par Jean-Marie Mercadal, Directeur Général Délégué en charge des gestions chez OFI AM
Les investisseurs avaient été rassurés par le revirement en janvier de la Réserve fédérale, sur fond d’amélioration de la situation macroéconomique… Il fallait un catalyseur pour que les marchés corrigent enfin, après plusieurs mois de hausse quasi ininterrompue, et sans volatilité. Un tweet de Donald Trump a fait bouger les lignes : la perspective d’une « guerre commerciale » dure ravive en effet les craintes de ralentissement. Début de retournement majeur ou simple consolidation ?
Nous conseillons depuis mars/avril d’adopter des stratégies d’investissement plus prudentes compte tenu de la rapidité du mouvement de reprise constaté. Les marchés ont en effet depuis quelques années des comportements atypiques, avec une suc- cession de phases de hausses très intenses, suivies de corrections soudaines et violentes. La nature des marchés semble en effet avoir changé : ils sont de plus en plus soumis à des mouvements induits par les modèles d’allocation, les signaux donnés par les automates de trading, et les choix sont également rendus binaires par le fait qu’une large partie du gisement obligataire offre des rendements quasi nuls, voire négatifs.
Toujours est-il qu’après l’un des meilleurs premiers trimestres des marchés depuis 20 ans, nos objectifs de cours et de performance pour l’année, actions comme crédit, avaient été atteints très rapidement. Une période plus volatile semble donc s’ouvrir, déclenchée par un nouveau « coup de Trump » !
Cette nouvelle offensive s’explique du point de vue du Président américain, mais elle tombe mal. Pour Donald Trump, la campagne présidentielle en vue de sa réélection commence. Il est temps de reprendre la main sur sa communication envers son socle électoral et le timing pour se montrer intransigeant n’est pas si mauvais : Wall Street a retrouvé des couleurs, sa popularité a remonté, il y a eu beaucoup de « buzz » autour du taux de chômage historiquement bas des États-Unis et la statistique de croissance du premier trimestre a dépassé les attentes.
Mais pour les marchés, elle tombe mal. Les investisseurs s’étaient faits à l’idée qu’un accord avec la Chine allait être signé dans des délais raisonnables, dans une certaine harmonie retrouvée entre les deux pays, si bien qu’un scénario négatif est peu « pricé » aujourd’hui. Or, nous savons que les effets psychologiques sont plus profonds que les effets purement comptables. La croissance mondiale, en convalescence, serait ainsi à nouveau durement touchée par des tensions plus exacerbées, avec une possible contagion à l’Europe, soit en victime collatérale d’un « pacte » sino-américain, soit en extension des mesures américaines sur certains secteurs, comme l’automobile par exemple dont le sort n’est pas encore clairement fixé. Plus globalement, le climat a changé entre les États-Unis et la Chine. Les marchés craignent que les enjeux soient plus profonds et dépassent les stricts droits de douane, ce qui peut donc durer. Les sujets sont à plus long terme, avec des questions clés comme l’ouverture du marché chinois et le respect de la propriété intellectuelle et des transferts de technologie. Par ailleurs, il est à craindre que cette guerre commerciale ne se transforme en guerre des changes. La monnaie chinoise vient de perdre près de 3,5 % en deux semaines, ce qui risque de fragiliser les autres monnaies émergentes et provoquer des réactions en chaîne.
Un scénario positif est toutefois encore possible, peut-être s’agit- il seulement d’une posture de négociation adoptée par Donald Trump ? D’ailleurs, taxer les produits chinois non encore ciblés aurait potentiellement des conséquences négatives sur le consommateur américain. Les produits de consommation courante ne sont en effet pas substituables instantanément par une production américaine, ce qui risque de renchérir les prix de vente et/ou peser sur les marges des distributeurs. Les deux Présidents, Donald Trump et Jinping Xi doivent se rencontrer fin juin à l’occasion du sommet du prochain G20 à Osaka. À suivre, mais en attendant, les investisseurs risquent de rester assez prudents.
Sur le plan économique, après avoir craint un trou d’air assez violent en fin d’année dernière, la situation mondiale s’était stabilisée. L’environnement global se caractérise par une croissance assez faible, mais stable, et sans inflation.
Aux États-Unis, la croissance du premier trimestre a surpris positivement. Il n’y a pas eu d’effet climatique décevant cette fois-ci et les effets du « shutdown »(1) ont été marginaux. Elle est ressortie à 3,2 %. Attention toutefois, de nombreux experts soulignent que cette croissance, plus élevée qu’attendue, est due à des facteurs conjoncturels tels que la reconstitution de stocks par exemple, si bien que les prochains trimestres ne seront probablement pas aussi spectaculaires. L’économie américaine devrait croître autour de 2,5 % cette année, ce qui est remarquable à ce stade du cycle. La phase d’expansion américaine s’apprête donc à battre son record de longévité (10 ans). S’il s’agit de la plus longue phase de croissance, c’est aussi l’une des plus faibles en intensité. Elle contraste ainsi avec la précédente phase la plus longue, entre avril 1991 et décembre 2000, période durant laquelle le taux annuel moyen avoisinait 3,8 %.
C’est assez révélateur de la situation actuelle dans les pays développés : la « croissance potentielle » a baissé, sous l’effet du vieillissement des populations, des niveaux de développement atteints, des stocks de dettes accumulés…
En zone Euro, la croissance a rebondi un peu plus qu’attendu à 1,5 % en rythme annuel au premier trimestre, soutenue par la consommation et les services alors que la production industrielle reste faible : après avoir atteint un plus bas depuis avril 2013, l’indicateur avancé PMI manufacturier(2) gagne 0,4 en avril, à 47,9, mais se situe pour le troisième mois consécutif sous le seuil de 50 – qui marque la différence entre expansion et contraction. Pour l’instant, la croissance de la zone est attendue à seulement 1,1 % cette année. La zone pourrait être touchée en cas de durcissement des tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis : dans le cadre de négociations, la Chine peut se tourner davantage vers des fournisseurs américains, au détriment des européens. En Chine, la croissance a dépassé les attentes en ce début d’année. Les mesures de stimulation prises par le gouvernement (baisse des taux, des réserves obligatoires des banques, des impôts…) ont porté leurs fruits. La croissance a atteint 6,4 % en rythme annuel au premier trimestre, ce qui a grandement rassuré les investisseurs, même si c’est une fois de plus au prix d’un endettement croissant.
Finalement, les marchés ont été rassurés en ce début d’année par le scénario d’une croissance mondiale modérée autour de 3,3 %, ce qui permet aux entreprises de se développer sans provoquer de tensions sur les taux d’intérêt. Mais la marge de manœuvre est faible en cas de persistance des tensions.
Taux d’intérêt : vers des « trading ranges »(3) ?
Les Banques Centrales ont radicalement changé leurs points de vue et ont mis de côté leurs stratégies de « normalisation » des politiques monétaires, et peut-être pour longtemps. Cette posture répond d’une part aux craintes de ralentissement économique et, par ailleurs, les objectifs d’inflation ne sont pas atteints : aux États-Unis depuis 2012, la cible de la Reserve fédérale a été de 2,0 %, mesuré par le PCE (Personal Consumption Expenditure, qui prend en compte l’indice des prix structurels hors phénomènes conjoncturels comme l’énergie). Cet indicateur a été en moyenne de 1,8 % depuis 20 ans et de seulement 1,4 % depuis que la cible existe explicitement. En zone Euro, la situation est similaire, on est resté loin de l’objectif de 2,0 % donné par Mario Draghi, avec près de 1,0 % actuellement. Tant que l’on ne discerne pas de résurgence inflationniste, il y a peu de chance de voir des Banques Centrales durcir leurs positions.
Cela signifie donc que les taux d’intérêt vont rester bas, voire que les achats de soutien, « les fameux QE »(4) peuvent reprendre le cas échéant. La Fed par exemple, après avoir réduit la taille de son bilan en proportion du PIB ces derniers mois, envisage désormais une stabilisation à partir d’octobre 2019, ce qui signifie des achats additionnels pour un montant de 43 Mds$, et notamment des MBS (Morgage Back securities, des titres adossés à des créances hypothécaires). Il n’y aura donc pas de modification des taux directeurs à court terme.
En zone Euro, d’après les marchés à terme, ils ne seront pas relevés avant 2021. À propos de la BCE, la véritable inconnue concerne le successeur de son Président, Mario Draghi. De ce point de vue, la situation a évolué. La probabilité de voir un Allemand à la tête de la Commission Européenne ainsi qu’à la tête de la BCE a regagné du crédit ces dernières semaines. Mario Draghi va quitter son poste avec un très bon bilan. Il a largement contribué à éviter une grave crise de la zone Euro en 2011/2012 par une politique audacieuse qui a porté les taux directeurs en territoire négatif et par des pro- grammes de soutien : achats de titres et prêts aux banques. La BCE a véritablement réussi à sortir la zone de la déflation alors que les pouvoirs politiques sont apparus divisés et incapables d’agir à ce moment crucial. Le nouveau Président de la BCE devra donc être pragmatique et agile. Le processus de décision est plutôt opaque. La logique voudrait qu’un Allemand soit enfin nommé pour diriger l’institution, ce qui n’a jamais été le cas depuis la création de la BCE. Dans ce cas de figure, Jens Weidmann, Président de la BundesBank est naturellement qualifié. Le problème et l’inconnue pour les marchés, c’est qu’il s’est plutôt opposé à la politique de Mario Draghi, même si les décisions se prennent par les 25 membres du Conseil de gouvernance. Ces débats animeront l’actualité financière à partir du mois de juin, une fois les élections européennes passées.
Du côté de la Fed, la question désormais est de savoir si elle va baisser ses taux directeurs. Les marchés anticipent désormais deux baisses de 25 pb d’ici fin 2020. Nous pensons cependant qu’il n’y aura pas de mouvement à court terme en l’état actuel. Cela serait contre-productif, donnant une indication négative sur la croissance aux marchés susceptible d’affoler les investisseurs.
Dans ces conditions, nous pensons donc que les taux longs vont se stabiliser autour des niveaux actuels. Concernant le Bund, il devrait osciller autour de 0,00 % au cours des prochains mois, avant éventuellement de revenir vers la zone de 0,25 % si la situation internationale se calme. Le rendement du T-Notes 10 ans américain devrait quant à lui se stabiliser autour de 2,50 %.
Les « spreads »(5) de crédit se sont logiquement écartés dans le mouvement récent, de l’ordre de 10 pb sur le segment « Investment Grade » et de 40 pb sur le « High Yield ». Nous considérons qu’à ces niveaux, le rendement des obligations « High Yield » redevient intéressant et nous passons de « neutre » à « positif » sur cette classe d’actifs, toujours dans une logique de « Buy and Hold »(6) de façon à se prémunir des périodes de moindre liquidité.
De même, les obligations émergentes en devises locales ont été affectées par la baisse d’ensemble des principales devises dans le sillage du Yuan chinois. Il est peut-être un peu trop tôt pour renforcer les positions car il peut y avoir encore de la volatilité, mais elles restent intéressantes pour leur rendement, autour de 7 % actuellement.
Actions : les bénéfices s’ajustent progressivement vers un scénario de croissance molle
La hausse des marchés observée depuis le début de l’année était sûrement un peu trop rapide compte tenu de la dynamique des résultats des entreprises. Les publications du premier trimestre ont été dans l’ensemble satisfaisantes. Elles montrent une évolution globalement positive des chiffres d’affaires et des bénéfices, mais avec un rythme modéré et cohérent avec une croissance assez « molle ».
Dans un contexte de faibles taux d’intérêt, il n’est pas illogique que les niveaux de valorisation montent. Mais au vu des niveaux atteints, les marchés actions ne peuvent toutefois pas continuer à progresser fortement quand les bénéfices sont plutôt révisés à la baisse. Le PER(7) 2019 des actions américaines a ainsi atteint un peu plus de 17 (contre 14,5 en décembre dernier), sous l’effet de la progression des cours et des révisions à la baisse des profits attendus : le consensus table désormais sur 167 USD de bénéfice par unité d’indice S&P 500 contre une estimation de près de 178 USD en septembre dernier, et près de 161 USD l’année dernière, ce qui donne une progression en masse d’un peu moins de 4 % pour cette année. Pour 2020, la progression attendue est pour l’instant de 11 %, mais la fiabilité est encore faible à ce stade. En zone Euro, le PER 2019 de l’indice Eurostoxx a également remonté, mais plus modérément, passant de 12 à près de 13,5 actuellement. Le consensus attend désormais 26,8 EUR de bénéfice par unité d’indice, contre une estimation de 29,3 EUR en septembre der- nier, et 25 EUR l’année dernière, soit une progression de 7,2 % des bénéfices sur l’année. Attention toutefois à ces chiffres en masse, les valorisations d’ensemble masquent de très fortes disparités entre les valeurs défensives/de croissance et les valeurs plus cycliques.
La dynamique des résultats est donc moyenne, mais il n’en reste pas moins que les investisseurs n’ont pas beaucoup de choix : après une phase de correction qui peut se poursuivre, les actions redeviendront intéressantes, au moins en relatif pour leur rendement et compte tenu de la cherté globale des marchés obligataires. Nous pensons qu’une correction supplémentaire de 3 à 5 % est possible et redonnera des points d’entrée attractifs. Le spectaculaire rebond des actions chinoises a également été « challengé » par le contexte global. Après avoir regagné rapidement plus de 30 % en début d’année, elles viennent de céder près de 10 % et redeviennent attractives selon nous dans une optique de moyen terme. Elles nous paraissent encore sous-valorisées et restent très peu présentes dans les portefeuilles internationaux à l’heure où MSCI (entreprise de services financiers, publiant notamment les indices boursiers) va progressivement les intégrer dans les indices, à commencer par l’indice des actions émergentes dans lequel elles ne figuraient pas.
Dans ce contexte assez incertain et de taux quasi nuls, il est légitime de se poser la question de savoir s’il existe des stratégies, pas trop coûteuses, qui per- mettent de couvrir un scénario négatif extrême.
- Normalement, il serait logique d’augmenter la part des obligations dans les portefeuilles pour couvrir des scénarios de fort ralentissement économique. C’est plus difficile aujourd’hui, les marchés obligataires gouvernementaux ayant été « nationalisés » et les rendements étant trop faibles. Nous pouvons éventuellement acheter des obligations longues du Trésor américain, dont le rendement à 10 ans pourrait descendre jusqu’à 2 %, voire un peu en dessous en cas de crise plus profonde. Mais le risque de change est cher à couvrir.
- Privilégier les stratégies asymétriques. Les obligations convertibles sont un bon moyen actuellement, même si la volatilité implicite a un peu monté ces dernières semaines. Sinon, il est possible de construire des portefeuilles d’actions avec des couvertures optionnelles systématiques, gérés dynamiquement pour éviter de perdre trop de valeur temps et de gérer des prix d’exercice optimaux.
- Enfin, et c’est la solution peut-être la plus simple actuellement, investir en or et/ou en mines d’or. Il s’agit d’une va- leur refuge ultime et cette classe d’actifs est délaissée aujourd’hui. Pourtant, les facteurs de soutien ne manquent pas : le coût de détention est faible vu le niveau des taux d’intérêt réels, il y a peu d’alternative comme actif de sécurité… Par ailleurs, les fonds mines d’or ont fait l’objet de retraits importants ces derniers mois, si bien qu’aujourd’hui, il semble que les investisseurs soient peu présents, situation qui s’apparente à celle des actions chinoises à l’automne dernier.
Notre scénario central
Sans aller jusqu’à recruter un « tweet watcher », nous pensons qu’il convient d’essayer de tirer parti de ces conditions de marchés binaires.
L’actualité est source de volatilité et d’incertitude, mais nous privilégions le scénario d’un apaise- ment à terme sur la problématique commerciale. Nous ne croyons pas au retour d’un protectionnisme généralisé dans ces économies mondialisées. Personne n’y a intérêt, surtout pas Donald Trump en vue de sa réélection. Nous pensons donc que la phase actuelle de marché s’apparente plutôt à une consolidation qu’à un retourne- ment de tendance majeur.
Il y a déjà des opportunités sur le « High Yield » et il y en aura sur les actions, après un repli supplémentaire possible de 3 à 5 %, et sur la dette émergente. La période est également propice à certains actifs « défensifs » oubliés comme l’or et aux stratégies asymétriques comme nous l’avons détaillé.
NOTES
- Shutdown : situation politique américaine dans laquelle le Congrès échoue à autoriser suffisamment de fonds pour les opérations gouvernementales
- PMI manufacturier : indice mesurant le niveau d’activité des Directeurs d’Achats dans le secteur industriel
- Trading ranges : écart entre les plus hauts et les plus bas niveaux de prix observés sur une période donnée.
- Quantitative Easing : rachats massifs de titres de dettes par une Banque Centrale
- Spread : écart de taux
- Buy and Hold : l’investisseur étudie en détail les qualités fondamentales des actifs, avant de retenir les titres les plus rentables
- PER : Price Earning Ratio. Indicateur d’analyse boursière : capitalisation boursière divisée par le résultat net.