par William de Vijlder, Chef économiste de BNP Paribas
Une déclaration fracassante est un événement, une deuxième pourrait marquer le début d’une tradition. Lors de la conférence annuelle de la BCE à Sintra (Portugal), Mario Draghi avait créé la surprise en 2017 en déclarant : « Avec la poursuite du redressement économique, une orientation constante de la politique monétaire deviendra plus accommodante et la banque centrale peut accompagner la reprise en ajustant les paramètres de ses instruments de politique monétaire — non en vue de durcir son orientation, mais de la maintenir globalement inchangée. » 1
Cette semaine encore son discours a fait la une car les termes employés à propos d’un éventuel assouplissement ne trompent pas. « Les perspectives de risque restent orientées à la baisse et les indicateurs pour les prochains trimestres laissent présager une faiblesse persistante… En l’absence d’amélioration, au point que le retour soutenu de l’inflation vers notre objectif puisse être menacé, des mesures de relance supplémentaires seront nécessaires »2.
Les conséquences en termes d’orientation générale seront débattues par le Conseil des gouverneurs dans les semaines à venir ; ce qui laisse entendre un assouplissement prochain de la politique monétaire. Pour ce qui est des outils disponibles, M. Draghi a indiqué que la forward guidance pouvait être ajustée en termes de biais et de conditionnalité. Autrement dit, la BCE pourrait déclarer que les taux resteront à leur niveau actuel, voire en dessous, jusqu’à une date plus lointaine. De nouvelles baisses des taux d’intérêt sont possibles : « des mesures d’atténuation visant à limiter les effets secondaires font toujours partie de nos outils » (une allusion faite au système de rémunération à plusieurs niveaux des dépôts des banques commerciales)3.
La phrase la plus importante du discours est la suivante : « Le Traité exige que nos actions soient à la fois nécessaires et proportionnées pour remplir notre mandat et atteindre notre objectif, ce qui implique que les limites que nous fixons concernant nos outils doivent être spécifiquement adaptées aux situations imprévues que nous rencontrons ». En d’autres termes, les limites du programme de rachat d’actifs seront adaptées à l’urgence de la situation.
Comme le montrent les graphiques, le rendement du Bund a reculé entraînant dans son sillage celui des Treasuries, les actions européennes sont reparties à la hausse, l’euro s’est replié et le taux swap inflation 5 ans dans 5 ans a également augmenté, reflétant une légère hausse des anticipations d’inflation et/ou de la prime de risque d’inflation. Un soulagement compte tenu de la forte baisse de cet instrument enregistrée ces dernières semaines.
L’une des raisons possibles pour lesquelles le président de la BCE est allé bien plus loin que lors de sa conférence de presse d’il y a deux semaines, est qu’un infléchissement du ton de la Fed était attendu à l’occasion de sa réunion du lendemain. Un message plus accommodant de la BCE pouvait avoir pour objet de prévenir une appréciation de l’euro dans le cas où la Fed laisserait entrevoir un assouplissement de sa politique monétaire4. Est-ce la bonne lecture ? Il est difficile de le dire pour le moment, mais une chose est sûre : les marchés des changes sont très sensibles à l’orientation relative des politiques monétaires.
Ainsi, après la réunion du FOMC et la conférence de presse du président de la Fed, Jerome Powell, le taux de change EUR/USD a même dépassé le niveau enregistré avant le discours de Mario Draghi. Le changement de ton de la Fed5 s’explique par un renforcement du risque à la baisse, dû à des courants contraires, au repli de la confiance des chefs d’entreprise ainsi qu’au ralentissement de l’investissement. De plus, l’inflation évolue plus lentement vers l’objectif et on craint de plus en plus qu’elle se maintienne plus durablement en deçà de ce dernier. Ces sujets de préoccupation sont très proches de ceux de la zone euro. La synchronisation des messages relatifs à une orientation plus accommodante de la politique monétaire devrait être la bienvenue : ce qui est bon pour la zone euro devrait l’être aussi pour les États-Unis et inversement. Cependant, l’impression qui domine est que les banques centrales luttent contre un courant puissant, celui de l’incertitude. C’est peut-être la raison pour laquelle la réaction du S&P500 aux commentaires de J. Powell a été aussi mitigée.
NOTES
- BCE, Accompanying the economic recovery, Discours d’introduction de Mario Draghi à l’occasion du Forum annuel de la BCE à Sintra, 27 juin 2017
- BCE, Twenty Years of the ECB’s monetary policy, Discours prononcé par Mario Draghi, Président de la BCE, lors du Forum des banques centrales organisé par la BCE à Sintra, le 18 juin 2019
- Dans un système de rémunération à plusieurs niveaux, différents taux négatifs seraient appliqués aux réserves excédentaires déposées par les banques auprès de la banque centrale. Une partie des réserves pourrait même être exemptée.
- Même si l’euro n’est pas un objectif de politique monétaire, c’est une composante clé des conditions financières et monétaires. Mario Draghi a ainsi souligné à Sintra que « la zone euro est une économie relativement ouverte… cela signifie que l’impact des taux négatifs sur l’inflation et les conditions de financement via le taux de change est plus puissant [qu’aux États-Unis] ». Compte tenu du ralentissement économique de la zone euro, un net raffermissement de la monnaie serait particulièrement malvenu.
- Ce changement de ton se reflète dans l’ajustement à la baisse des projections du taux cible des Fed Funds (les « dots ») pour l’année prochaine (de 2,6 % à 2,1 %), indiquant à présent un assouplissement de la politique monétaire, ainsi que dans les commentaires du Président, au cours de sa conférence de presse, selon lesquels de nombreux membres du FOMC estiment qu’un assouplissement de la politique monétaire est de plus en plus justifié et que « 8 membres sont favorables à des baisses de taux ».