par Witold Bahrke, Stratégiste Macro Senior chez Nordea Asset Management
L'économie mondiale connaît un ralentissement asymétrique, caractérisé par une surperformance de l’économie américaine face au reste du monde. Il en résulte un double effet de resserrement monétaire via la hausse des taux d’intérêt et l’appréciation du dollar. Cette divergence crée un équilibre instable : soit les États-Unis devront ralentir, soit la Chine et le reste du monde devront accélérer. Lors des prochains mois, cette divergence devrait se poursuivre, le dollar fort accentuant cette situation en pénalisant surtout les marchés émergents. Le scénario le plus probable serait ensuite un affaiblissement de la croissance américaine.
En somme, le pic des marchés actions se rapproche. La puissance du dollar américain sera un facteur déterminant : si le billet vert s'apprécie davantage, les conditions monétaires deviendront particulièrement dures et le pic des marchés actions pourrait être atteint dans moins de 6 mois. À la lumière des risques macroéconomiques croissants, les actifs défensifs devraient surperformer face aux actions, et les valeurs refuges devraient être davantage recherchées.
Perspectives divergentes : la forte croissance américaine a un coût
Le scénario macroéconomique est passé d’une « reprise synchronisée » en 2017 à un ralentissement asymétrique en 2018. Nous pensons que l'économie mondiale a atteint son « pic de croissance » au premier semestre 2018, la croissance étant désormais limitée par un double durcissement monétaire : hausse des taux réels à court terme (malgré une inflation plus élevée) et renforcement du dollar. Ces vents contraires s'accentuent lentement mais sûrement à mesure que l'inflation progresse dans les économies occidentales, confirmant notre vision d'un couple croissance/inflation moins favorable. En juillet, l'inflation sous-jacente américaine a atteint son niveau le plus élevé depuis la crise financière.
Le facteur clé expliquant l’actuel resserrement monétaire est la divergence qui s’observe entre les principales économies (voir les graphiques ci-dessous). La croissance américaine résiste bien, profitant des réductions d'impôts de Donald Trump. Au contraire, la Chine est dans une situation inverse. Son économie ralentit en raison de la réduction des flux de crédit et du protectionnisme. Les États-Unis sont les gagnants de l’actuel conflit commercial sino-américain, son économie étant vaste et relativement fermée. La Chine, qui a profité de la mondialisation au cours des dix dernières années, est en revanche durement touchée.
Perspectives divergentes : l'économie mondiale n’a plus qu’un seul moteur
Cette divergence crée naturellement des frictions, le marché des changes étant le principal « canal de rupture ». Concrètement, cela se traduit par la force du dollar américain (voir le graphique ci-dessous). Un billet vert fort équivaut à un resserrement monétaire supplémentaire, notamment en-dehors des États-Unis et tout particulièrement sur les marchés émergents, où une grande partie de la dette est libellée en dollars. Un dollar plus fort signifie donc des coûts de service de la dette plus élevés pour ces pays. Le risque est une boucle de rétroaction entre les marchés locaux et l’économie globale : la divergence macroéconomique provoque un renforcement du dollar américain, qui pénalise les marchés émergents et accentue la divergence macroéconomique, se traduisant par une hausse du dollar, et ainsi de suite.
Un équilibre instable: les États-Unis vont-ils ralentir ou le reste du monde va-t-il accélérer ?
Les marchés récompensent les États-Unis pour leur surperformance macroéconomique, les actions mondiales hors États-Unis étant en baisse depuis le début de l'année. Les marchés émergents sont quant à eux punis. Il en résulte un équilibre instable : soit le reste du monde accélérera, soit les États-Unis ralentiront. Le premier scénario permettra d’accentuer les prises de risques, le second nécessitera au contraire de réduire les risques. Les moteurs de l’actuelle vigueur américaine sont essentiellement cycliques (réductions d'impôts, hausse des prix du pétrole), tandis que les fragilités de l’économie chinoise semblent plus structurelles et donc persistantes (besoins de rééquilibrage financier, protectionnisme). Ainsi, les États-Unis sont plus enclins à ralentir que la Chine et le reste du monde à accélérer. Ce scénario pourrait toutefois attendre 2019. Pour l'instant, la divergence perturbatrice domine le scénario macroéconomique.
Divergence perturbatrice : la divergence macroéconomique se traduit par un dollar fort, donnant lieu à un resserrement des conditions monétaires et à une pénalisation des marchés émergents
Que signifie la divergence perturbatrice pour le marché ?
La divergence disruptive et le resserrement monétaire mondial signifient que les stratégies qui ont le mieux fonctionné en 2017 sont désormais contrariées en 2018. Le mouvement a débuté en février 2018 avec l'effondrement des stratégies faible volatilité, s’est poursuivi avec la contre-performance des stratégies « short » sur le dollar, et touche désormais les marchés émergents qui effacent leur surperformance de l’année passée.
Quels domaines seront les prochaines classes d’actifs affectées par le resserrement monétaire ? Nous pensons d’abord aux segments les moins bien notés du marché du crédit, puis aux marchés actions dans leur ensemble. Alors, quand les actions atteindront-elles leur apogée ? De nouveau, les variations du dollar seront essentielles en raison de leur impact sur les conditions monétaires. Une appréciation supplémentaire de 5% du dollar d’ici la fin de l'année signifierait probablement un resserrement monétaire suffisant pour que les actions atteignent leur pic dans moins de six mois. D’ici là, les investisseurs devraient rester défensifs sur le marché actions. Les marchés développés, notamment le marché américain, devraient continuer à surperformer, ces pays étant moins vulnérables au ralentissement de la croissance et au resserrement monétaire.
L'augmentation des risques macroéconomiques implique également davantage d’attrait pour les marchés obligataires européens et américains, le protectionnisme et le resserrement monétaire étant des facteurs déflationnistes. Les valeurs sûres et les obligations à court terme bien notées devraient être davantage recherchées au fur et à mesure que les tendances macroéconomiques actuelles seront remises en question. Les obligations sécurisées devraient se distinguer car elles peuvent offrir des rendements similaires aux obligations « investment grade » tout en étant associés à des risques plus faibles.
Quel élément pourrait au contraire orienter les marchés vers un scénario positif ? Les conditions monétaires étant un facteur clé, les banques centrales jouent naturellement un rôle central. Une stratégie plus accommodante de la Fed ou une relance de la banque centrale chinoise seraient naturellement des scénarios positifs, mais les problèmes économiques devraient s’être considérablement aggravés pour que les banques centrales changent à ce point de stratégie. Il est par ailleurs peu probable que Donald Trump devienne moins belliciste sur le front des échanges commerciaux. La croissance chinoise étant allée de pair avec des baisses de salaires pour les travailleurs américains, la politique commerciale agressive à l’encontre de la Chine pourrait permettre de conforter la place des Etats-Unis en tant que première économie mondiale, ce qui satisfait l’électorat du président américain.
Le pic des marchés actions est en approche alors que le dollar participe au resserrement des conditions monétaires mondiales. Néanmoins, la croissance reste solide dans les secteurs défensifs.