par Bastien Drut, Stratégiste senior chez CPR AM
La réaction des marchés aux mesures annoncées par la BCE ce jeudi a été très négative. C’est que, même si la BCE a fait un pas dans la bonne direction (notamment pour garantir le crédit bancaire aux PME), elle refuse pour le moment d’aller plus loin sans un engagement « ambitieux » et « collectif » des gouvernements européens en soutien à l’économie, qui est affectée par le coronavirus et les mesures sanitaires prises pour stopper sa propagation.
Les mesures prises :
- Pour aider les banques qui rencontreraient d’éventuels problèmes de liquidité, des LTRO supplémentaires ayant pour maturité le 24 juin (date de la prochaine opération de TLTRO III) auront lieu chaque semaine pour fournir de la liquidité aux banques. Cela permet ainsi aux banques d’atteindre la prochaine opération de TLTRO III sans incident de liquidité.
- Pour les prochaines opérations de TLTRO III (qui auront lieu tous les trois mois, de juin 2020 jusqu’à juin 2021), les conditions seront beaucoup plus attractives ! Le taux d’intérêt appliqué ira du taux MRO moyen sur la durée de l’opération moins 25 pbs (donc 0% – 0.25% = -0,25% actuellement) jusqu’au taux de dépôt moyen sur la durée de l’opération moins 25 pbs (donc -0.50% – 0.25% = -0.75% actuellement). Le taux d’intérêt peut donc baisser à -0,75%. De plus, les montants empruntables doublent quasiment : alors que les banques pouvaient jusque-là emprunter jusqu’à l’équivalent de 30% de leurs stocks de prêts, ce seuil est revu à 50%. Le chef économiste de la BCE explique ainsi que c’est plus de 1000 Mds € supplémentaires que les banques pourront emprunter avec cette mesure. De plus, la BCE assouplira les règles de collatéral pour permettre aux banques d’emprunter plus facilement lors des TLTRO III.
- Une enveloppe de 120 Mds € d’achats d’actifs à réaliser avant la fin de l’année est débloquée en plus des 20 Mds € d’achats d’actifs mensuels déjà prévus. Ces achats seront réalisés prioritairement sur les obligations privées (… et donc pas focalisés sur les obligations publiques). Cela revient à augmenter de 63% les achats de titres prévus d’ici la fin de l’année. Mais aucune indication sur le timing ni la répartition entre programmes (PSPP, CSPP, ABSPP, CBPP3) n’est annoncée…
- Les taux directeurs sont inchangés. En particulier, le taux de dépôt reste à -0,50%.
- La BCE a également annoncé un assouplissement temporaire des exigences de fonds propres et de la flexibilité dans la mise en œuvre des mesures prudentielles (notamment le traitement des NPL et le report des stress tests 2020) afin de garantir que les banques qu’elle supervise directement pourront continuer à remplir leur rôle dans le financement de l’économie réelle.
Ainsi, les changements de modalité pour les TLTRO III constituent une bonne incitation pour que les banques maintiennent le crédit aux PME. Ces décisions semblent adaptées à la situation pour pérenniser l’octroi de crédit bancaire au secteur privé.
En revanche, le manque de clarté sur les achats d’actifs additionnels a été très décevant pour les marchés obligataires : l’« enveloppe » additionnelle (pas d’allocation prédéterminée entre les programmes) n’a pas permis d’identifier quelles étaient les priorités de la BCE. Ce manque de précisions n’est pas sans rappeler le programme SMP (Securities Markets Programme) qui avait été annoncé par la BCE sous Jean-Claude Trichet.
Surtout, Christine Lagarde a donné l’impression de vouloir mettre la pression sur les gouvernements pour qu’ils adoptent une réponse budgétaire « collective » et « ambitieuse » à la crise économique causée par le coronavirus, et de vouloir garder ainsi en réserve d’autres mesures d’assouplissement (par exemple, baisse de taux directeurs, augmentation claire du PSPP, relèvement de la limite de détention émetteur). On peut imaginer que la BCE ira plus loin une fois que les gouvernements européens auront mis en place des mesures significatives communes.
En particulier, une phrase dans la conférence de presse de Christine Lagarde a eu un fort impact (négatif) de marché : interrogée sur la possible augmentation d’émissions de dette publique à venir, Christine Lagarde a répondu « Nous serons là, utilisant toute la flexibilité à notre disposition, mais nous ne sommes pas là pour réduire les spreads. Ce n’est pas la fonction ni la mission de la BCE. Il y a d’autres outils pour cela, et il y a d’autres acteurs pour gérer ces problèmes ». Cela a immédiatement ravivé de mauvais souvenirs (notamment liés à la crise de la zone euro) et fait s’écarter les spreads souverains italiens mais aussi français ou espagnols.
Réalisant vraisemblablement que son intervention avait été mal perçue, Christine Lagarde a rétropédalé sur le sujet à peine quelques heures après la conférence de presse lors d’une interview avec CNBC. Elle a dit explicitement que la BCE déviera de la règle de la clé de capital si elle identifie des « risques de dislocation » ou de la « fragmentation » sur les marchés : « we have the tools to fight the fragmentation and we will use them ». Et elle a ajouté que l’enveloppe additionnelle d’achats de titres sera déployée là où c’est nécessaire (sous-entendu là où les spreads s’écartent), que ce soit via le PSPP ou le CSPP.
Au final, l’impression qui ressort de ce conseil des gouverneurs est que la BCE a initié une réponse de politique monétaire intéressante par plusieurs aspects mais qu’elle ne veut pas se retrouver seule à agir en réponse à l’impact du coronavirus sur l’économie européenne. C’est pour cette raison que l’accueil par les marchés financiers a été négatif.