par Christopher Dembik, Responsable de la recherche macroéconomique de Saxo Bank
Moteur essentiel de l’activité économique, l’impulsion du crédit dans la zone euro, qui est également notre indicateur avancé préféré, est de nouveau en territoire positif, à 0,4% du PIB, après avoir commencé l’année 2018 en territoire négatif. Toutefois, l’impulsion reste très limitée par rapport à la moyenne de 0,8% observée ces quatre dernières années. Une analyse pays par pays révèle un découplage des performances entre les pays du cœur de la zone euro et les pays de l’Europe périphérique.
En France et en Allemagne, les flux de nouveaux crédits en pourcentage du PIB progressent. Ils atteignent légèrement plus de 0,6% du PIB en Allemagne et sont repartis à la hausse en France, pour atteindre près de 1,7% du PIB. Cette impulsion du crédit dans l’hexagone a certainement permis d’atténuer l’impact macroéconomique négatif de la crise des gilets jaunes au quatrième trimestre 2018.
À l’inverse, l’impulsion du crédit a fortement ralenti dans les pays périphériques de la zone euro. Elle était quasi nulle au quatrième trimestre 2018 en Italie et s’enfonce plus loin en territoire négatif en Espagne, à -2,1% du PIB, un niveau qui n’avait plus été observé depuis la fin de l’année 2013. Cela confirme clairement ce que nous disons depuis le début de l’année 2018 : la zone euro est entrée dans un cycle de resserrement du crédit, notamment dans les pays périphériques. Il y a fort à parier que ce resserrement du crédit pèsera sur la demande intérieure dans la mesure où cette dernière est fortement corrélée à l’impulsion du crédit. A terme, cela devrait se traduire par un taux de croissance inférieur à celui que prévoient le consensus et la Banque centrale européenne (BCE).
C’est plus ou moins le message qui ressort de la dernière enquête sur le crédit de la BCE : à ce jour, la transmission monétaire semble fonctionner correctement, mais nous observons une dégradation de l’accès au crédit qui devrait se poursuivre dans les prochains mois (ralentissement de la demande de prêts dû aux risques accrus pesant sur la croissance et la consommation et durcissement des conditions d’octroi de crédit dans les pays périphériques, ce qui devrait se traduire par une diminution encore plus accrue de l’impulsion du crédit).
Le lancement de nouvelles TLTRO est déjà acté
En 2019, le principal problème de la zone euro sera la faible croissance. Comme nous le savons tous, la croissance dépend largement du crédit, notamment en cette période où les banques centrales ont ouvert les vannes du crédit, conduisant à une hausse de la dette assortie de faibles taux d’intérêt. Depuis le début de l’année, les banquiers centraux sont de plus en plus pessimistes vis-à-vis des prévisions de croissance, ce qui les a poussés à envisager l’adoption de nouvelles mesures de relance. Une relance budgétaire n’est pas à l’ordre du jour pour le moment, mais cela pourrait changer : « il faudra adopter des mesures de relance budgétaire en cas de choc brutal », expliquait Jens Weidmann le 27 février. « L’attention se concentre sur la politique monétaire. »
Il est frappant de constater la vitesse avec laquelle l’état d’esprit a changé. En octobre 2018, Mario Draghi affirmait que seuls deux membres du conseil de gouvernance de la BCE avaient évoqué le lancement d’opérations ciblées de refinancement à long terme. Trois mois plus tard, il déclarait que plusieurs membres envisageaient désormais des mesures de ce type et même les membres de la BCE les plus circonspects, comme Benoit Coeuré, confirment que cette option est de nouveau à l’ordre du jour.
Pour comprendre l’agitation que provoqueront ces opérations ciblées de refinancement à long terme sur les marchés, il faut d’abord faire un état de lieux du secteur bancaire européen. Si nous considérons que les cours des actions reflètent le niveau de confiance des investisseurs, nous pouvons affirmer que les banques européennes cotées en bourse ne sont pas parvenues à regagner la confiance des investisseurs. Ce n’était pas un véritable problème jusqu’à présent car, au cours des dernières années, grâce aux opérations ciblées de refinancement à long terme, les banques avaient accès à des liquidités à très bas coût auprès de la BCE, ce qui leur permettait de ne pas payer la prime de risque élevée liée aux opérations d’emprunt. En passant par la BCE, les banques ont pu fournir des crédits bon marché aux ménages et aux entreprises de la zone euro, ce qui, in fine, a dopé l’investissement et la consommation.
Le problème est que les banques vont être confrontées en juin prochain à une étape décisive et compliquée puisque la première TLTRO entrera dans sa dernière année, aboutissant au passage à une effet important sur les ratios réglementaires de liquidité (notamment sur le ratio de liquidité à long terme). Dans la mesure où les banques n’auront plus accès à de nouveaux financements auprès de la BCE, elles n’auront pas d’autre choix que d’emprunter sur le marché à un coût plus élevé. Les banques les plus faibles, à l’instar des banques italiennes de petite ou moyenne taille, pourraient même avoir toutes les peines du monde à lever des fonds. Dans un contexte marqué par une hausse du coût de financement, les banques, qu’elles soient fragiles ou fortes, répercuteront cette hausse sur leurs clients, ce qui aboutira à un resserrement des conditions monétaires, à un fléchissement de l’impulsion du crédit et à un durcissement des conditions d’accès au crédit.
Pour éviter ce scénario, qui accentuerait le ralentissement économique de la zone euro, la BCE devrait lancer une nouvelle série d’opérations ciblées de refinancement à long terme. L’affaire serait presque déjà entendue. À ce stade, la principale incertitude consiste à savoir quand commencera l’opération et si elle fera partie d’un programme de relance plus vaste.
Des mesures monétaires innovantes à l’étude
Les interrogations qui entourent les opérations ciblées de refinancement à long terme et l’adoption éventuelle de mesures de relance supplémentaires montrent que les observateurs sont sceptiques quant à la capacité des TLTRO à stimuler à elles seules la croissance et le crédit. Contrairement à ce que l’on entend souvent, la BCE n’a pas épuisé l’arsenal des outils dont elle dispose. Nous sommes convaincus que la politique monétaire est une affaire d’expérimentation et que la BCE a encore de nombreuses cartes à jouer. À ce jour, les discussions portent sur deux sujets principaux qui pourraient faire partie du programme de relance avec les TLTRO :
- un ajustement du forward guidance qui pourrait intervenir dès la semaine prochaine, d’après les déclarations du futur économiste en chef de la BCE, Philip Lane. En d’autres termes, la BCE pourrait confirmer le maintien de taux bas sur la longue durée et donner plus d’informations sur la politique de réinvestissement ;
- rétablir le taux de dépôt en territoire positif. Il s’agit de la mesure la plus commentée après les TLTRO. L’idée qui préside à cette mesure est que les avantages inhérents à la mise en place de taux négatifs sont plutôt limités. Fondamentalement, il s’agit d’une taxe sur les banques, ce qui a tendance à affaiblir davantage les banques les plus fragiles. Jusqu’à présent, l’impact positif s’est révélé limité et dépend largement de la structure des banques. La normalisation du taux de dépôt permettrait de réduire la pression sur le secteur bancaire sur fond de resserrement des conditions de financement et de durcissement de la réglementation.
Nous savons que ces mesures ne suffiraient pas à contrer un ralentissement brutal de l’économie. Pour autant, elles semblent adaptées à la situation actuelle, qui se caractérise par un ralentissement de la croissance et par des inquiétudes croissantes vis-à-vis de l’économie allemande. Il est peut-être prématuré d’évoquer d’autres instruments qui, selon nous, devront nécessairement être accompagnés de mesures de relance budgétaire.