par Thomas Costerg, Economiste sénior US chez Pictet Wealth Management
L’économie américaine a connu une croissance relativement monotone depuis la crise financière, particulièrement comparée aux cycles précédents. Néanmoins, les firmes américaines montrent une forte profitabilité. L’accumulation de cash a été d’autant plus impressionnante quand juxtaposée à la faiblesse de cette croissance. Cela est partiellement dû à l’innovation technologique sous-jacente, ainsi qu’à la structure oligopolistique de l’économie. Ce paradoxe est aussi une source de la montée du populisme, à la fois de droite et de gauche.
Aspects cycliques : une mini décélération dans un cycle résilient
L’économie américaine est dans son troisième ‘mini cycle conjoncturel’. Les deux précédents ne se sont pas soldés par des récessions. Il est vrai que cette fois ci, les tensions commerciales fragilisent encore davantage le cycle. Néanmoins, une compression dangereuse des marges (et donc une récession) peut être évitée car il n’y a pas encore de choc sur la masse salariale, ni sur les coûts de financement (en particulier des entreprises). Les tensions commerciales avec la Chine affectent en réalité surtout des biens de consommation (et non des biens durables), qui peuvent être substitués (et ils le sont avec le Vietnam et le Mexique). Nous restons donc confiants à court terme sur la résilience du cycle, surtout que la Fed pourrait encore intervenir (voir ci-dessous). A surveiller de près néanmoins dans les prochains mois sont le cycle du pétrole – le Texas pourrait être un talon d’Achilles –, le crédit aux consommateurs, ainsi que le marché immobilier, qui est plus atone que prévu malgré la baisse des taux hypothécaires ces derniers temps.
Conflit commercial avec la Chine : Les aspects structurels s’imposent
Le conflit commercial avec la Chine dépasse les questions de pur déficit commercial, et l’on en vient maintenant au cœur du problème qu’est la montée en puissance économique, technologique et géostratégique de celle-ci. Le lancement par la Chine d’une fusée sur la lune en début d’année a fait sursauté les milieux géopolitiques américains, tandis que le changement de leadership des négociations bilatérales au ‘dur’ Robert Lighthizer (contre Mnuchin auparavant) a rendu celles-ci plus complexes. Notre scénario est que le conflit commercial pourrait durer (y compris avec des droits de douane supplémentaires), mais les négotiations pourraient quand même continuer en toile de fond. Le président Trump semble très influencé par son entourage de ‘durs’, et particulièrement ces dernières semaines, néanmoins il faut garder en tête que sa réelection pourrait nécessiter un marché boursier restant solide. La Chine il est vrai semble davantage affectée par les tarifs que les Etats Unis, néanmoins Trump risque de sous estimer l’impact sur la confiance des entreprises du grand manque de visibilité qu’il leur offre, surtout après les décisions erratiques récentes sur le Mexique.
Politique monétaire de la Fed : Un régime monétaire de dominance de la dette
Notre grille d’analyse de la politique monétaire de la Fed repose sur le cadre d’une ‘dominance’ de la dette privée. Les années QE ont vu la dette des entreprises augmenter sensiblement, ce qui en retour contraint beaucoup la Fed, elle qui a justement peur d’engendrer une récession. Ce que cela veut dire est que la Fed est quasi ‘condamnée’ à garder les taux bas pour éviter les accidents de parcours ; elle sait que la longévité du cycle repose justement sur des taux de financement bas. A court terme, cela veut aussi dire qu’elle pourrait finalement succomber aux appels du marché et délivrer des baisses de taux de type ‘assurantiel’. Le risque concernant les taux d’intérêt sont à la baisse dans les prochaines années, d’autant que la Fed est prête à fermer les yeux si un petit épisode d’inflation se matérialisait. De facto, on est déjà dans une forme de cadre ‘MMT’ (Modern Monetary Theory) appelé dans certains cercles universitaires et politiques.