 à 58% en 2008. Ses deux premiers clients, l’Allemagne et la France, ne comptent plus que pour 24% de ses exportations, contre 30% en 1999. De même, les parts des Etats-Unis et du Royaume-Uni dans les exportations italiennes ont baissé, depuis les années 1990, de 4 et 2 points respectivement, pour atteindre 6,3 et 5,3% du total en 2008. La contrepartie est la montée en puissance des ventes aux pays émergents. Les exportations vers la Chine ont crû de 15%(A) depuis 2000, passant de 1 à 2% du total; elles ont triplé en direction de la Russie, qui pèse pour 2,9% du total, et progressent également vers les nouveaux pays membres de l’UE. Ces performances différenciées illustrent les problèmes de compétitivité-prix des filières traditionnelles positionnées sur les échanges intra-branche au sein de l’UE. Au contraire, l’Italie a su profité du développement des échanges inter-branche avec les émergents.
La compétitivité des exportations mise à mal
Les exportations italiennes souffrent d’un manque de compétitivité. Selon l’indice de performance à l’exportation calculé par Eurostat pour les membres de l’UE, l’Italie accuse sur la période 2000-08 une des plus fortes détériorations de ses performances commerciales, la dernière place revenant à la Bulgarie engoncée dans son currency board. Relativement au seul marché de l’UE, la baisse de performance des exportations italiennes est légèrement moins marquée (78 contre 75,7), mais l’écart avec le champion allemand se creuse considérablement (130 contre 117). Notons que sur la même période, les exportations roumaines et tchèques gagnaient en part de marché mondial plus du double de ce que perdait l’Italie.
Ces mauvais résultats sont liés à la hausse du coût du travail, renforcée par l’appréciation tendancielle de l’euro depuis 2002, hormis l’épisode récent de baisse par rapport au dollar, lié à la tourmente financière. Ainsi, la sous-performance de l’économie italienne est pour partie imputable à la perte de compétitivité des produits italiens, la contribution des exportations à la croissance passant de 1 point durant les années 90 à 0,7 point en moyenne depuis 1999. Surtout, la contribution des exportations nettes (déduction faite des importations) est devenue négative (-0,1 point en moyenne sur 2000-08, contre +0,1 point sur 1990-99). C’est donc l’évolution combinée d’exportations moins compétitives et d’importations croissantes, qui contribue à affaiblir la croissance italienne, tandis que la forte appréciation de l’euro vient exacerber cette perte de compétitivité.
Spécialisation des exportations italiennes
La spécialisation des entreprises italiennes exportatrices s’est modifiée mais demeure confrontée à la concurrence des pays émergents à faible coût de main-d’œuvre. En effet, la part des produits textile a diminué mais demeure supérieure à 10% (de 17% à 11% entre 1991 et 2008).
Parallèlement, le poids des biens d’investissement a progressé de 1 point de 31 à 32%. Mais c’est surtout la chimie (de 7 à 9%) et les produits semi-transformés qui ont progressé (produits raffinés de 2 à 4%). On peut donc se réjouir de la modification de la structure par produits des exportations, qui permet aux exportateurs de mieux profiter de la forte croissance dans les pays émergents, même si force est de constater que le changement s’opère lentement. On a déjà évoqué plus avant la spécialisation géographique des exportations italiennes, qui privilégie encore ses partenaires européens, mais qui est également en réorientation vers les émergents. Cette évolution est positive, dans la mesure où l’Italie s’oriente davantage vers des zones en croissance plus forte que l’Europe.
La conjoncture récente reste décevante
Les chiffres du PIB du premier trimestre ont été légèrement révisés en baisse (de -2,4% à -2,6%(T)), soit toujours le recul le plus fort depuis les années 70. L’investissement a plongé de 5%(T), alors que les exportations se sont littéralement effondrées (-11%(T)). Les importations se sont également écroulées (-9%), mais la contribution des échanges extérieurs à la croissance demeure fortement négative (-0,6 point). Seul signe encourageant, le fort déstockage qui s’est opéré au cours du 1T laisse présager un processus déjà bien avancé. Par ailleurs, la baisse de la consommation privée retire 0,7 point à la croissance, tandis que les dépenses publiques n’ont été d’aucun soutien (en recul de 0,3%), traduisant l’impossibilité pour le gouvernement de soutenir l’activité.
La production industrielle a rebondi en avril (+1%(M)), alors qu’elle s’était effondrée de plus de 10% depuis le début de l’année. Ce rebond est imputable à une hausse de la production des biens de consommation et d’énergie. La production en biens d’investissement et intermédiaires a encore reculé, toutefois moins fortement qu’au 1T. Les enquêtes se sont redressées comme partout en Europe. Mais malgré leur retournement récent, elles demeurent à des niveaux bas (41,1 pour le PMI industriel soit toujours près de 10 points sous sa moyenne de LT). Si l’on extrapole le rebond historique du mois de mai (+3,9 points gagnés en un mois, performance difficilement reproductible), le PMI repasserait au dessus des 50 au mois d’août seulement.
Le rebond de la production industrielle d’avril ne suffit pas à repasser en croissance au 2T, l’acquis de croissance indiquant un recul de la production de 3,5%(T), soit une baisse moins marquée qu’au 1T (-9,8%T). Dans ces conditions, le PIB italien devrait encore reculer au cours du 2T, la croissance ne redevenant positive qu’au 4T09.
Depuis le début de la récession (2T08), l’activité a reculé de 5,6%, et nous tablons sur une baisse de 5,3% cette année et de 6,5% au total.
L’ajustement sur le marché du travail a commencé avec retard par rapport au cycle économique, et est resté limité pour l’instant. Les réformes du marché du travail ont conduit à une montée des emplois à durée déterminée (9% de l’emploi total), qui sont particulièrement touchés par la baisse de l’activité (recul de 7% au 1T09). L’ajustement du marché du travail risque d’être violent, le taux de chômage augmentant de 2,5 points au-delà de 8,5%. Dans ces conditions, les perspectives de consommation seront limitées.
Conclusion
Cette année encore, l’économie italienne affichera une sous-performance par rapport à la moyenne européenne. L’écart de croissance, -5,3% contre -4,5%, devrait être en ligne avec sa moyenne historique (-0.8 point). Outre une politique budgétaire moins stimulante, une des explications de cette contre-performance est la difficulté de l’économie italienne à restructurer son secteur exportateur, handicapé par un coût de la main d’œuvre élevé (1,5 fois plus élevé qu’en Allemagne) et des rigidités du marché du travail. De fait, en pleine récession, la contribution négative du commerce extérieur à la croissance s’amplifie, malgré la compression des importations. Dans les années de boom, l’Italie n’a pu compter, comme ses voisins espagnol ou grec, sur le dynamisme de sa demande interne. Demain, seule la compétitivité à l’exportation permettra de renouer avec un cycle de croissance global centré sur l’Asie émergente. Un défi de taille pour les districts industriels qui firent la fortune de l’Italie d’après-guerre.