par Jean-Jacques Friedman, Chief Investment Officer chez Natixis Wealth Management
La récente correction des marchés n’est ni surprenante, ni excessive, dans un contexte de relance du conflit commercial entre les États-Unis et la Chine. Toutefois, la consolidation ne devrait pas annuler toute la hausse du début d’année, compte tenu de l’autre facteur déterminant, à savoir le revirement des banques centrales sur la conduite de leur politique monétaire, et, dans une moindre mesure, des statistiques macro-économiques résilientes. Étant donné notre sous exposition tactique depuis plusieurs semaines, cette baisse sera une opportunité pour revenir prochainement à notre allocation stratégique neutre sur les actions.
La forte hausse des marchés depuis le début de l’année avait été alimentée par deux puissants moteurs : la capitulation des banques centrales, avec le statu quo de la Fed et de la BCE sur le front monétaire et l’espoir d’un compromis sino-américain sur le commerce. En revanche, le contexte économique n’a guère changé ces six, voire douze derniers mois.
Le ralentissement se confirme au niveau mondial, mais des dynamiques de croissance persistent aux Etats-Unis, en Chine et même dans certains pays de la zone euro.
- Un chômage en zone euro au plus bas depuis dix ans et des politiques de relance budgétaire (en Italie et en France) ou salariale (Espagne) soutiennent la croissance, même si l’Allemagne reste à la traîne, compte tenu de la stagnation de l’investissement en biens d’équipement.
- Le PIB américain est ressorti supérieur aux attentes au premier trimestre, tiré par une consommation certes en retrait mais toujours soutenue par la force du marché du travail, et des prix de l’immobilier et des investissements en hausse. Les créations d’emplois progressent toujours et la productivité, un indicateur généralement peu suivi compte tenu de son inertie, se redresse. Autant d’éléments qui sont des facteurs de soutien de la croissance future.
- En Chine enfin, plusieurs statistiques témoignent d’un soutien de l’économie, par rapport aux craintes excessives de la fin de l’année dernière.
Parallèlement, les publications des résultats au premier trimestre des sociétés ressortent globalement en ligne avec les attentes en zone euro et, en chiffre agrégé, près de 5 % au-dessus du consensus aux États-Unis. Ces résultats s’avèrent rassurants mais toutefois insuffisants pour constituer un nouveau catalyseur à la hausse, tout comme d’ailleurs les indicateurs macroéconomiques.
Sur le plan des politiques monétaires, peu de changements sont à noter après le revirement de ce début d’année et malgré plusieurs interventions des banques centrales. La plus attendue, celle de la Fed, sous pression des investisseurs et du président Donald Trump, a confirmé malgré tout le statu quo sur les taux directeurs excluant, pour l’instant, de nouvelles baisses, espérées par les marchés. Même attitude du côté de la BCE qui maintient sa politique monétaire et ses taux inchangés, du moins jusqu’à la fin de l’année. Conclusion, le soutien des politiques monétaires est acquis mais déjà intégré dans les cours. En revanche, le risque géopolitique s’est singulièrement accru ces derniers jours.
Les marchés ont été pris au dépourvu par les déclarations du président américain qui ont soudainement relancé les hostilités commerciales avec la Chine, à l’issue de la trêve annoncée en décembre dernier.
En représailles des mesures décidées par Donal Trump de passer de 10% à 25 % les droits de douane sur 200 milliards de produits chinois importés, Pékin a annoncé une augmentation de ses taxes à l’importation sur 60 milliards de produits américains. Et les nouvelles négociations se sont achevées sans résultat même si les discussions ne sont pas rompues. Derrière des effets d’annonce souvent trompeurs, les négociations butent en fait sur trois points-clés : les subventions publiques chinoises, les transferts de technologie et, surtout, la propriété intellectuelle.
L’escalade était pourtant prévisible. Toujours habile à transformer un échec en succès, Donald Trump aurait pu se contenter d’un accord de façade. Mais avec une croissance au rendez-vous, un taux de chômage au plus bas et une popularité au plus haut, le président se sent désormais en position de force pour négocier et montrer à ses rivaux démocrates, dans une campagne pour sa réélection qui se profile, une stature inflexible pour protéger les intérêts américains face aux ambitions de la Chine. Il sera toujours temps de conclure un compromis, avec l’espoir d’obtenir quelques concessions supplémentaires. Avec un risque tout de même : que l’antagonisme frontal entre la Chine et les États-Unis continue à se durcir, selon une logique de confrontation entre la puissance dominante et la puissance montante.
Ce risque d’une impasse est désormais pris en compte par les marchés, comme une alerte à un ralentissement économique prolongé, voire aggravé, alors que les indicateurs économiques laissaient espérer un deuxième trimestre plus favorable. Dans ce contexte, la récente correction des marchés, d’environ 5 %, n’est ni surprenante, ni excessive. Des querelles commerciales interminables ne peuvent que peser sur les profits des entreprises.
L'allocation de Natixis Wealth Management
Comme beaucoup d’investisseurs, notamment les gérants de fonds long only qui affichent des niveaux de liquidité records, nous avions le mois dernier ajusté notre allocation à « sous pondérée » sur les actions, en écrêtant les valeurs européennes et les valeurs moyennes émergentes. Les mouvements de marché sont actuellement unilatéraux et la correction pourrait se poursuivre jusqu’aux prochaines réunions internationales, sans toutefois annuler toute la progression des indices depuis le trou d’air de la fin de l’année dernière. Compte tenu des faibles niveaux de volatilité, les investisseurs sont en outre en capacité de se couvrir rapidement en achetant des options de vente, ce qui peut accélérer le mouvement. Enfin, le soutien des banques centrales reste acquis, au moins pendant plusieurs trimestres.
En termes d’allocation, dans une approche patrimoniale prudente, nous maintenons encore notre sous-exposition aux actions, notamment sur les valeurs européennes (en particulier sur les secteurs et les pays les plus exposés au commerce international) et américaines (avec une exposition plus forte sur les valeurs technologiques que nous venons de renforcer en allégeant les valeurs émergentes sur le compartiment des valeurs moyennes). Nous étions passés d’une allocation tactique surexposée à une sous-exposition au terme du premier trimestre de cette année et notre objectif est de revenir à la neutralité sur les actions au cours de la consolidation qui se met en place actuellement.