par Jean-Marie Mercadal, Directeur Général Délégué en charge des gestions chez OFI AM
La crise boursière et financière actuelle déclenchée par le Coronavirus est désormais d’une ampleur et d’une rapidité qui rappellent les plus grands krachs de l’histoire. La baisse des principaux indices actions atteint désormais plus de 30 % en moins de trois semaines, les spreads de crédit se sont écartés de près de 100 bp sur l’Investment Grade européen, de 400 bp sur le « crossover » HY, les devises émergentes ont perdu dans l’ensemble plus de 10 % contre le dollar…
Ces mouvements interpellent et deviennent d’une nature anxiogène qui va au-delà de la simple correction boursière d’environ 10 à 15 % que nous attendions en début d’année.
Cette crise contient des ingrédients communs à ceux des trois grandes crises précédentes, on y reviendra, mais elle est aussi d’une nature différente. Le cas d’une épidémie d’une telle ampleur n’est pas courant. Les conséquences sanitaires sont évidemment impossibles à prévoir, et cette incertitude s’ajoute à la psychologie négative ambiante.
Cette épidémie met aussi en évidence plusieurs éléments, déjà connus, qui se cristallisent soudainement :
- L’endettement est trop élevé, et partout ! La croissance économique mondiale « se fait à crédit » et le cas des États-Unis en est une bonne illustration : après la plus longue période de croissance depuis l’après-guerre, le déficit budgétaire atteint près de 5 % du PIB et l’endettement 100 % du PIB, ce qui signifie que la période de prospérité n’a pas été mise à profit pour rétablir les comptes publics. Ce constat est valable pour de nombreux pays européens, particulièrement pour la France. Parallèlement, l’endettement des entreprises a également fortement progressé (multiplié par 3 aux États-Unis depuis 2009), les chefs d’entreprises ayant profité de l’aubaine de la baisse des taux…
- La coopération internationale est actuellement très faible. Le monde est actuellement multipolaire et très divisé. L’Amérique de Donald Trump l’avait bien illustré ces derniers mois avec « la guerre commerciale », les mesures prises pour tenter de répondre au coronavirus montrent plus que jamais que c’est « chacun pour soi » ! Le récent désaccord majeur entre la Russie et l’Arabie saoudite l’illustre bien.
- L’Europe est désunie. Il n’y a pas de stratégie commune en matière de politique de santé. On attend une réponse budgétaire significative, Christine Lagarde a mis la balle dans le camp des politiques, mais les désaccords sur ce sujet semblent très importants. C’est la raison pour laquelle les « spreads » souverains s’écartent en zone Euro, particulièrement sur l’Italie, mais aussi sur le risque France : +30 bp d’écartement avec l’Allemagne cette semaine !
- La communication via les réseaux sociaux et le principe de précaution généralisé (à l’extrême ?) rendent les mouvements uniformes et favorisent « la diffusion de la peur ».
- La liquidité des marchés pose question. Il n’y a plus d’acheteurs finaux. Les banques ne prennent plus de positions depuis la crise de 2008, les régulateurs ont mis en place des normes de solvabilité accrues et les assureurs sont confrontés à la problématique des taux à 0…
Le tableau apparaît ainsi bien sombre et il y a dans cette panique boursière des ingrédients qui rappellent 2000 (surévaluation initiale de certains secteurs), 2008 (crise de liquidité sur les marchés du crédit, début de suspicions entre contreparties…) et 2011 (crise de l’euro avec écartement des spreads entre pays)…
Dans ces conditions, que faire ?
L’observation historique des grands krachs récents donne quelques repères. En 2000, 2008 et 2011, les baisses des principaux indices actions ont été comprises entre 30 % et 50 %. Avec 30 %, la correction actuelle est donc déjà significative. Il en est de même sur l’écartement des spreads de crédit.
Il est clair que le monde entre en récession. Le risque majeur est que ce ralentissement économique se transforme en crise financière avec une vague de faillites d’entreprises et des banques qui ne se prêtent plus entre elles. La question se pose de savoir en combien de temps la situation sanitaire s’améliorera. Si on regarde la Chine (en avance par rapport à l’Occident), il semble que la situation s’améliore progressivement.
Par ailleurs, les conditions d’une reprise rapide sont là, avec des taux quasi nuls et un pétrole très bon marché. Les Banques centrales peuvent encore agir. La Réserve fédérale américaine va elle aussi amener les taux à 0. Les politiques d’achat de titres vont probablement reprendre et s’étendre à des titres moins bien notés. Cette fois-ci, ce sont surtout les gouvernements qui sont attendus. Des mesures de soutien budgétaire ciblées (vers les secteurs les plus touchés) sont nécessaires ; elles devront être mises en œuvre rapidement et être d’une ampleur significative vu les enjeux.
Les bénéfices des entreprises attendus ont été largement révisés à la baisse par les premières estimations « Top Down ». On attend désormais une baisse de 10 à 15 % cette année, suivie d’une remontée de 5 % à 10 % l’année suivante. Cela signifie donc que le PER des actions US est désormais de près de 15, et de 12,5 pour les actions européennes. Ces niveaux sont raisonnables historiquement, surtout en comparaison des taux d’intérêt.
Le contexte reste anxiogène et il y aura encore de la volatilité. Mais les niveaux atteints commencent à être intéressants.
Nous pensons donc qu’il convient de réinvestir progressivement :
- en obligations HY, Crédit CT et émergentes
- en actions américaines et européennes.