par William de Vijlder, Chef économiste chez BNP Paribas
Comment qualifier l’année 2019 ? Stressante, frustrante, difficile, rassurante, étonnante, intéressante, porteuse d’espoir ? Probablement tout cela à la fois. Il y a d’abord eu l’incertitude exogène (montée des tensions commerciales, négociations sur le Brexit avec une probabilité fluctuante de sortie sans accord du Royaume-Uni), source de stress (« quand cela finira-t-il ? ») et de frustration en raison de son impact sur la croissance. À cela, s’est ajoutée une incertitude endogène, inhérente à l’évolution du cycle économique (le ralentissement des investissements des entreprises après une croissance notable) ou au rééquilibrage structurel de l’économie chinoise.
La réaction des grandes banques centrales a rassuré. La BCE a accentué sa politique accommodante tandis que la Réserve fédérale a changé d’orientation en abaissant les taux à trois reprises, preuve s’il en fallait de l’aversion au risque des banques centrales qui ciblent l’inflation. Elles ne peuvent, en effet, se permettre un ralentissement sévère, tant cela compromettrait leurs chances d’atteindre l’objectif qu’elles se sont fixé. Les marchés financiers ont parfaitement compris cette put option monétaire : la performance des actions a été tout simplement étonnante. Sur fond de ralentissement de la croissance mondiale, de sombres perspectives bénéficiaires et d’incertitude omniprésente, ils ont escaladé le « mur d’inquiétude ». Avec des taux d’intérêt qui se maintiennent à un très bas niveau, cela implique, à terme, une grande sensibilité aux perspectives de croissance.
Autre évolution rassurante : la politique monétaire a pratiquement atteint ses limites. Ce constat peut être considéré comme rassurant dans la mesure où il oblige à repenser la manière de faire face aux replis conjoncturels. À l’occasion de la réunion du Conseil des gouverneurs de la BCE en septembre dernier, Mario Draghi avait lancé un cri de ralliement pour que la politique budgétaire prenne le relais et qu’elle stimule la croissance en aidant la politique monétaire à atteindre plus efficacement son objectif. La revue stratégique, menée par la Réserve fédérale, de ses objectifs, outils et pratiques en matière de communication s’inscrit dans la même optique. Les résultats, très attendus, qui seront publiés au cours du premier semestre 2020, vont alimenter les spéculations autour d’un exercice similaire devant être mené par la BCE, d’autant que, pour citer Christine Lagarde, « rien ne sera négligé ». Cet examen se fera dans un contexte de préoccupation grandissante à l’égard des effets indésirables d’une période prolongée de taux d’intérêt négatifs. À ce propos, la banque centrale suédoise a pris cette semaine la décision de relever son taux directeur et de le ramener à zéro, malgré le ralentissement de l’économie, au motif que des taux d’intérêt négatifs peuvent finir par avoir des effets négatifs nets.
Un thème en particulier sera au cœur des débats de l’Eurosystème : le rôle de la banque centrale face aux enjeux du changement climatique. La présidente de la BCE, Christine Lagarde, a déclaré lors de son audition qu’elle était prête à opérer d’importantes avancées en matière de lutte contre le changement climatique. Cependant, les opinions sont partagées au sein du Conseil des gouverneurs, beaucoup de ses membres craignant que la BCE ne s’aventure ainsi sur un terrain politiquement miné.
Les préoccupations environnementales se sont multipliées en 2019, tandis que les émissions de CO2 ont continué d’augmenter et que notre planète est restée sur une trajectoire d’émissions élevées. La fréquence accrue des catastrophes naturelles (vagues de chaleur et inondations en Europe, incendies dans la forêt amazonienne brésilienne, en Californie et en Australie) pourrait être le signe précurseur des évolutions à venir. Les enjeux environnementaux sont de plus en plus pris en compte dans les décisions politiques. Récemment l’Union européenne a lancé plusieurs initiatives majeures, comme l’adoption d’une taxonomie des activités durables (essentielle pour formuler une politique environnementale et éviter le green washing, ou « écoblanchiment »), et l’annonce du Pacte vert, par la Commission européenne, dont l’ambition est de parvenir à la neutralité carbone d’ici à 2050 au sein de l’UE. Ces initiatives ont été particulièrement bien accueillies compte tenu des importants revers enregistrés en 2019 dans ce domaine. La COP25 a été un échec : les pays n’ont pu se mettre d’accord sur les règles d’un marché international du carbone tandis que le président Trump a confirmé le retrait officiel des États-Unis de l’Accord de Paris le 4 novembre 2020, soit le lendemain de l’élection présidentielle américaine. La COP26, qui aura lieu du 9 au 19 novembre à Glasgow, revêt ainsi une importance cruciale. Nombre d’évolutions observées en 2019 influenceront donc le cours des événements en 2020. Les taux directeurs des banques centrales restent à des niveaux (très) bas, l’incertitude a peut-être légèrement diminué, mais les tensions commerciales et les préoccupations suscitées par un Brexit sans accord n’ont pas disparu. Cependant, les données d’enquête récentes laissent espérer un certain regain de la croissance en 2020. C’est tout ce que nous souhaitons nos lecteurs.