par Jean Philippe Béja, Joseph Cheng et Jean-François Huchet.
Il y a dix ans, les observateurs étaient divisés en deux camps. Les optimistes pensaient que l’intégration de Hong-Kong à la mère patrie s’effectuerait sans heurts, que l’économie continuerait à prospérer et que la formule « un pays, deux systèmes » fonctionnerait sans aucun problème. Les pessimistes étaient persuadés qu’en l’espace de quelques années, Hong-Kong deviendrait « une ville chinoise comme les autres », rongée par la corruption et dans laquelle les droits fondamentaux auraient peu à peu disparu. Les uns comme les autres avaient tort.
Le mois dernier, comme tous les 4 juin depuis la rétrocession, Hong-Kong a été le seul endroit sur le territoire chinois où des dizaines de milliers de citoyens ont commémoré de manière pacifique le massacre de la place Tian’anmen. Lors des trois dernières élections au Legco (les seules qui se déroulent sur le territoire de la République populaire), le camp démocrate a remporté 25 sièges et 60 % des voix; les magazines de China watching, tels que Zhengming, Dongxiang et Kaifang, continuent à être publiés dans la RAS et aucun d’entre eux ne ménage le Parti communiste chinois. Les manifestations sont plus nombreuses que jamais et la société civile est florissante.
Est-ce à dire que les optimistes avaient raison ? Les choses ne sont pas si simples. Comme le montrent Joseph Man Chan et Francis Lee, « divers hommes d’affaires pro-chinois, au profil et aux intérêts commerciaux similaires, ont peu à peu racheté les medias hongkongais ». Les promesses de démocratisation contenues dans la Loi fondamentale n’ont pas été tenues et en mars dernier, le Chef de l’exécutif a été sélectionné par un « petit groupe de personnalités ». S’il ne fait aucun doute que les démocrates représentent une force politique, ils sont, comme le montre Joseph Cheng, non seulement profondément divisés, mais aussi épuisés par les contraintes constitutionnelles qui les empêchent d’accéder au pouvoir.
Au cours de la dernière décennie, la République populaire a connu un formidable boom économique pour devenir, en 2006, la quatrième puissance économique mondiale. Des villes comme Shanghai ou Tianjn s’internationalisent de plus en plus et nombreuses sont les multinationales qui ont transféré leur siège social de Hong-Kong à la métropole du Yangzi. Les ports de containers se sont développés le long des côtes du Guangdong et la RAS a vu décroître ses échanges commerciaux au profit du continent. Hong-Kong a néanmoins conservé une partie de ses avantages comparatifs : la RAS dispose d’un État de droit qui, malgré tout, continue à faire défaut en la République populaire, elle attire encore et toujours les multinationales et son marché boursier s’est considérablement développé depuis 1997 comme le montrent Anne-Laure Delatte et Maud Savary-Mornet.
Néanmoins, la première décennie de la RAS n’a pas été un long fleuve tranquille : tout juste quelques semaines après la rétrocession, son économie a été frappée de plein fouet par la crise financière asiatique qui a fait chuter l’index Hang Seng. Hong-Kong se remettait à peine de ces turbulences qu’elle était frappée par une nouvelle crise, celle du SRAS cette fois-ci qui causa la mort de plusieurs centaines de personnes et empêcha les résidents de sortir de chez eux. Les conséquences furent désastreuses pour l’économie : de nombreux commerces mirent la clé sous la porte après avoir licencié leurs employés. Mais la crise du SRAS a aussi prouvé que Hong-Kong était capable de se sortir de situations critiques, sans sacrifier la transparence de l’information, aidant ainsi le reste du monde à mieux saisir la gravité de la maladie. La différence avec le continent est ainsi apparue dans toute sa splendeur et paradoxalement, la crise a eu pour effet de renforcer la spécificité de Hong-Kong.
Après 1997 et pendant les dix années qui se sont écoulées depuis, le gouvernement central n’a pas toujours respecté « le haut degré d’autonomie » qu’il avait promis à la RAS. Le Comité permanent de l’APN est intervenu plus d’une fois pour ralentir le processus de démocratisation (voir l’article de Michael Davis), tentant notamment d’imposer l’adoption de l’article 23 sur la subversion. À chaque fois, les Hongkongais ont réagi vigoureusement, mais sans pour autant parvenir à infléchir la décision de l’APN consistant à renvoyer l’instauration du suffrage universel à une date ultérieure. Quelques années plus tôt, la décision de l’APN sur le droit de résidence (right of abode) avait fait craindre une érosion de l’autonomie judiciaire de la RAS.
Ainsi, depuis 1997 Hong-Kong a parcouru cahin-caha un chemin parsemé d’obstacles et en dépit des promesses contenues dans la Loi fondamentale, la RAS est aujourd’hui toujours aussi éloignée de la démocratie qu’en 1997. Certes, l’impopulaire Chef de l’exécutif, Tung Chee Hwa, a finalement dû démissionner sous la pression de la rue et le gouvernement central a nommé à sa place un membre de l’ancien service public plus apprécié de la population. Même si ce n’est pas grâce aux institutions, les résidents de Hong-Hong ont réussi à faire valoir leur propre vision et à arracher des concessions au gouvernement central. La culture politique, qui fait l’objet de l’article de Jean-Philippe Béja, et une société civile forte, décrite par Christine Loh, ont joué un rôle important dans cette résistance.
Dix ans après la rétrocession, Hong-Kong a gardé ses principales caractéristiques. La RAS a s’est réconciliée avec la croissance et la spéculation immobilière fait s’envoler l’indice Hang Seng. Aujourd’hui la croissance hongkongaise repose plus que jamais sur le continent : sur ses touristes et ses investissements ainsi que sur les compagnies chinoises cotées en bourse. Mais les Hongkongais ont aussi montré qu’ils étaient attachés à la spécificité de leur mode de vie. En réitérant leur désir de voir la démocratie se développer dans la RAS, ils ont prouvé qu’ils n’étaient pas seulement intéressés par « les courses de chevaux, la danse et la spéculation », contrairement à ce que certains dirigeants du continent n’ont cessé de le répéter.
Une décennie après la rétrocession, la population a affirmé son profond attachement à la liberté et a montré que la RAS n’était pas seulement une ville tournée vers l’économie, comme en témoigne la contribution de Gérard Henry sur le développement de la culture hongkongaise.