par Flavio Carpenzano, Senior Portfolio Manager Obligations chez AllianceBernstein
De prime abord, nous pourrions penser que les obligations libellées en dollars sont devenues une affaire en or pour les investisseurs européens suite à la hausse des taux d’intérêt aux États-Unis. L’écart entre taux américains et européens ne s’était pas creusé à ce point depuis le printemps 2017. Et il ne devrait pas s’arrêter là !
Mais le coût annuel de couverture du risque de change a atteint les 2,8 % en juillet 2018 – contre 0,5 % en juillet 2015 – et rogne en quasi-totalité les rendements excédentaires que les investisseurs européens pouvaient espérer tirer de ces obligations libellées en dollar.
Cette tendance devrait s‘amplifier si la Réserve fédérale américaine continue à resserrer sa politique monétaire plus rapidement que la Banque centrale européenne (BCE) – mais aussi plus rapidement que le marché ne l’anticipe actuellement. Nous pensons que la Fed procédera encore à quatre ou cinq hausses successives de son taux directeur d’ici la fin de l’année 2019 alors que la BCE ne devrait modifier le sien qu’une seule fois durant le second semestre de l’année prochaine.
Les investisseurs qui renonceront à la couverture de leurs obligations libellées en dollars prendront un risque considérable. Le cours du dollar a fluctué de manière imprévisible l’année dernière, sous l’effet de l’instabilité des perspectives économiques américaines et de la rhétorique pratiquée à Washington. Les portefeuilles non couverts pourraient bien ne pas se remettre d’un affaiblissement du billet vert.
L’Europe s’impose d’elle-même
Après une année 2017 exceptionnelle marquée par une soudaine flambée mondiale des échanges et des exportations, la zone euro a connu un démarrage laborieux en 2018. Mais, suite au ralentissement actuel du commerce mondial, la croissance devrait reposer davantage sur la demande intérieure. Nous pensons donc que la zone euro va poursuivre sa croissance, mais à un rythme moins soutenu que précédemment.
Le resserrement de la politique monétaire de la BCE ne devrait pas nuire à la croissance dans la mesure où l’institution a l’intention de mettre fin à ses acquisitions d’actifs en décembre 2018. Comme la Fed, elle devrait attendre quelques années avant de commencer à réduire son bilan. Nous sommes convaincus que la BCE ne procédera à aucune hausse des taux d’intérêt avant la seconde moitié de l’année 2019.
Qu’en est-il de la politique ?
Les investisseurs européens ne peuvent pas se permettre de négliger les facteurs géopolitiques. En ce moment, c’est le gouvernement populiste italien qui perturbe les acteurs du marché. Mais de l’eau a coulé sous les ponts depuis la crise grecque de 2011 – autant d’événements encourageants pour les investisseurs séduits par la dette européenne. En cas de crise, la BCE dispose désormais de différents moyens pour injecter des liquidités sur les marchés : elle peut faire l‘acquisition d’obligations souveraines émises par des pays en situation particulièrement délicate (opérations monétaires sur titres), lancer un programme d’achat d’obligations (assouplissement quantitatif) ou encore prêter des liquidités aux banques d’une nation à un taux d’intérêt privilégié (opérations de refinancement à long terme).
En outre, le risque de contagion financière est toujours réel, mais il est moins prégnant que pendant la crise grecque. Dans de nombreux pays européens, les banques ont ramené leur exposition « italienne » à un niveau acceptable. Nombre d’entre elles détiennent également des actifs turcs, mais nous pensons que leur exposition actuelle reste raisonnable.
En bref, la perspective d’un démantèlement de la zone euro semble très improbable – du moins à court terme – même si l’on peut légitimement penser que la volatilité restera élevée.
Il est temps de rentrer à la maison… mais comment faire ?
En s’appuyant sur un indice de référence, les investisseurs obligataires pourraient s’exposer à un risque de duration trop important pour que nous le jugions acceptable. Nous estimons que l’économie européenne est suffisamment forte pour résister à la hausse des taux d’intérêt attendue l’année prochaine, mais nous sommes également convaincus que le rendement des obligations allemandes va augmenter.
En conséquence, il convient d’équilibrer le risque de taux d’intérêt et le risque de crédit en combinant obligations gouvernementales, obligations à haut rendement (High Yield) et obligations d’entreprises de bonne qualité (Investment grade).
Nous pensons pour le moment pertinent de miser davantage sur le crédit et de limiter le risque de duration pour tirer profit de la solide croissance européenne. Le secteur bancaire affiche des fondamentaux solides et les valorisations sont attrayantes, autant de facteurs susceptibles d’atténuer l’impact potentiel d’une volatilité plus marquée. Les investisseurs qui opteront pour le crédit européen peuvent encore espérer des rendements attrayants et tireront parti de la tendance persistante au désendettement et de différents facteurs techniques positifs, parmi lesquels le caractère limité de l’offre.
En Europe, l’économie reste solide malgré une croissance ralentie, le système financier est en cours d’assainissement et la politique monétaire est sur le point de s’infléchir. Le continent connaît donc une période de changement très prometteuse. Les investisseurs européens capables d’étudier soigneusement le terrain et de sélectionner prudemment les titres de créance seraient bien inspirés de regagner leurs pénates.