par William de Vijlder, Chef économiste de BNP Paribas
Il faut savoir ce que l’on veut. L’aplatissement de la courbe de taux américaine préoccupe beaucoup de monde, et s’il prenait fin le soulagement serait probablement général. Cependant, l’histoire montre qu’il y aurait, dans ce cas, encore plus de raisons de s’inquiéter. Aux Etats-Unis les récessions ont été précédées, par le passé, d’un aplatissement de la courbe de taux suivi d’une inversion, mais ce type d’information n’est pas d’un grand secours pour celui qui produit des prévisions ou qui, comment l’investisseur, pratique le market-timing. En effet, le délai qui s’écoule entre une courbe plate à négative et le début d’une récession est long et variable (voir graphique).
Compte tenu de la relation historique entre la pente de la courbe et les crises économiques, on a tendance à souhaiter à un certain moment une repentification de la courbe. Une telle situation pourrait se produire dans deux cas de figure : quand le rendement des obligations à 10 ans augmente plus que celui des titres à 1 an, et quand ce dernier baisse davantage que le premier. Dans le premier cas, la courbe se pentifie et remonte ; dans l’hypothèse d’une prime de terme* inchangée, les perspectives de croissance à long terme augmenteraient alors considérablement, ce qui tirerait vers le haut l’ensemble de la trajectoire des taux d’intérêt à court terme. Compte tenu de la maturité actuelle du cycle conjoncturel, il semble difficile de compter sur une telle pentification sur une longue période, ne serait-ce que parce que cela obligerait la Réserve fédérale à procéder à un durcissement monétaire bien plus agressif, qui pèserait sur les perspectives de croissance à long terme et entraînerait un ré-aplatissement de la courbe.
Dans le deuxième cas, l’ensemble de la courbe évolue à la baisse et se pentifie suite à un repli plus important des rendements de la partie courte par rapport à ceux de la partie longue ; une telle évolution traduit une révision à la baisse des perspectives de croissance, entraînant des anticipations de fin du resserrement monétaire et même l’amorce d’une détente peu de temps après. Les huit graphiques suivants illustrent la pente de la courbe de taux et le taux des Fed funds dans les mois précédant une récession (le dernier mois sur l’axe des abscisses correspond au début de la récession, sur la base des dates de récession du NBER ; la crise de juillet 1981 n’y figure pas car la stratégie de ciblage de la masse monétaire, adoptée par la Fed impliquait un niveau élevé de volatilité des taux d’intérêt). Dans la plupart des cas, après le début de pentification de la courbe, une récession ne tarde pas à arriver. Autrement dit, le délai est plus court et moins variable que lorsque l’on se fonde sur le moment de l’inversion de la courbe pour évaluer la probabilité d’une récession. Les graphiques montrent également que la pentification de la courbe survient, la plupart du temps, du fait de l’anticipation d’un assouplissement de la politique monétaire. Aussi est-il bien plus important de chercher à déterminer la date à laquelle la Fed va mettre un terme à sa politique de durcissement monétaire que de se focaliser sur la pente de la courbe de taux.