par Jean-Jacques Friedman, Chief Investment Officer chez Natixis Wealth Management
L’apaisement des tensions géopolitiques, les niveaux records des taux bas (qui ne correspondent pas à la réalité de la situation économique) et la réduction de la sous-exposition aux marchés actions par la majeure partie des investisseurs restent les principaux facteurs de soutien aux actifs risqués. De plus, les indicateurs économiques marquent ce mois-ci une inflexion, qui a conduit les investisseurs à reconsidérer leurs prévisions pour les prochains mois. Cette nouvelle perception plus favorable du contexte vient conforter le scénario privilégié jusqu’ici par les équipes de Natixis Wealth Management. Retour sur leur analyse de l’environnement économique et les décisions de gestion prises récemment.
Les mois précédents, nous mettions en garde sur la pertinence des signaux annonçant une prochaine récession. Le message de l’inversion de la courbe des taux était notamment trop brouillé par la volte-face de la politique monétaire américaine, les pressions du président Donald Trump en faveur d’une baisse des taux et les erreurs de communication du président de la Fed, Jerome Powell. Autant d’éléments qui ont excessivement pesé sur les taux longs, sans être le reflet de la situation réelle de l’économie.
Que nous disent aujourd’hui les indicateurs macroéconomiques ?
Des signes de stabilisation de l’activité industrielle
Le redressement inattendu en octobre de l’indice PMI manufacturier en Chine et la résistance de l’indice manufacturier ISM aux Etats-Unis marquent une stabilisation de l’activité industrielle, après plusieurs mois de contraction. En zone euro, la tendance observée est également à l’amélioration. Il est important de rappeler que la contraction industrielle est antérieure au déclenchement de la guerre commerciale et trouve son origine dans la volonté de la Chine de rationaliser son outil industriel et d’engager la transition de son économie vers les services.
Pas de contagion au secteur des services
Cette stabilisation des indicateurs industriels écarte le scénario d’une contagion au secteur des services, qui avait donné cet été quelques signes d’essoufflement. Aux Etats-Unis, les indicateurs des services dépassent les attentes en octobre, portés par le dynamisme du marché de l’emploi, la hausse du pouvoir d’achat, la bonne tenue des marchés financiers et la reprise du marché immobilier.
Amélioration de la productivité des entreprises
L’augmentation modérée des salaires aux Etats-Unis a été compensée par la hausse de la productivité, preuve que les investissements dans les technologies commencent à porter leurs fruits. Résultat, les marges des entreprises se maintiennent et le partage équilibré de la valeur ajoutée entre salaires et rémunération du capital est un facteur de soutien du cycle.
Optimisme autour du conflit commercial sino-américain
Alors que les deux puissances relancent les négociations commerciales, un accord, même partiel, est de nature à dégeler les décisions d’investissement des entreprises et à relancer les économies. Conformément à nos anticipations, Washington et Pékin ont un intérêt commun à calmer le jeu et à lever partiellement les droits de douane par étapes. Le timing apparaît opportun, bien avant les prochaines échéances électorales américaines. A noter que ce conflit apparaît de moins en moins comme un élément de tension sur les marchés, qui considèrent un accord comme probable. En Europe, l’espoir d’une issue favorable sur le dossier de Brexit est également un facteur positif.
Ces évolutions marquent une inflexion dans la perception du risque et valident notre scénario de ralentissement de la croissance, sans atterrissage brutal, ni récession. Le regard plus positif des investisseurs sur le contexte macroéconomique s’est traduit par une légère remontée des taux longs. En l’absence d’inflation et étant donné les niveaux extrêmement bas à partir desquels cette remontée s’inscrit, cette tendance haussière est perçue comme un signal positif, c’est-à-dire une normalisation de la situation.
Une politique monétaire durablement accommodante
La pause dans le cycle d’assouplissement monétaire, annoncée ce mois par Jerome Powell après une troisième baisse des taux des 25 points de base en octobre, n’est pas une remise en cause du biais accommodant de la banque centrale, du moins tant que l’inflation restera faible. Les mesures de soutien aux banques, notamment en zone euro, indiquent même que l’assouplissement monétaire s’inscrit dans la durée. D’autant que les banques centrales émergentes ont également initié des mouvements de baisse de taux pour soutenir l’activité. Les marchés estiment cependant que les points bas ont été sans doute atteints durant l’été, mais la tendance de ces derniers trimestres n’a pas encore été cassée. C’est cette rupture de tendance – qui se matérialisera par une remontée tangible des taux d’intérêt à long terme au-delà de certains seuils – qui devrait logiquement entraîner une nouvelle rotation sectorielle au profit des valeurs financières.
En résumé, le cycle de croissance se poursuit, même s’il est déjà bien avancé. Dans ce cadre, la seule analyse des données économiques ne suffit pas, et pour notre part, nous privilégions aussi l'analyse des flux d'investissement pour effectuer nos choix d'allocations. Majoritairement sous-investis en actions depuis le début de l’année, les investisseurs « courent » en effet après le marché. L’analyse des flux restera donc essentielle au cours des prochains mois et en particulier eu égard à la question du retour potentiel des investisseurs anglo-saxons sur les marchés émergents et européens.