par Jean-Marie Mercadal, Directeur Général Délégué en charge des gestions chez OFI AM
Il y a eu en effet cet été du très positif : Wall Street tutoie à nouveau ses sommets historiques à la faveur de bons résultats des entreprises publiés à partir de juillet. Apple en est le symbole après être la première valeur à avoir franchi le cap des 1 000 Mds$ de capitalisation. Mais il y a eu aussi du négatif : les débats autour de la guerre commerciale créent de la volatilité sur les devises émergentes, avec comme symbole l’effondrement de la Livre turque, mais qui est un cas très particulier.
Le bilan purement chiffré des performances depuis le 30 juin met en évidence des thématiques bien distinctes et les investisseurs ont su faire la part des choses. Les marchés ne se sont pas comportés de manière uniforme comme à l’occasion des précédentes crises sur les émergents, et notamment à l’occasion de la baisse soudaine de la monnaie chinoise à l’été 2015.
La meilleure classe d’actifs est, une fois de plus, représentée par les actions américaines : l’indice S&P 500 a progressé de 5,00 % depuis le 30 juin (+ 8,00 % en euros). Les actions européennes sont globalement stables (dividendes inclus). Les taux d’intérêt obligataires se sont stabilisés de part et d’autre de l’Atlantique, autour de 0,30 % de rendement pour le Bund 10 ans et entre 2,80/3,00 % pour le T-Notes US de même maturité. Au sein de la zone Euro, l’actualité est restée centrée sur l’Italie qui sera l’un des sujets de la rentrée : le rendement du 10 ans gouvernemental italien reste au-dessus de 3,00 % (à 3,07 % actuellement) compte tenu de la grande incertitude politique en vigueur dans ce pays.
Sur le marché des changes, depuis le 30 juin, le dollar a monté contre l’euro de 2,7 % et est repassé sous le seuil de 1,15. Contre les principales devises émergentes, le bilan est très contrasté et toutes n’ont pas baissé. Le Yuan chinois a perdu 3,0 %, le Réal brésilien est stable, le Peso mexicain a gagné 5,0 %, le Won coréen est également stable… et la Livre turque a perdu 25,0 %. Là aussi, les investisseurs ont fait preuve de discernement. Au final, depuis le 30 juin, l’indice des obligations émergentes dettes locales recule de 2,5 % en dollars (donc stable en euros), celui sur les dettes fortes progresse de 0,5 % en dollars. Concernant les actions, l’indice MSCI EM recule de 1,0 % en euros (- 8,7 % pour la Chine sur le marché domestique).
Sur l’économie et les entreprises, les fondamentaux en quelque sorte, les nouvelles ont été bien accueillies dans l’ensemble. L’activité mondiale reste bien orientée, bien qu’en ralentissement de momentum en Europe, et le rythme semble idéal pour que les entreprises puissent continuer à améliorer leurs comptes sans créer de tensions inflationnistes trop marquées. De ce point de vue, la baisse des matières premières observée cet été (- 6,0 % pour l’indice CRB* et – 11,0 % pour le pétrole) contribue au calme des marchés obligataires. Aux états-Unis, près de 85 % des entreprises ont battu les attentes des analystes en matière de résultats cet été et la croissance des bénéfices a atteint près de 25 %, ce qui rend les estimations du consensus pour l’année de près de 20 % crédibles. Et ce n’est pas uniquement lié à la réforme fiscale puisque, au global, près de 70 % des entreprises ont également battu les estimations de chiffres d’affaire… En Europe également, les comptes publiés ont été satisfaisants et supérieurs aux attentes si bien que les prévisions de progression des bénéfices de près de 10 % cette année paraît également crédible. En termes de secteurs et de style, la tendance a été favorable aux valeurs de croissance et aux valeurs défensives, au détriment des valeurs financières.
Mais l’escalade progressive dans les débats autour de la guerre commerciale réduisent la visibilité et pèse logiquement sur les actifs émergents, ce qui créera des opportunités d’investissement. Et il ne faut pas se focaliser sur la Turquie, qui fait l’actualité mais qui est un cas très particulier. Les investisseurs internationaux ont perdu confiance dans ce pays compte tenu de la gouvernance très centralisée qui y a été mise en place. L’accélération de la baisse de la monnaie (qui a perdu 37 % cette année contre le dollar et 24 % depuis le 30 juin) s’est produite quand le Président a voulu contrôler lui-même la politique monétaire en plaçant un proche à la tête de la Banque Centrale. Or, nous savons que la confiance est un ingrédient essentiel en finance. Et aujourd’hui, les fondamentaux du pays se dégradent rapidement avec une inflation qui est passée de 12 % à 16 %. Un cercle vicieux négatif peut dès lors s’enclencher : hausse des taux pour limiter l’inflation, ce qui peut engendrer un ralentissement économique voire une récession, et de fait peser sur les secteurs privés et publics très endettés en monnaies fortes. Le cas de la Turquie n’est cependant pas systémique, le poids de l’économie du pays n’est que de 1 % dans le monde. L’Europe serait plus exposée en cas d’aggravation de la crise, bien que dans des proportions limitées : les exports de la zone Euro vers la Turquie représentent 0,6 % du PIB contre un poids de 0,1 % pour les états-Unis.
Globalement, nous considérons qu’aux cours actuels, comme nous l’avions dit fin juin, le potentiel de performance de la dette émergente en devises locales est important dans une optique de moyen terme et reste une classe d’actifs incontournable sur un horizon 3-5 ans. Comme souvent, une sélectivité rigoureuse dans l’allocation des portefeuilles dédiés à cette thématique est plus que jamais requise. Et sur cette classe d’actifs, le rendement est attractif : 8,5 % sur un panier équilibré de dettes gouvernementales sur un horizon 5 ans.
Synthèse
Le point très positif de l’été est qu’il n’y pas eu d’amalgame : les points d’attention (Turquie) n’ont finalement que peu contaminé l’ensemble des marchés. Cela reflète une situation fondamentale globalement assez saine et un climat d’aversion au risque qui est davantage lié à des facteurs politiques. Dans ce contexte, nous vivrons encore probablement dans des marchés plus volatils, mais il nous est difficile d’imaginer à ce stade un nouveau grand « Bear Market ». Des stratégies sélectives et opportunistes sont nécessaires.
NOTE
* Indice CRB : indice des prix des matières premières • Les chiffres cités ont trait aux années écoulées. Les performances passées ne sont pas un indicateur fiable des performances futures.