par William de Vijlder, Chef économiste, et Raymond Van Der Putten, économiste chez BNP Paribas
L’économie allemande est dans une situation difficile : après le repli du PIB au deuxième trimestre, elle pourrait, d’après les données préliminaires, avoir enregistré une nouvelle contraction au T3 et être ainsi en récession technique. Cependant, l’indice Ifo du climat des affaires s’est légèrement redressé en septembre, reflétant une meilleure évaluation de la situation actuelle dans le secteur non manufacturier. Par contre, les anticipations continuent de refluer. Le fléchissement de l’activité est principalement concentré dans l’industrie manufacturière, secteur dans lequel les enquêtes auprès des chefs d’entreprises ont atteint des niveaux très bas.
Les indicateurs relatifs aux services et à la construction, quoique en repli par rapport à 2018, se maintiennent à des niveaux relativement élevés. Les conditions du marché du travail restent extrêmement tendues. Le taux de chômage s’inscrivait à 3 % en juillet, le niveau le plus bas de la zone euro. En août, une légère hausse du chômage et une augmentation du chômage partiel ont été observées. En résumé, il semble que l’Allemagne soit en récession technique tout en étant en situation de plein emploi. Pour la Bundesbank, les turbulences actuelles ne sont qu’une normalisation de la situation économique.
Source : Commission européenne, BNP Paribas
Cependant, des voix de plus en plus nombreuses plaident pour une relance budgétaire. Olaf Scholz, ministre des Finances, se disait récemment favorable à une forte impulsion budgétaire en cas de crise économique.
Le président de la Bundesverband der Deutschen Industrie (BDI), la Fédération des industries allemandes, a appelé à accroître les investissements dans les infrastructures numériques et l’efficacité énergétique, et profiter ainsi de coûts d’emprunt négatifs pour le gouvernement. Des fonds publics pourraient être investis aux côtés de fonds privés pour une plus grande efficacité. Comme l’a martelé, Mario Draghi, président de la BCE, les pays disposant d’une marge de manœuvre budgétaire (ex : Allemagne, Pays-Bas) devraient s’en servir pour stimuler la croissance, renforçant ainsi l’efficacité de mesures monétaires très accommodantes.
D’autres pays de la zone euro suivent ce débat avec grand intérêt dans l’espoir qu’une impulsion budgétaire en Allemagne ait des effets d’entrainement positifs en termes de croissance. Les graphiques illustrent les résultats de la simulation (réalisée à l’aide du modèle NiGEM) d’une augmentation des investissements publics allemands équivalant à 1 % du PIB pendant deux ans. Dans l’ensemble, les effets sont limités. Sur le graphique ci-dessous, le PIB allemand enregistre une croissance comprise entre 0,40 et 0,45 point de pourcentage par rapport au scénario de base. Pour la zone euro dans son ensemble, l’impact est de l’ordre de 0,15 à 0,20 p.p. Concernant la France, l’Italie et l’Espagne, l’impact est négligeable à court terme et, en France et en Espagne, cela se traduit même par un léger coup de frein sur l’activité ; l’accélération de la croissance allemande crée, en effet, un environnement justifiant un resserrement monétaire.
Compte tenu des messages récents de la BCE en termes de forward guidance liée à l’état de l’économie, il est plus approprié de réaliser une simulation dans laquelle les taux directeurs restent bloqués au niveau qui est le leur dans le scénario de base. Comme le montre le graphique de droite, les effets sont légèrement plus positifs, tout en restant très modestes. À en juger par ces simulations, les autres pays de la zone euro ne devraient pas fonder trop d’espoirs dans une éventuelle relance en Allemagne. L’autre raison de réfréner leur enthousiasme est que la probabilité d’un tel scénario semble bien mince. La politique est déjà vouée à être légèrement expansionniste conformément à l’accord de coalition, mais le budget restera excédentaire. L’augmentation des investissements publics pourrait ne pas être efficace en raison de la longue période de planification nécessaire et des goulets d’étranglement sur le marché du travail. Récemment, le gouvernement a dévoilé un ensemble de mesures destinées à lutter contre le changement climatique, d’un montant de EUR 54 mds, portant sur la période 2020-2023 pour atteindre les objectifs 2030. L’extension du système national d’échange de droits d’émission au secteur des transports et au chauffage devrait largement permettre de financer les mesures de soutien aux investissements dans les infrastructures bas carbone. Ces mesures ne devraient guère peser sur le budget. Le principe d’équilibre budgétaire (surnommé en allemand « Schwarze Null ») étant inscrit dans la constitution, il n’est pas près d’être remis en question, sauf nette détérioration de la conjoncture.