L’environnement de l’investissement en 2019

par Luca Paolini, Chief Strategist de Pictet AM

Les investisseurs doivent s’attendre à un durcissement de l'environnement en 2019; les banques centrales continueront vraisemblablement à resserrer leur politique monétaire, exposant ainsi les marchés au risque de nouveaux bouleversements.

Vue d’ensemble: un marché à risque

Si les actifs à risque ont connu une conjoncture particulièrement propice durant la majeure partie de cette dernière décennie, les auspices semblent moins favorables pour l’année à venir. La fin des politiques de stimulation monétaire à l’échelle mondiale, l’affaiblissement des effets de la relance budgétaire américaine, les guerres commerciales, les incertitudes autour de l’Italie et du Brexit sont autant de facteurs susceptibles de jouer un rôle.

Le ralentissement de la croissance économique et le resserrement des marges bénéficiaires des sociétés auront une incidence négative sur les actions. Et à l’heure où l’augmentation des salaires se répercute sur l’inflation, il est peu probable que les obligations soient un havre de paix: l’investissement et le crédit spéculatif semblent tous deux particulièrement vulnérables à une correction. Par ailleurs, une économie plus faible pourrait profiter à l’or et aux bons du Trésor indexés et à long terme américains, tandis que le dollar américain surévalué pourrait céder du terrain. Dans ces circonstances, les liquidités seront probablement la classe d’actifs la plus performante.

Indicateur macroéconomique et du cycle du marché américain par rapport à l’histoire à long terme (percentiles)1

Notre analyse du cycle économique suggère que la croissance économique mondiale poursuivra son ralentissement (de 3,5% à 3,3% en 2018), notamment en raison de résultats d’enquêtes en recul, de la réduction progressive des mesures de relance budgétaire aux États-Unis et de la hausse des rendements obligataires. La pression inflationniste sous-jacente va s’intensifier, tout particulièrement sur les marchés émergents. Selon nos prévisions, l’inflation mondiale des prix à la consommation augmentera de 2,7% cette année à 3,0%, tandis que l’inflation salariale a déjà atteint son plus haut niveau depuis dix ans dans toutes les grandes économies développées. L’association du ralentissement de la croissance et de la hausse de l’inflation a toujours été une mauvaise nouvelle pour les obligations et les actions, et les liquidités s’imposent donc comme la meilleure alternative.

Les banques centrales hors de Chine réduiront progressivement l’afflux de liquidités au cours de l’année à venir, exposant ainsi les marchés à objet de nouveaux bouleversements. Bien que les mesures de stimulation monétaire à l’échelle mondiale ne devraient pas atteindre leur paroxysme avant la fin de 2019, une réduction spectaculaire des flux nets (de 2 600 milliards de dollars US en 2017 à 140 milliards de dollars US) ne manquera pas d’affecter les actifs à risque. À l’exception de la Chine, les banques centrales mondiales seront, pour la première fois depuis la crise financière mondiale, vendeurs nets d'actifs financiers2.

Par ailleurs, compte tenu de la primauté du dollar au sein du système financier mondial, tous les regards se tourneront vers la Réserve fédérale américaine ; augmentera-t-elle ses taux de trois quarts de point, comme la plupart des économistes et nous-mêmes le prévoyons ? En effet, parmi les risques qui nous préoccupent, la plupart sont liés aux taux d’intérêt, sous la forme d’une flambée de l’inflation aux États-Unis, qui contraindrait la Réserve fédérale américaine à adopter un comportement plus agressif, et d’un changement de régime plus profond, privilégiant la détermination du prix des actifs ou la fixation des taux à base de règles. Il existe en outre le risque que les virulentes critiques du président Donald Trump envers les hausses de la Réserve fédérale américaine s’avèrent contre-productives, si elles poussent la banque centrale à affirmer son indépendance en adoptant une attitude toujours plus belliciste.

Les valorisations des actions sont globalement neutres, après l’une des plus fortes contractions des multiples de résultats des actions jamais observées hors période de récession : le ratio cours-bénéfices à terme sur 12 mois de l’indice MSCI US a chuté de 19,2 en début d’année à 14,9 en octobre, au plus fort de la débâcle du marché. Nous prévoyons une augmentation d’environ 7% des bénéfices des sociétés mondiales au cours de l’année à venir ; cette valeur est légèrement inférieure au consensus, tandis que les marges bénéficiaires subissent une pression principalement imputable à la hausse des salaires et à l’augmentation des coûts de service de la dette. Par conséquent, nous nous attendons à ce que l’indice mondial MSCI World All Country génère des rendements totaux négligeables, voire nuls, tandis que les pertes sur les actions américaines seront compensées par les autres marchés.

Entre-temps, la pression inflationniste croissante et la réduction des achats de titres d’emprunt par les banques centrales devraient entraîner une hausse des rendements obligataires, particulièrement à l’heure où les salaires commencent enfin à réagir à des pénuries de main-d’œuvre sans précédent dans toutes les grandes économies. Ceci est également important pour les actions. Une hausse de 1 point de pourcentage des rendements obligataires américains réduit d’environ 20% la juste valeur de l’indice S&P 500, suivant nos modèles d’actualisation des flux de trésorerie ; pour les évaluations d’actions, cependant, c’est l’écart entre les rendements obligataires réels et la croissance à long terme du BPA qui prime. Nous pensons qu’une hausse à plus de 3,5% des taux des obligations du Trésor à 10 ans serait préjudiciable de deux manières aux actions. Elle inciterait les investisseurs à remplacer les actions par des obligations. De plus, la hausse des rendements entraînerait une hausse des taux d’intérêt du marché, ce qui serait à la fois préjudiciable aux emprunteurs et à l’économie dans son ensemble.

Pour le moment, nos indicateurs techniques et de confiance suggèrent que l’importance des secousses qui ont ébranlé le marché durant les derniers mois de 2018 semble exagérée. La croissance mondiale et les bénéfices des sociétés ont atteint un sommet, mais il n’existe aucun signe annonciateur d’un ralentissement économique imminent. Certes, la courbe des rendements mondiaux s’est inversée cette année, mais historiquement, la récession n’est apparue qu’un ou deux ans après ce phénomène. Par conséquent, de nombreux actifs à risque paraissent survendus et donc prêts à connaître un fort rebond, particulièrement en cas de bonnes nouvelles. Il pourrait notamment s’agir d’un accord commercial entre les États-Unis et la Chine ou d’indices de la Banque fédérale suggérant qu’elle est en mesure de ralentir le resserrement de la politique monétaire. En tout état de cause, la baisse des actions sera limitée par le manque d'optimisme actuel des investisseurs.

Marchés complexes

En matière d’investissement, il est généralement conseillé de se prémunir contre le risque d'évènements adverses, particulièrement s'il y a consensus. À l’horizon 2019, trois risques se profilent à l’horizon. La première est une accélération supérieure aux prévisions de l’inflation aux États-Unis, une évolution qui pourrait précipiter les hausses de taux. La deuxième est un bouleversement politique dans la zone euro, déclenché par l’incapacité de l'Italie à se financer. La troisième, et la plus préoccupante également, est l’escalade de la guerre commerciale opposant la Chine et les États-Unis. Jusqu’à présent, l’impact économique d’une hausse des droits de douane américains à l’importation a été négligeable; toutefois, cela pourrait changer en cas de dégradation des relations sino-américaines.

Actions: les États-Unis sont dans les cordes, les actions défensives tiennent bon

Au terme d’une exceptionnelle période haussière de neuf années consécutives, le marché des actions mondiales devrait rester stable l’an prochain, au regard du rendement total. Comparés à 2018, les 12 prochains mois promettent une croissance peu reluisante des bénéfices des sociétés.

Selon nos prévisions, les bénéfices des sociétés mondiales augmenteront d’environ 7% l’an prochain, contre 13% en 2018; en effet, le ralentissement de la croissance économique et l’augmentation des salaires pèseront sur les ventes et les marges bénéficiaires qui, aux États-Unis, ont déjà atteint des niveaux records.

Les actions américaines devraient terminer l’année 2019 dans le rouge. D’une part, elles figurent parmi les plus chères du monde; d’autre part, un probable recul de la confiance des entreprises, des consommateurs et des investisseurs américains, ainsi que la possibilité d’un nouveau resserrement monétaire, créent un environnement difficile.

Selon nos prévisions, l’année prochaine, la croissance des bénéfices des sociétés américaines diminuera également de plus de moitié par rapport aux 23% de cette année, à mesure que l’effet des réductions d’impôt mises en œuvre par Trump s’estompe; il s’agit de la plus forte baisse parmi les grandes régions. Par ailleurs, pour la première fois en quatre ans, les prévisions de bénéfices à long terme des sociétés américaines seront probablement revues à la baisse par rapport à leur niveau actuel de 16,5%, jamais dépassé en 20 ans.

Les investisseurs pourraient avoir intérêt à diversifier leurs placements hors des États-Unis, sur d’autres marchés développés tels que le Royaume-Uni et la Suisse, dont les indices de référence comportent une proportion relativement élevée d’actions défensives. Nous croyons que les secteurs d’industrie défensifs, tels que le secteur de la santé, ont le potentiel d’afficher des performances supérieures à celles des actions cycliques sensibles à l’économie, telles que les biens de consommation discrétionnaire et l’informatique, qui sont vulnérables à un ralentissement économique en raison de leurs valorisations exceptionnellement élevées.

Les incertitudes concernant le Brexit pourraient d’ailleurs constituer une opportunité attrayante pour les investisseurs étrangers, car le Royaume-Uni, l’un des marchés les moins chers, est susceptible de tirer profit d’une livre sterling faible. Le Japon pourrait être un autre marché phare, grâce à sa valorisation attrayante, à sa stabilité politique, à la faiblesse de l’endettement des sociétés et au yen, qui tend à s’apprécier lorsque l’aversion pour le risque augmente.

En revanche, nous anticipons une hausse limitée des actions de la zone euro l’année prochaine. Nous nous montrons prudents au regard des perspectives économiques de la région, notamment parce que la crise de la dette italienne est susceptible de s’aggraver au cours de l’année à venir, alors que l’économie de la région connaît déjà un ralentissement. Cela étant, les investisseurs devraient être en mesure de dévoiler des opportunités tactiques dans des secteurs tels que les services financiers et certaines industries cycliques dont la valorisation a progressé, tels que le secteur de l’énergie.

Dans le monde émergent, notre préférence va à la Chine, qui offre la meilleure valeur parmi ses pairs, avec un rapport cours/bénéfice sur 12 mois de 10.

Malgré toutes les inquiétudes que suscitent la guerre commerciale et le ralentissement économique, le pessimisme des investisseurs à l’égard de la deuxième plus grande économie mondiale semble difficilement justifiable, à l’heure où Pékin adopte différentes mesures visant à soutenir la croissance.

La Banque populaire de Chine est la seule grande banque centrale qui reste déterminée à appliquer une politique d’assouplissement et devrait, selon nos estimations, offrir des mesures de stimulation monétaire à hauteur de 350 milliards de dollars américains en 2019, équivalentes à une réduction de 200 points de base du taux de réserve obligatoire. Le gouvernement offre un soutien fiscal en investissant dans les infrastructures et en réduisant les impôts des sociétés et des ménages, tout en mettant en œuvre des mesures visant à stabiliser le marché et éliminer les risques systémiques.

Les sociétés chinoises des secteurs bancaires et de la consommation, qui ont le plus souffert de la correction des marchés en 2018, devraient être les premières à bénéficier de ces mesures de soutien et devraient donc afficher des performances en hausse l’année prochaine. Ailleurs dans le monde, nous constatons une hausse limitée en Amérique latine, où les valorisations sont plus difficiles à justifier; cela concerne particulièrement le Brésil, où nous pensons que le président nouvellement élu Jair Bolsonaro aura du mal à mettre en œuvre ses politiques favorables au commerce.

Obligations et devises : méfiance vis-à-vis du crédit

Les nuages s’amoncellent au-dessus du marché du crédit aux entreprises. Les valorisations jouent fermement en sa défaveur, le crédit étant la catégorie d’actifs la plus coûteuse de notre modèle de valorisation.

Ce constat est particulièrement inquiétant, à l’heure où les banques centrales mondiales, sous l’impulsion de la Réserve fédérale des États-Unis, resserrent leur politique monétaire. Le marché du crédit est traditionnellement le plus vulnérable aux hausses des taux d’intérêt, mais d’autres actifs obligataires seront également affectés, avec la possibilité que les taux de rendement des bons du Trésor américain à 10 ans atteignent 3,5% en 2019, contre environ 3,1% actuellement.

En outre, les risques s’accroissent sur le marché du crédit lui-même : l’endettement des sociétés augmente, et les émissions obligataires sont très élevées; la part des investisseurs individuels, qui adoptent traditionnellement une approche à court terme, s’accroît et les liquidités sont faibles. Depuis la crise financière mondiale de 2008, le volume des obligations de sociétés américaines en circulation a doublé, pour atteindre 5,5 billions de dollars, tandis que les stocks détenus par les courtiers ont diminué de 90%, pour atteindre seulement 30 milliards de dollars.

Le plus inquiétant reste peut-être encore la dégradation de la qualité du crédit. Dans l’univers des obligations «investment grade», la proportion d’obligations détenant la notation de qualité la plus basse (BBB) a fortement augmenté au cours de la dernière décennie. Ces titres représentent aujourd’hui environ la moitié de l’ensemble du marché des titres «investment grade», aux États-Unis comme en Europe.

En cas de ralentissement économique ou d’augmentation des taux de défaut, nos modèles révèlent qu’au moins 150 millions de dollars d’obligations pourraient être déclassés en obligations à haut rendement. La seule manière, pour le marché des obligations de qualité inférieure, d’absorber un tel volume d’anges déchus sera par le biais des prix. Par conséquent, nous pensons que les obligations «investment grade» et à haut rendement comportent plus de risques que ne le suggèrent leurs rendements actuels. Nous nous montrons particulièrement prudents en Europe, où les valorisations élevées sont plus extrêmes qu’aux États-Unis.

En revanche, nous croyons que les obligations indexées sur l’inflation américaines et les bons du Trésor américain à 30 ans, si la courbe des rendements s’inverse, conformément à nos prévisions, offrent certaines des meilleures opportunités dans l’univers des titres obligataires. Nous constatons également la valeur des marchés émergents, particulièrement la Russie et l’Afrique du Sud, où les rendements réels élevés offrent une très bonne protection contre d’éventuelles turbulences générées par les titres obligataires.

La dette en devises locales des marchés émergents devrait être l’un des principaux bénéficiaires de la fin du marché haussier du dollar en 2019. Le billet vert est actuellement surévalué de 20 à 25% par rapport aux monnaies des pays des marchés émergents (c’est d’ailleurs l’un des plus importants bouleversements de l’économie que nous ayons vécus au cours des deux dernières décennies), et nous prévoyons que cet écart commencera à se réduire.

NOTES

  1. Graphique reposant sur une moyenne simple des 10 indicateurs macroéconomiques et de marché suivants : Marché du travail = inverse du taux de chômage aux États-Unis ; Courbe de rendement = différence entre le rendement des obligations américaines à 10 ans et 2 ans ; Confiance économique : moyenne de la confiance des sociétés, des consommateurs, des directeurs d’entreprise, des petites entreprises, des agents immobiliers et des investisseurs dans les indicateurs de confiance économique des États-Unis et de la Communauté européenne pour la zone euro ; Valorisation des actions = bénéfices à terme sur 12 mois et ratio cours/valeur comptable (Source : Thomson Reuters Datastream ) ; Marges = secteur non financier (Source : Worldscope) ; Inflation : IPC de base annuel glissant % ; Taux directeur : taux directeur réel des États-Unis moins croissance tendancielle réelle du PIB ; Bénéfices à terme : écart par rapport à la tendance logarithmique à long terme des prévisions consensuelles de l’IBES concernant le BPA américain ; Prêts bancaires : encours des prêts bancaires américains aux résidents en % du PIB par rapport à une tendance linéaire. Données couvrant la période du 31.12.1989 au 16.11.2018.
  2. Source : Thomson Reuters Datastream, Pictet Asset Management