par Nikolay Markov, Economiste chez Pictet Asset Management
Les événements politiques ont rendu mon séjour à Moscou, la semaine dernière, beaucoup plus fructueux que ce qui était prévu à l’origine. Malgré la démission-choc du Gouvernement, je reste optimiste sur les perspectives économiques de la Russie en 2020 et au-delà.
La principale leçon à retenir est que Vladimir Poutine a clairement signifié qu’il resterait à la tête de l’État russe après 2024 alors que, selon la constitution du pays, il ne devrait plus pouvoir occuper les fonctions de président. La stabilité au plus haut niveau de l’État est un facteur positif, tout comme le choix d’un Mikhail Mishustin proche des milieux d’affaires pour assurer l’intérim au poste de Premier ministre. Il laisse entrevoir la possibilité d’une croissance économique encore plus forte à moyen terme.
L’initiative des Projets nationaux est conçue pour ancrer l’héritage de Poutine comme plus grand dirigeant de la Russie depuis les tsars.
Les détails sont encore à peaufiner, mais il semble que le pouvoir du président sera réduit au profit du Parlement et du Conseil d’État, que Poutine dirigera probablement après avoir laissé la présidence. Poutine a également annoncé un train de mesures qui devraient plaire au public. Il a déclaré vouloir s’attaquer aux niveaux croissants de pauvreté et de corruption et il a annoncé le versement en espèces de différentes incitations pour les familles: augmentation des allocations familiales, déjeuners chauds gratuits pour les élèves des écoles et 50% d’augmentation des bourses pour les familles nombreuses.
D’après les échanges que j’ai pu avoir avec des dirigeants d’entreprise, la démission du Premier ministre Dmitri Medvedev a surpris jusqu’aux plus proches du pouvoir. Elle semble être le fruit de désaccords avec Poutine sur les réformes constitutionnelles prévues. En outre, Mishustin, un technocrate, est probablement un choix plus judicieux pour mener à bien les ambitieux et chéris Projets nationaux de Poutine d’ici à 2024 (dont nous reparlons plus bas).
Et l’économie dans tout ça ?
Le marché d’actions russe devrait bien réagir. Les actions russes ont connu une formidable année 2019, avec plus de 50% de hausse exprimée en dollar US. Pour savoir pourquoi cela pourrait bien continuer. Selon moi, le marché d’actions devrait rester dans le vert, soutenu par une forte demande étrangère, par des taux d’intérêt faibles, par des rendements du dividende au sommet et par la mise en œuvre réussie des réformes des retraites de Poutine.
La Russie affiche des fondamentaux économiques qui rendraient jaloux la plupart de ses rivaux développés. Comme nous l’avons expliqué dans l’EM Monitor du mois dernier, nous tablons sur une accélération de la croissance russe au-delà du rythme de tous les autres marchés émergents en 2020.
Nous nous appuyons sur nos indicateurs avancés et tablons sur une croissance du PIB réel de 2,5%, supérieure aux prévisions du consensus, qui annonce 1,7% (source: Bloomberg, 20.01.2020). Elle profitera de la meilleure mise en œuvre des ambitieux Projets nationaux et d’une reprise de la consommation du secteur privé, soutenue par un assouplissement des conditions financières et par les augmentations prévues des dépenses sociales. Parmi les autres facteurs positifs, citons le commerce avec la Chine, une conséquence de la politique commerciale des États-Unis, et la solidité durable des cours du pétrole, qui reste la principale exportation de la Russie.
Des fondamentaux solides
La Russie affiche des fondamentaux économiques qui rendraient jaloux la plupart de ses rivaux développés.
– Félicité budgétaire…
Le chômage, par exemple, reste sur une forte pente descendante. Chose rare, le pays affiche un fort excédent budgétaire. La dette publique générale se situe par ailleurs à seulement 12% du PIB, un niveau qui fait des envieux. L’inflation semble maîtrisée et en recul.
Et nous estimons que le rouble est toujours sous-évalué de 5,3%, pondéré selon les échanges commerciaux, au 20.01.2020.
Nous considérons que tous ces facteurs brossent un portrait très élogieux pour les investisseurs en dette souveraine.
Projets nationaux
C’est dans ce contexte économique positif que le président Poutine lance son initiative des projets nationaux. D’un montant de 25 800 millions de roubles, elle est conçue pour ancrer son héritage de plus grand dirigeant russe depuis les tsars.
Équivalente à 23% du PIB, elle cherche à doubler le potentiel de croissance à long terme de l’économie pour atteindre 3% et à réduire sa dépendance aux hydrocarbures. Quelque 60% des fonds sont alloués aux infrastructures, aux routes et à l’environnement, tandis que le reste sera consacré à la démographie, la santé, la numérisation, le logement, les exportations, l’éducation, les sciences, les PME, la culture et la productivité.
En 2020, des subventions importantes sont accordées aux exportateurs, tandis que le gouvernement a pour objectif de donner accès à Internet à 100% de la population.
Nous prévoyons que les dépenses consacrées aux Projets nationaux vont être plus fortes en 2020 que l’année passée, compte tenu des solides revenus tirés du pétrole, qui devraient faire gagner 0,5 point de pourcentage à la croissance cette année et environ 0,3 chaque année par la suite.
Parallèlement, l’augmentation de l’âge de la retraite à 65 ans pour les hommes et à 60 ans pour les femmes devrait suffire à inverser la tendance démographique négative et à augmenter la population en âge de travailler sur le long terme.
Compte tenu de tous ces éléments et d’un secteur du bâtiment qui construit plus de logements qu’annoncé (et se concentre sur le remplacement des stocks de logements préfabriqués de l’époque soviétique), le taux de croissance du PIB de 2,5% pour 2020 semble assez réaliste.
Les secteurs qui devraient le plus en profiter sont les métaux, l’immobilier et les banques. Les 12 prochains mois devraient également changer la donne pour le secteur de la distribution, grâce à la reprise des dépenses des ménages, permise par des augmentations des revenus réels, de nouvelles aides à la maternité, de nouveaux avantages sociaux et des rendements du dividende élevés.
Quels sont les risques ?
Grâce à l’amélioration des finances publiques du pays, à la faible inflation, aux rendements du dividende élevés des actions et au potentiel d’accélération de la croissance du PIB, les actions russes ont connu un marché à bêta faible. Certains risques évidents demeurent toutefois, notamment les règles de droit. La politique macroéconomique est peut-être bonne, mais au niveau microéconomique (lois antitrusts, système juridique, retard dans les réseaux technologiques), elle est moins efficace. Selon nous, le dynamisme tiré par le secteur privé s’en trouve plafonné.
Le règne actuel de Poutine s’accompagne également d’un certain risque politique. Malgré tout, pour les investisseurs en Russie, les récentes annonces ont repoussé les risques les plus élevés vers le moyen ou le long terme, c’est-à-dire en fonction de ce qui arrivera après 2024. Pour le futur proche, l’influence de Poutine sur l’économie et la politique russes devrait rester inchangée.