La longue convalescence des banques américaines

par Aurore Wannesson-Raynaud, stratégiste chez Axa IM

Il y a tout juste un an, la faillite de Lehman Brothers précipitait le secteur bancaire dans la pire crise qu’il ait connu depuis les années 30. Un marché interbancaire paralysé, des pertes massives sur leurs portefeuilles de titres, l’impossibilité d’émettre de la dette non garantie, tel était l’environnement pour les banques, américaines en particulier. Sortir de l’impasse n’était nullement trivial.

Néanmoins, depuis, grâce à une intervention sans précédent des pouvoirs publics (Fed, Trésor, FDIC), la situation s’est normalisée.

Le marché monétaire fonctionne normalement et les écarts de taux avec ceux de la Fed sont revenus à leur niveau d’avant crise. Ainsi, les banques ont de nouveau accès à la liquidité (elles disposent en fait de réserves conséquentes, pour l’essentiel déposées à la Fed), se sont recapitalisées, sur fonds privés, et peuvent désormais émettre de la dette sans garantie d’Etat. Peut-on pour autant en conclure que le secteur bancaire américain est à nouveau au sommet de sa forme ? Nous ne le pensons pas, du moins pas complètement. En effet, malgré les résultats très positifs publiés avant l’été par certaines grandes banques de Wall Street, la situation de l’ensemble du secteur parait aujourd’hui toujours bien fragile. Nous expliquons ici pourquoi.

Des profits pour quelques-unes, des pertes pour la majorité

Si Goldman Sachs a pu afficher un bénéfice de 3,4mdsUSD au 2T09, JP Morgan de 2,7mdsUSD, ou encore Bank of America 3,2mdsUSD, ce n’est pas le cas de la grande majorité du secteur. La FDIC (Federal Deposit Insurance Corporation) indique en effet une perte pour l’ensemble du secteur (qui compte, aujourd’hui encore, plus de 8 000 institutions) de 3,7mdsUSD au 2T09. Globalement, ce sont les provisions pour créances douteuses qui ont le plus pesé sur le résultat du secteur, suivies par les dépréciations d’actifs, en particulier les ABCP. Aussi, les frais de garantie (du papier émis, des dépôts) ont contribué à grever le résultat du secteur au 2T09. D’une manière générale, le ratio de rentabilité des actifs a été négatif (- 0,11%).

Pourtant, les marges d’intérêt des banques ont progressé au 1T09, à 3,48%, notamment grâce à la forte pente de la courbe des taux (les banques empruntent à court terme pour prêter à long terme). Mais la FDIC précise que cette amélioration des marges est plus marquée chez les plus grandes institutions financières. Par contre, la part du revenu directement liée aux intérêts a baissé, car le volume des actifs portant intérêts a lui-même significativement baissé (-150mdsUSD au 2T09).

Si les marges des banques ont progressé sans pour autant générer d’augmentation des revenus, c’est aussi que les banques ont supporté une forte augmentation des défauts, tant de la part des ménages que des entreprises, le taux de défaut (pertes observées) annualisé ayant atteint un plus haut historique à 2,55%.

Les défauts ont progressé de 165% r.a. du côté des entreprises, et de 85% r.a. sur les cartes de crédit (où le taux de défaut frôle désormais les 10%). De même, le nombre d’emprunteurs en difficulté de paiement depuis plus de 90 jours a augmenté pour le 13ème trimestre consécutif pour atteindre un sommet historique à 4,35%.

Ici, les difficultés viennent essentiellement du crédit immobilier, résidentiel mais aussi, et de plus en plus, commercial. Pour faire face à ce risque, les banques ont cependant accru leurs provisions, et le ratio global des provisions sur l’encours total des prêts a augmenté, à 2,77%. Pour autant, la progression du volume des prêts en difficulté de paiement a été si rapide que leur taux de couverture par les réserves a diminué, à 63,5%.

Parallèlement, la structure du bilan du secteur bancaire s’est tout de même améliorée. Si les actifs ont globalement fondu de 238mdsUSD au 2T09 (pour l’essentiel dans les plus grandes institutions financières) les fonds propres du secteur se sont nettement redressés et les ratios de capital ont poursuivi la progression qu’ils avaient entamée lors des deux trimestres précédents. Le Tier1 du secteur par exemple, en remontant à 10,6%1 a retrouvé son niveau d’avant crise, ce qui est d’autant plus remarquable qu’une grande partie des injections de capitaux publics (les fonds du TARP, programme de recapitalisation des banques) a été remboursée, les grandes banques ayant réussi à lever du capital privé sur le marché.

Au total, après 24 faillites et 39 fusions au 2T09, il reste encore 8 195 institutions financières aux Etats-Unis, mais la FDIC a 416 inscrits sur sa liste de « problèmes ».

Des conditions de crédit qui restent restrictives

De façon générale, la saison de publication des résultats pour le secteur bancaire a souligné la dichotomie entre l’activité de banque d’investissement, rentable, d’une part, et l’activité de banque commerciale, peu voire pas rentable, de l’autre. Les banques ayant publié des bénéfices importants ont en effet pu le faire grâce à leurs activités de trading, notamment, tandis que leurs consœurs, spécialisées dans la banque commerciale, souffraient de l’augmentation des défauts, sans pouvoir profiter de la hausse des marchés pour les compenser.

Dans ce contexte, on comprend aisément pourquoi les conditions de crédit, si elles se sont légèrement assouplies par rapport à la fin de l’année 2008, restent globalement restrictives pour l’ensemble des agents économiques. C’est ce qui ressort de la dernière enquête de la Fed auprès des banques (Senior Loan Officer Survey). Mais ce que nous enseigne aussi cette enquête, et qui caractérise bien la situation actuelle, est que non seulement les banques réduisent le volume des prêts qu’elles accordent (tout en étant plus sévères sur les conditions auxquelles elles les accordent), mais aussi la demande de prêts continue de s’affaiblir. Si les banques affirment vouloir maintenir des conditions de crédit plus restrictives que la moyenne jusque fin 2010, faisant qu’une part du credit crunch reste donc subie par les ménages et les entreprises, la forte décélération de la croissance du crédit est aussi en partie souhaitée. En effet, le processus de désendettement, des ménages en particulier, entamé depuis plus d’un an, représente une contrainte de taille sur la demande de crédit

De fait, la stabilisation des prix de l’immobilier, ainsi que les incitations fiscales pour les primo-accédants ont récemment contribué à faire redémarrer un peu la demande de crédit immobilier, mais la demande de crédit à la consommation a décéléré significativement, et les lignes de crédit existantes ont également été coupées, à la demande des consommateurs. Du côté des entreprises, la Fed rapporte aussi une décélération marquée de la demande, en raison d’un environnement économique encore incertain. Bien entendu, la détérioration de la notation de nombreuses entreprises d’une part et l’accès de nouveau possible au financement sur le marché obligataire d’autre part, ont contribué à amoindrir le crédit bancaire.

Quel soutien des banques à la croissance en 2010 ?

La combinaison d’une offre de crédit qui reste contrainte et d’une demande qui marque le pas devrait prévaloir largement en 2010. D’une part, la grande majorité des banques doit continuer de renforcer la structure de son capital. En effet, l’amélioration des ratios de capital, comme nous l’avons souligné, est principalement le fait des plus grandes banques, et même pour celles là, au vu de la rapide augmentation des taux de défauts, les ratios de couvertures par les réserves se détériorent rapidement. De fait, c’est bien la dégradation de la situation financière des ménages et des entreprises qui constitue aujourd’hui la principale difficulté à laquelle les banques sont confrontées. Du côté des ménages, la poursuite de la hausse du taux de chômage et des salaires en berne, même si le creux de la croissance est derrière nous, représente bien entendu le facteur essentiel expliquant la hausse des accidents de paiement.

Du côté des entreprises, les défauts augmentent également très rapidement, et, si l’on extrapole la tendance récente de l’évolution des taux de défaut obligataires à celle du crédit bancaire, la situation pourrait se détériorer davantage encore. Sur le crédit obligataire en effet, le taux de défaut a littéralement explosé pour atteindre un pic au-delà de 12% sur le High Yield en août 2009. En 2010, les taux de défaut devraient reculer, mais les prévisions varient fortement entre Moody’s (4,1%) et S&P (13,9%). Pour le crédit bancaire, la détérioration, marquée, mais toutefois assez récente, devrait suivre le même profil, et un taux de défaut au-delà de 3% (2,35% au 2T09) nous parait une hypothèse raisonnable.

Au total, aux actifs toxiques toujours au bilan des banques, viendra s’ajouter dans les trimestres à venir un nombre croissant de créances douteuses, qui pèseront sur le résultat des banques. Ceci restera un facteur de contrainte sur la distribution de crédit.

Conclusions

La publication de bénéfices conséquents pour quelques unes des grandes banques de Wall Street ne doit pas faire oublier que le secteur dans son ensemble affichait des pertes au 2T09, la hausse des défauts des ménages et des entreprises pesant lourdement sur la rentabilité.

Si l’intervention publique a permis un net redressement de la situation bilancielle du secteur bancaire dans son ensemble, la guérison du secteur prendra du temps. Il encore en convalescence car fragilisé par les défauts.

Ainsi, la croissance du crédit restera contrainte, tant du fait de la réticence des banques à prêter que de la réticence de certains agents à emprunter. Dans ce contexte, la croissance du PIB restera en deçà de sa tendance en 2010.

NOTES

  1. Le ratio Tier1 pondéré du risque des actifs atteint même 13,8% au 2T09.