par Giles Parkinson, Gérant de fonds d’actions mondiales chez Aviva Investors
La crise du COVID-19 a touché l’ensemble des classes d'actifs ; et les actions mondiales n'ont pas été épargnées. Au 17 avril, l'indice MSCI All Countries World Index accusait une baisse de 17 % par rapport à son sommet de mi-février. Et l'incertitude continue d'obscurcir les perspectives.
À long terme, les performances des marchés actions dépendent des bénéfices réalisés et attendus, qui sont eux-mêmes étroitement liés à la croissance économique. Par rapport à ce qui était initialement prévu, Aviva Investors anticipe du fait de la crise un recul de l'activité mondiale de 8 à 14 % au premier semestre 2020. Ce serait la pire chute de l'activité de l'après-guerre.1
À court terme, les marchés sont sous l’influence de l'état d’esprit des investisseurs, et celui-ci pourrait bien rester déprimé tant que les blocages sont maintenus et que la croissance ne rebondit pas. Mais les dégâts ne sont pas uniformément répartis, et certains secteurs se révèlent plus résilients que d’autres. Les dislocations de marché ont créé des opportunités pour les investisseurs avertis capables d'adopter une vision de long terme.
Dans cet entretien, Giles Parkinson, gérant de fonds d’actions mondiales, analyse l'impact de la crise sur les différents secteurs, la façon dont les investisseurs peuvent mieux positionner leurs portefeuilles dans ce contexte, et les implications à long terme pour la classe d'actifs.
Quels secteurs ont été les plus durement touchés jusqu'à présent ?
Le marché actions réalise actuellement un très bon travail de tri entre les entreprises solides de celles plus fragiles, et d’identification des secteurs dont les revenus et les profits souffriront de cette récession. Aucune récession ne ressemble à une autre. Et dans cette période de crise, les valeurs des voyages et des loisirs (compagnies aériennes, hôtels, casinos, opérateurs de croisière, et organisation d'événements) ont été durement touchées. À cela se sont ajoutées les avanies du marché du pétrole. Outre la surproduction de pétrole de schiste survenant dans un contexte de crise, le marché du pétrole a maintenant un problème de demande, car moins de déplacements signifient moins de consommation d'énergie.
Le marché actions commence également à examiner les répercussions sur les chaînes d'approvisionnement. Alors que les restaurants sont des victimes évidentes de la crise, leurs fournisseurs ont également été affaiblis : Lamb Weston, qui fournit des pommes de terre à McDonald's et à d'autres chaînes de restauration rapide, ainsi que Kerry Group, qui fabrique des arômes et des ingrédients culinaires, figurent par exemple parmi les sociétés qui souffrent beaucoup.
Quels secteurs se sont avérés plus résistants ?
Les entreprises de haute technologie ont surperformé : pas tant les fabricants de microprocesseurs, mais plutôt les fournisseurs de solutions « cloud » qui peuvent s’appuyer sur des revenus récurrents. La façon dont leurs ventes seront affectées par la baisse des budgets des entreprises reste néanmoins à déterminer.
La consommation de base a également bien résisté dans l’ensemble, même s’il existe des nuances. Certains segments qui se comportent habituellement bien en période de récession ont été pénalisés par les spécificités du confinement imposé par le COVID-19. Certes, les gens font des stocks de plats préparés et la demande de tabac reste solide, mais la consommation d'alcool a été perturbée par la fermeture des pubs et des bars (consommation sur place). Malgré cela, je pense que le positionnement de ces marques ne sera pas fragilisé et que la consommation devrait finalement repartir.
Les investisseurs doivent examiner la dynamique de chaque secteur. Par exemple, dans le secteur de la santé, les entreprises pharmaceutiques ont, comme on pouvait s’y attendre, bien performé. En revanche, la demande de matériels médicaux est en panne, parce que les systèmes de soin reportent les opérations chirurgicales facultatives comme les prothèses de hanche et du genou, la priorité étant donnée aux traitements des malades du coronavirus.
Les investisseurs devraient-ils examiner les bilans des entreprises pour déterminer si celles-ci parviendront à surmonter la crise ?
Il est trop tard pour cela. Vous pouvez expliquer la performance d’une valeur au cours des deux derniers mois en répondant à deux questions : premièrement, « les revenus de l’entreprise ont-ils été affectés par le confinement ? » ; deuxièmement, « à quoi ressemble son bilan ? ». Si une entreprise est très endettée (en particulier de la dette assortie de clauses restrictives, ou « covenants ») et que ses revenus se sont quasiment évaporés, alors le cours de son action aura certainement dévissé.
La récession pourrait être brutale mais de courte durée, le marché actions anticipe actuellement que les profits de certaines entreprises devraient suivre une trajectoire en V, ce qui est de nature à déclencher les clauses restrictives attachées à leurs dettes, et les forcer à lever des fonds propres. Même sans l'asymétrie induite par le déclenchement de ces clauses, la dette amplifie les conséquences. Certains services publics réglementés tels que la gestion des réserves hydriques au Royaume-Uni, activités pourtant défensives, ont été emportés dans la chute des marchés. En effet, les niveaux élevés de dettes présentes dans leur bilan rendent les titres de ces entreprises plus sensibles à de faibles variations de leur valeur globale.
La crise met en évidence de façon cruelle les investisseurs en actions qui ne font que lire les comptes de résultats. Vous devez aussi être capable de lire un bilan afin de déterminer la solidité d'une entreprise dans des moments comme celui-ci.
Les gouvernements sont intervenus de façon massive dans l'économie et les entreprises privées se reposent sur les aides publiques. Cela pourrait-il être une tendance durable, et quelles pourraient être les implications pour les marchés ?
Certains experts ont dressé une analogie avec la Seconde Guerre Mondiale durant laquelle les entreprises étaient par exemple réquisitionnées pour fabriquer du matériel militaire. Je ne suis pas forcément d'accord avec ce parallèle, même s’il est réconfortant de voir des entreprises agir pour le bien commun, comme General Motors qui fabrique des ventilateurs ou LVMH du gel pour les mains. Quant à l'intervention des gouvernements, les mesures semblent surtout rationnelles par le fait que l'essentiel des politiques annoncées jusqu'ici sont conçues pour aider les salariés placés en chômage partiel ou même licenciés (situations les plus douloureuses engendrées par la crise).
La question plus large est de savoir si les gouvernements et les banquiers centraux ne se précipitent pas trop pour sauver le capitalisme. La crise du crédit de 2008-2009 avait nécessité une intervention massive, car il s’agissait d’une récession de bilan et le système financier était en train de s’effondrer. Mais ce faisant, les autorités ont créé un précédent. Et désormais, chaque fois qu’un parfum de récession flotte dans l’air, les banques centrales se précipitent pour mettre en œuvre des mesures d'assouplissement quantitatif. Si ces types de mesures étaient réellement dénuées d’effets secondaires, nous les aurions utilisées bien avant ces crises. Les projections de déficits publics au sortir de cette récession constituent une préoccupation à long terme car les implications sont difficilement prévisibles.
Nous observons à l’occasion de cette crise un regain d’intérêt pour la gouvernance et la responsabilité des entreprises. Est-ce quelque chose que vous surveillez compte tenu du risque de réputation qui pèse sur les entreprises dont le comportement est jugé irresponsable en ce moment ?
Bien sûr. Les facteurs quantitatifs sont compilés sur un écran Bloomberg et font rapidement l’objet d’arbitrages. Mais il est plus difficile de juger des mesures qualitatives, comme le comportement des entreprises, et il est donc plus rémunérateur d’en estimer la valeur.
Au cours de la dernière crise financière, certaines entreprises sont ressorties plus fortes que leurs concurrentes parce qu'elles ont su s’adapter rapidement dans un contexte tourmenté.
Certains dirigeants se sont engagés à réduire leur rémunération pendant la crise, et cette tendance est intéressante. D'autres ont renforcé le soutien apporté à leurs clients et fournisseurs. Les effets de ces mesures pourraient se prolonger au-delà de la pandémie. Nous avons observé au cours de la dernière crise financière que certaines entreprises étaient ressorties plus fortes que leurs concurrentes parce qu'elles avaient su s’adapter rapidement dans un contexte tourmenté. Ces entreprises ont également continué à innover, à maintenir les relations avec leurs clients, à augmenter leur part de marché, et à consolider leurs avantages compétitifs.
Pensez-vous à d'autres répercussions à long terme qui seraient causées par la pandémie ?
Prédire les changements de thématiques à long terme est un exercice notoirement difficile. Selon moi, une méthode plus simple est souvent d'inverser la question et de se demander « qu’est-ce qui ne va pas changer ? ». Je pense qu’il est possible de répondre avec davantage de confiance à cette question, et de construire une thèse d'investissement plus solide sur la base des réponses apportées.
Une tendance qui n'est pas près de s’inverser, par exemple, est la disparition de l’argent liquide et des chèques au profit des moyens de paiement électronique tels que les cartes de débit et de crédit. C’est depuis longtemps une tendance lourde. Les autorités de réglementation préfèrent les paiements électroniques car ils sont plus faciles à tracer, et la montée en puissance du commerce électronique au détriment des magasins physiques constitue un autre facteur de soutien. Et cela ne devrait pas changer à cause de la pandémie COVID-19. On pourrait même affirmer que la pandémie actuelle est de nature à approfondir cette tendance.
Les magasins n’acceptent plus d’argent liquide à cause des risques de contamination virale, et les personnes confinées chez elles ont besoin d’utiliser des moyens de paiement en ligne pour continuer à acheter des biens et des services. J'ai entendu de nombreux témoignages de personnes âgées qui ont finalement souscrit à des services bancaires en ligne au cours du confinement. Quand le COVID-19 disparaitra, ces personnes auront toujours cette application bancaire sur leur téléphone et cette nouvelle habitude sera désormais ancrée dans leur quotidien. Le passage aux paiements électroniques semble être une tendance qui perdurera longtemps après la fin de la pandémie.
Enfin, cette crise vous a-t-elle incité à penser différemment, que ce soit sur les risques, les opportunités ou même votre philosophie d’investissement ?
L’histoire des marchés ne se répète pas, mais certaines périodes font écho entre elles. Cette correction vient nous rappeler que chaque récession est unique : la crise de 2015-2016 était liée à la Chine et aux matières premières ; celle de 2011-2013 à la zone euro ; celle de 2008-2009 à l’immobilier américain et au système financier.
La pandémie de COVID-19 touche durement certains secteurs, en particulier les voyages et les loisirs. Qui pouvait prévoir une absence de revenus pendant plusieurs mois ? Pourtant, nous en sommes là. Même si évaluer la manière dont une entreprise s’est comportée au cours derniers cycles économiques est toujours instructif, cela signifie qu’une rupture radicale est toujours possible. Certaines valeurs « défensives » s'avéreront au final moins résistantes qu'au cours des cycles précédents.
Cette correction massive nous rappelle la pertinence d’une citation parfois attribuée à Mark Twain : « Le problème n'est pas ce que nous ignorons, mais ce que nous tenons pour sûr et certain et qui ne l'est pas vraiment ». Les investisseurs doivent trouver les moyens de faire face à l'incertitude. Un peu plus de diversification – sans pour autant se diluer dans l'ignorance – peut s’avérer utile pour se protéger contre les « inconnues que nous ignorons » pour paraphraser Donald Rumsfeld (secrétaire américain à la Défense durant la guerre d’Irak).
NOTES
- Aviva Investors House View, Q2 2020, April 9, 2020, voir le lien.