par Jean-Jacques Friedman, Chief Investment Officer chez VEGA IM et Natixis Wealth Management
Lors de la phase aigüe de stress des marchés de la semaine dernière, nous avions rédigé deux flash marchés à partir desquels nous concluions qu’une première vague de capitulations était intervenue alors que les supports de long terme avaient été atteints, permettant une reprise de risque soit tactiquement soit au travers de produits structurés bénéficiant d’une volatilité élevée. Un autre point souligné était le « super Tuesday », qui pouvait être un nouvel élément de focalisation des marchés actions américains, lesquels ont enregistré des baisses supérieures à celles des marchés européens ou chinois la semaine dernière, ce qui était surprenant au regard de la récente baisse des taux.
Alors que les marchés rebondissent nettement depuis quelques jours, nous jugeons nécessaire de rédiger un point suite aux nouveaux évènements survenus cette semaine.
1- Quelles sont les informations concrètes sur la gravité du coronavirus et des traitements possibles ?
Tout d’abord, les marchés vont devoir intégrer les termes de « pandémie » ou de « passage au stade 3 » de l’épidémie pour reprendre la situation de la France qui s’y prépare pour les jours qui viennent. A l’heure où chacun raisonne de façon quantitative, le terme de pandémie, défini comme une transmission d’un virus de manière continue dans trois régions géographiques différentes, est donc approprié au contexte actuel. Quoi qu’il en soit, les relais médiatiques et la peur panique sont bien, eux, entrés en phase de pandémie mondiale, même s’il convient de relativiser, depuis quelques jours, le nombre de décès par rapport à d’autres épidémies. Bien qu’’il existe des points d’achoppement, les discours des scientifiques sont aujourd’hui inaudibles alors que plusieurs faits ressortent pourtant de manière consensuelle :
- contrairement aux virus des années 80 ou 90, le virus à l’origine de la maladie ainsi que le séquençage de son génome ont été mis à jour dès janvier 2020, en seulement deux semaines alors qu’il fallait deux années auparavant.
- cette rapide identification a permis de constater que le virus, baptisé SARS-CoV-2, n’a pas connu de fréquence de mutation élevée et qu’un premier test de détection avait été accessible au grand public, également dans des délais très courts.
Alors que les autorités font face à une crise sanitaire inédite, le taux de létalité du virus reste beaucoup trop important et bien supérieur à une simple grippe, mais ressort toutefois chez les moins de 40 ans à 0.2%.
A ce stade, il est encore trop tôt pour envisager un vaccin et ce d’autant que le principe de précaution implique que soient réalisés des tests sur un horizon de moyen terme. Il ne faut donc pas s’illusionner sur la question préventive du virus à horizon de plusieurs mois. Par contre, il est aujourd’hui admis que le coronavirus peut être inactivé par des traitements classiques au premier rang desquels figure le simple lavage des mains au savon ou les solutions diluées à base d’alcool. Alors que la collaboration politique des Etats pêche encore largement, conséquence directe de la guerre commerciale généralisée de 2019, la coopération scientifique semble fonctionner parfaitement. Le partage de la quasi-totalité des publications sur le coronavirus en libre accès a ainsi permis d’identifier rapidement plusieurs traitements possibles par des antiviraux. La chloroquine, connue comme médicament antipaludéen, a été médiatiquement mise en avant mais d’autres antiviraux tels que ceux employés contre le virus Ebola ou SRAS sont également réutilisés ou associés à de nouvelles thérapies. Si les marchés semblent avoir intégré ces avancées au cours de la semaine dernière, ils doivent désormais faire face à une « pandémie médiatique ».
2- Une transition médiatique à gérer
A l’heure où la parole des gouvernements est dévaluée, il est très difficile de faire passer des messages officiels, sachant que les mesures qui les accompagneront seront, de toute évidence, comparées à celles prises en Chine. Nous pourrions résumer ainsi la séquence : le manque de transparence de la Chine durant les premières semaines de l’épidémie a conduit, par contrecoup, à des mesures particulièrement coercitives et médiatiquement imposantes avec des confinements de plusieurs dizaines de millions de personnes.
Or, plusieurs pays européens ont souhaité gagner du temps par rapport aux progrès des antiviraux que nous mentionnions précédemment. Nos pays devraient désormais passer d’une politique de contraintes, qui avait pour objectif de retarder la propagation du virus, à une politique « de stade 3 » où le contingentement des personnes les moins infectées devrait, au contraire et paradoxalement, diminuer. A l’instar de ce qui est d’ores et déjà envisagé dans les hôpitaux français, les gouvernements occidentaux vont ainsi se concentrer sur les personnes les plus atteintes et fragiles. Dans un environnement où la défiance est généralisée vis-à-vis de toutes les autorités politiques, cette transition dans le discours associée aux mesures qui seront alors prises nous apparait très risquée et c’est l’une des raisons qui nous incite à la prudence.
3- Quelles conséquences économiques ?
En ce début d’année, nos objectifs de croissance des bénéfices par action étaient inférieurs (4%) au consensus des analystes (entre 8% et 10%). S’il est vrai que le consensus est très souvent en retard par rapport aux dernières évolutions, cela l’est d’autant plus aujourd’hui avec les derniers développements sur le coronavirus. En effet, les analystes financiers attendent la transmission officielle des informations des entreprises et, dans ce cadre très médiatisé, elles se font reprocher une sorte d’omerta sur leur communication, alors qu’en réalité, elles ne sont tout simplement pas en mesure de le faire. Les conséquences négatives sont certaines mais leur amplitude dépend d’enchainements complexes qui devraient ramener les prévisions de variation des bénéfices par rapport à 2019 à 0%, au mieux.
Pour l’évolution des indices boursiers, rappelons que le principal point d’attention de notre scénario de début d’année avait trait à la valorisation des marchés et non aux éléments de croissance économique, ce qui nous renvoie à la question des taux d’intérêt et des politiques monétaires dans le contexte actuel.
4- La baisse des taux de la Fed est-elle une bonne nouvelle ?
Bien que la baisse des taux américains ait été anticipée il y a quelques jours, dans un contexte de crise sanitaire aiguë, nous avons été surpris qu’elle intervienne si tôt, le 3 mars dernier. Le marché a d’ailleurs accueilli négativement cette annonce qui créé une forme de suspicion, et est remonté grâce au vote des primaires démocrates en faveur de Joe Biden. Pour faire une analogie avec le monde médical qui occupe les esprits depuis plusieurs semaines, cette baisse des taux revient en fait à administrer un remède qui ne correspond pas à la maladie dont souffre le patient. Elle répond davantage à une situation comparable à celle de 2019 lorsque les marchés attachaient de l’importance aux éléments financiers. Cependant, comme décrit dans notre lettre de début février (« Coronavirus : l’économie réelle prime désormais sur le financier »), c’est le traitement sécuritaire qui pèsera sur les circuits de production internationaux. Il s’agit d’un choc d’offre pour lequel la réponse monétaire est très peu adaptée. De plus, à l’heure où la coordination entre les Etats pour faire face à l’épidémie est fondamentale, la BCE aura du mal à suivre la baisse des taux américains lors de sa prochaine réunion du 12 mars.
5- Quelles réponses pour le moyen terme ?
Les réponses sont avant tout politiques. Nous avons vu que la coopération scientifique fonctionnait au niveau international, mais il faudra aussi que les relais mis en place par les gouvernements (crédits alloués à la recherche, prise en charge de compléments salariaux en cas d’arrêt de travail…) sortent des critères européens de cadrage budgétaire. Cette flexibilité budgétaire nous apparait possible dans le contexte désormais des taux nuls dans la majeure partie des pays. Les mesures ciblées telles que la mise en place de solutions en faveur des particuliers et des trésoreries d’entreprises fragiles sont à privilégier par rapport à une action indifférenciée de baisse des taux des Banques Centrales. L’objectif est d’éviter au maximum les faillites d’entreprises et de favoriser ainsi une reprise qui ne sera vraisemblablement pas en « V » mais plutôt en « U ». Cette perspective nous conforte dans l’idée d’avoir placé la valorisation au centre de notre scénario, au détriment de considérations liées au cycle économique. Rappelons que ce positionnement s’est traduit en termes sectoriels par des investissements sur des thématiques idiosyncratiques comme l’ESG ou le thème des fusions acquisitions et non sur des pures valeurs cycliques.
Dans ce cadre, le marché pourrait se retrouver face à une activité certes un peu affaiblie, avec une croissance des bénéfices nulle du fait d’un rattrapage insuffisant sur certains secteurs. Mais il bénéficiera aussi dans un second temps, d’une relance budgétaire qui n’était pas du tout prévue en ce début d’année et d’un niveau de taux à des records de faiblesse du fait des nouvelles interventions des Banques Centrales. Si ce second stade sera favorable aux marchés, il est encore trop tôt pour s’y positionner.
Enfin, nous anticipons que d’importants déficits budgétaires seront générés par cette crise et par les mesures qui seront mises en place. Par contre, et cela rejoint les phénomènes de régionalisation qui avaient fait suite à la guerre commerciale, ce choc d’offre occasionnera également des goulots d’étranglement sur certains produits, ce qui sera nécessairement inflationniste. Cela rejoint plusieurs débats que nous évoquions sur le partage de la valeur ajoutée salaires/travail, la prise en compte croissante des externalités dans le cadre ESG, qui devaient déjà faire remonter les prix. A plus long terme donc, la question des déficits creusés par les gouvernements sera à mettre en parallèle d’une future hausse des taux conditionnée par ces nouvelles pressions inflationnistes. Cependant, ces nouveaux déséquilibres à long terme, issus du traitement économique de cette crise, ne remettent pas en cause nos décisions d’investissement, les intervenants réagissant de façon très épidermique dans l’environnement actuel de forte volatilité.
Au cours des dernières séances, nous sommes ainsi intervenus sur les supports des fourchettes de fluctuation d’une dizaine de pourcent d’amplitude, longuement travaillées en 2019, et nous continuons à ce stade de privilégier ces points techniques dans nos opérations de court terme.