Par Juliette Cohen et Bastien Drut, Stratégistes chez CPR AM
L’économie australienne a longtemps semblé protégée des crises économiques et financières mondiales des dernières décennies. L’Australie a en effet prospéré grâce au développement de son industrie minière (fer, charbon, or), ce qui lui a valu un certain nombre de critiques en ce qui concerne son rôle dans le changement climatique. Nous revenons dans ce texte sur les événements climatiques exceptionnels survenus cette année en Australie, ainsi que sur leurs conséquences pour l’économie du pays.
Le miracle économique australien
L’économie australienne a longtemps semblé protégée des crises économiques et financières mondiales des dernières décennies (crise asiatique de la fin des années 1990, Grande Récession de 2008/2009, crise de la zone euro). En effet, la dernière récession qu’ait connu le pays s’est produite en 1991… soit il y a près de trente ans ! Le développement économique rapide de la Chine et les besoins colossaux de ce pays en matières premières ont constitué un débouché évident pour les matières premières extraites en Australie (fer, charbon, or) : sur les derniers trimestres, la Chine représentait aux alentours de 40 % des exportations australiennes (contre moins de 10 % au début des années 2000). Le développement de l’industrie minière a propulsé la croissance australienne dans un premier temps grâce aux investissements massifs réalisés dans le secteur puis grâce au commerce extérieur. En 2017, l’Australie était le 3ème producteur de charbon dans le monde et le plus grand exportateur net (devançant de peu l’Indonésie).
En corollaire de cette vigueur économique, la Banque centrale australienne (RBA) a longtemps été, avec la Banque centrale néozélandaise, la banque centrale des pays développés avec les taux directeurs les plus élevés : le taux de la RBA était de 7,25 % en 2008. La forte baisse des taux directeurs qui a suivi la Grande Récession de 2008/2009 a induit une très forte accélération des prix immobiliers (+8 % par an en moyenne sur la période 2013- 2017) et a engendré une forte hausse de l’endettement des ménages (de 110 % du revenu disponible en 2008 à 142 % en 2019). A l’exception de la Suisse, l’Australie est le pays développé dans lequel la dette des ménages en % du PIB est la plus élevée. La conjugaison de cet endettement et du retournement du marché immobilier (les prix baissent depuis la fin 2017) a impliqué un très net ralentissement de la croissance. L’économie australienne est donc désormais face à d’importants défis domestiques (endettement des ménages et prix immobiliers très élevés) ainsi qu’internationaux (ralentissement de la Chine). Et comme nous allons le voir, le réchauffement climatique constitue désormais une menace supplémentaire.
2019, l’année de tous les records météorologiques
L’année 2019 constitue une année exceptionnelle puisque, au-delà des incendies dramatiques qui ont touché le pays, d’autres phénomènes climatiques extrêmes ont eu lieu tout au long de l’année. Tout d’abord, les températures ont en moyenne sur l’année atteint un niveau de 2,1°C au-dessus de la moyenne de la période 1961-1990. Dès le début d’année 2019 des records historiques de températures ont été battus dans certains états comme celui de Victoria (47,6°C le 25 janvier 2019).
Entre février et avril 2019, des inondations ont frappé certaines régions (Queensland, au nord-est du pays), causant des pertes importantes de bétail. Ces fortes pluies n’ont pas empêché l’année 2019 d’être l’année où la sécheresse a été la plus forte de la période 1900-2019 avec seulement 277,6 millimètres de précipitations en moyenne sur le pays, c’est-à-dire 40 % de moins que la moyenne de long terme. Il faut remonter à 1902 pour retrouver une sécheresse quasi-similaire.
MétéoFrance1 explique ces phénomènes extrêmes par le fait que l'Australie a connu en 2019 de fortes anomalies de circulation atmosphérique qui se sont ajoutées au contexte de réchauffement global. Deux phénomènes expliquent que le climat ait été plus chaud et plus sec : le « Dipôle de l’Océan Indien2 » en phase fortement positive au cours de la deuxième moitié de 2019 (eaux plus chaudes que la normale côté ouest de l’océan indien, et eaux plus froides à l’est côté Indonésie, favorisant des mouvements atmosphériques descendants et une sécheresse chronique vers l'Australie) et « l’Oscillation antarctique » en phase négative (pression plus basse au sud de l’Océanie qu’en Antarctique, impliquant un apport d’air chaud et sec dans le désert australien).
Quel bilan économique des incendies ?
Le coût des destructions devrait être relativement limité car les incendies ont touché des zones peu peuplées. Mais les incendies vont avoir un impact direct sur la croissance au 4ème trimestre 2019 et en début d’année 2020 via le tourisme qui est l’une des principales ressources du pays (un peu plus de 3 % du PIB et environ 5 % de l’emploi), la production agricole et l’investissement privé.
L’agence de notation Moody’s évalue l’impact économique des incendies à moins de 0,1 % du PIB en 2020 et 2021. Mais elle estime que « des catastrophes naturelles plus fréquentes et plus graves entraîneront probablement des coûts croissants et récurrents, mettant à l'épreuve la capacité du gouvernement fédéral et des États à payer les dettes. » Par ailleurs, le coût des coupures dans la fourniture d’eau et d’électricité pour de nombreux ménages et entreprises, des fermetures de routes et des évacuations est difficile à évaluer. La même chose est vraie pour la pollution de l’air générée par les incendies, qui a aussi un impact significatif sur l’activité. De plus, avec les différents évènements climatiques extrêmes de l’année 2019, il est probable que le « coût climatique total » pour l’économie australienne soit bien plus élevé. Dans un discours de mars 2019, le sous- gouverneur de la RBA Guy Debelle, estimait déjà que la sécheresse devrait coûter 0,15 % de croissance à l’économie australienne en 2019.
Enfin, se focaliser sur l’impact instantané sur le PIB (qui constitue un flux) des catastrophes naturelles est très réducteur puisque celles-ci affectent surtout le stock de richesses d’un pays, qu’il s’agisse de patrimoines naturels, de biodiversité, de patrimoines immobiliers ou encore de moyens de production.
Les impacts humains, environnementaux et économiques élevés ainsi que la vulnérabilité du pays au changement climatique rendent difficiles à comprendre le peu d’ambition du gouvernement sur le sujet. Et l’Australie commence à être pointée du doigt au niveau international. En novembre 2019, la Riksbank3 a annoncé qu’elle n’investirait plus ses réserves de change dans des obligations d’émetteurs avec une empreinte carbone élevée. Elle a donc procédé à la vente des titres émis par les États du Queensland et d’Australie-Occidentale (de même que les titres de quelques provinces du Canada).
La politique très controversée de l’Australie sur le climat et sur l’énergie
L’Australie a longtemps détenu le triste record des émissions de CO2 par habitant. Même si des efforts ont été entrepris depuis 2008, l'Australie produit 15,4 tonnes par habitant (données 2014) ce qui en fait le 2ème pays le plus pollueur de la planète derrière les États-Unis (16,5 tonnes) soit quasiment le double de la moyenne de l’OCDE (9,5 tonnes).
Le mix énergétique du pays laisse une place importante au charbon (30 %) et au pétrole (39 %). Dans la production d’électricité, la part du charbon atteint près de 60 % et les énergies fossiles 80 %. Bien que l’Australie dispose de ressources en uranium très importantes (33 % des ressources mondiales), le pays a interdit le développement de centrales nucléaires pour produire de l’électricité4. Depuis une dizaine d’années, le débat sur le nucléaire est relancé avec la nécessité de baisser les émissions de CO2 du pays, de réduire les prix de l’électricité et de gérer le vieillissement des centrales à charbon. Des enquêtes sur l’exploitation de l’énergie nucléaire et la levée de l’interdiction de l’exploitation de l’uranium ont été lancées mi-2019 sous l’impulsion du Premier Ministre, Scott Morrison, favorable à l’abrogation de l’interdiction du nucléaire. La part des énergies renouvelables est encore relativement faible en Australie et l’énergie solaire est par exemple sous-utilisée par rapport aux capacités du pays.
Malgré une ampleur sans précédent et un bilan humain et environnemental terrible, cette saison des incendies ne devrait pas avoir un impact majeur sur la croissance du pays. Néanmoins, il est vraisemblable que l’impact économique du dérèglement climatique devrait aller croissant avec l’augmentation de la fréquence des événements extrêmes. A court terme l’impact majeur semble plutôt d’ordre politique et le gouvernement est largement critiqué pour son action timide sur le climat et pourrait être poussé à infléchir sa politique énergétique. D’après l’institut de sondage Lowy, 64 % des Australiens adultes voient le changement climatique comme une « menace majeure », en hausse de 6 points par rapport à 2018 et de 18 points par rapport à 2014.
NOTES
- « Australie : comment expliquer la chaleur extrême ? », 3 janvier 2020.
- Le dipôle de l’océan indien est un phénomène d’interaction entre l’océan et l’atmosphère dans l’océan indien.
- Monetary policy in a changing world, Gouverneur Martin Flodén, 13 novembre 2019.
- Nuclear Activity Act de 1983, Australian Radiation Protection and Nuclear Safety Act de 1998 et Environment Protection and Biodiversity Conservation Act de 1999.