par Jean-Jacques Friedman, Chief Investment Officer chez Natixis Wealth Management
Les marchés sont plus que jamais dépendants des banques centrales. Dans le mouvement de hausse du premier trimestre, ce sont les dynamiques de taux et de flux qui ont été déterminantes. Les investisseurs finaux ne se sont pas renforcés dans ce mouvement, comme en témoignent les flux de souscriptions/rachat dans les gestions collectives. En terme économique, le point de focalisation portera sur le potentiel de poursuite de la croissance américaine, où la nouveauté depuis quelques mois réside dans l’amélioration de la productivité.
Comment expliquer la vive reprise de l’ensemble des marchés actions et obligataires depuis le début de l’année ? Ou, surtout, comment justifier cette hausse spectaculaire après la descente aux enfers du quatrième trimestre 2018 ? Dans les deux cas, les marchés ont été lourdement influencés par les revirements des politiques monétaires des banques centrales et, dans une moindre mesure, par les tensions géopolitiques, en particulier le conflit commercial qui oppose les États-Unis et la Chine. En revanche, les évolutions des perspectives de croissance délivrent peu de surprises. Le ralentissement de la croissance est survenu dans la zone euro, mais les perspectives sont à la stabilisation et même à une légère reprise à partir de la rentrée, grâce à des mesures de relance budgétaire en France, Allemagne et Espagne. La consommation prend le relais de l’investissement et la création d’emplois reste soutenue aux États-Unis. L’amélioration des indicateurs en Chine, notamment dans le domaine industriel, et les avancées dans les négociations commerciales sino-américaine constituent des éléments de soutien de l’activité.
L’étude des performances par zone géographique ou sectorielle confirme que la progression des marchés n’est pas liée à une anticipation d’inflexion majeure de l’économie, mais au revirement des politiques monétaires des Banques centrales.
- Les performances sont assez similaires selon les zones géographiques, en Asie, aux États-Unis et en zone euro, même si l’indice des valeurs technologiques américaines Nasdaq a surperformé.
- Au niveau sectoriel, les performances apparaissent plus diversifiées avec des surperformances dans les secteurs de la technologique, des matières premières et de la construction. Des secteurs plus défensifs, comme l’agroalimentaire et la distribution, tirent également leur épingle du jeu. En revanche, le secteur bancaire a logiquement souffert du statu quo sur les taux bas. Mais globalement, les valeurs cycliques n’ont pas bénéficié d’un regain d’intérêt des investisseurs, ce qui aurait pu valider un changement de cap du cycle économique.
- Deux classes d’actifs dominent en mars sur les marchés : les actions domestiques chinoises, qui témoignent de la vigueur du marché intérieur et les valeurs pétrolières qui accompagnent la remontée du brut.
- Les valeurs moyennes restent en retrait, toujours pénalisées par des retraits de la part des investisseurs finaux.
Sur les flux, comme nous l’avions souligné le mois précédent, les achats proviennent essentiellement des fonds alternatifs qui se repositionnement sur les actions depuis le retournement des politiques monétaires, et des rachats d’actions des entreprises. Les investisseurs finaux manquent encore à l’appel, comme le montre le niveau toujours élevé du cash dans les fonds long actions. Ces fonds n’ont pas anticipé pleinement la hausse des marchés, ce qui offre en pratique une force de soutien en cette confirmation technique de hausse des indices qui sont repassés de nouveau au-dessus de leur moyenne mobile de long terme.
Au total, ce sont bien des dynamiques de taux et de flux qui ont été déterminantes pour expliquer le rebond des marchés au premier trimestre. Les actions ont aujourd’hui totalement corrigé au premier trimestre les excès à la baisse du trimestre précédent. Cette dynamique se retrouve d’ailleurs sur les marchés de crédit, avec une détente des écarts de taux du même ordre. En conséquence, les actions ne sont plus sous-valorisées en termes de multiples : depuis le début d’année, la hausse des actions a dépassé les 15% alors que les anticipations des bénéfices sont passées de 9 % à 6 % en zone euro.
Dans vos portefeuilles en gestion sous mandat, et ce dans une approche patrimoniale et prudente, nous avons adopté depuis plusieurs séances une sous-exposition tactique sur nos profils de gestion au moment de l’annonce de la Fed qui intègre dorénavant ces bonnes nouvelles monétaires dans les cours. L’enjeu désormais est de juger comment ces politiques monétaires ainsi que les politiques de relance budgétaire dans différentes zones géographiques impacteront la croissance. Nous avons vu que la dynamique macroéconomique devrait s’améliorer en Europe et en Asie, et c’est donc autour du cycle américain que se focaliseront toutes les attentions. A cet égard, alors pourtant que ce cycle dure depuis 10 ans et que certains éléments comme l’inversion de la courbe des taux américaine est parfois interprétée comme un indicateur avancé d’une récession à horizon de quelques trimestres, nous souhaitons mettre en avant trois points plus rassurants : alors que le taux de chômage se situe durablement en-dessous de 4%, les créations d’emplois continuent d’être soutenues témoignant de la reprise d’activité de personnes qui avaient quitté le monde du travail depuis de nombreuses années. Ensuite, en cette période déjà préélectorale, Donald Trump soutiendra encore l’activité économique par tous les moyens. Enfin, un dernier point important à souligner est l’amélioration récente de la productivité aux Etats-Unis, découlant notamment de l’investissement des entreprises et l’introduction des nouvelles technologiques, qui signifie que le cycle de croissance pourrait encore se poursuivre même en cas de créations d’emplois moins élevées qu’à l’heure actuelle.