par Alexandre Hezez, Stratégiste Allocataire du Groupe Banque Richelieu
La Présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a détaillé devant le parlement européen le projet de plan de relance de la Commission, appelé Next Generation EU.
La proposition pour le budget 2021-2027 de l’Union européenne dévoilée par la Présidente de la Commission européenne aura finalement répondu aux attentes en faveur d’un approfondissement de l’Europe, comme en atteste le rebond de l’euro face aux principales devises et la nouvelle contraction des spreads, quoique modeste, entre les taux souverains allemands et ceux des pays périphériques.
Avec la proposition d’une enveloppe de 750 Mds€ (500 Mds€ de subventions et 250 Mds€ de prêts), qui s’ajouterait au budget 2021-27, la Commission européenne a porté les espoirs d’une plus forte intégration suite à la crise, un élément favorable à la confiance apportée dans une Europe qui, depuis des années, conserve la défiance des investisseurs internationaux.
Malgré un large soutien à une réponse très ambitieuse de la part de l’Europe, la négociation s’annonce rude.
Ceci servira de base de négociation entre les chefs d’Etat ces prochaines semaines alors que les « 4 frugaux » restent très frileux à l’idée de transferts sans conditions aux pays du Sud, même s’ils semblent accepter le principe d’un compromis. L’objectif de la Commission européenne reste d’une certaine manière de les isoler.
Moins touchés par l’épidémie et toujours peu désireux de mettre en place une solidarité avec les pays du Sud de l’Europe, la question est de savoir s’ils peuvent s’allier pour bloquer cette réponse.
Les pays d’Europe de l’Est ont traditionnellement bénéficié de l’essentiel du fonds de cohésion de l’UE, mais ils ont connu une pandémie relativement bonne et ne recevront donc pas une grande partie de ce nouveau soutien. Il sera intéressant de voir dans quelle direction ils s'appuient. La proposition nécessite un soutien unanime, ce qui sera difficile à obtenir.
Par exemple, Bruxelles projette notamment d’offrir des contreparties aux États comme la Pologne, la République tchèque et la Hongrie, sous forme d’augmentation substantielle à la politique de cohésion à travers le fonds de relance. Cela devrait assurer une réponse positive de la part des pays de l’Est.
En tout état de cause, cela servira de base de négociation entre les chefs d’États ces prochaines semaines.
La relance européenne s’ajoute à la réouverture des économies au niveau mondial et doit permettre un effet d’entrai- nement vers un retour à la croissance.
Un nouveau pas dans la bonne direction mais le plus dur s’engage. Ce plan doit être accepté à l’unanimité de tous les États membres et avoir l’accord des parlements nationaux.
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Le chancelier autrichien a d’ailleurs insisté sur le fait qu’il ne s’agit que d’une « base de négociations » et que la part entre subventions et prêts devra être rediscutée. Si l’on regarde le verre à moitié plein, ceci pourrait cependant laisser entendre que le compromis est possible.
Angela Merkel a d’ailleurs déjà indiqué qu’il était très peu probable qu’un accord soit trouvé dès le sommet européen des 18 et 19 juin 2020 pour éviter toute attente trop forte.
La Commission a pour objectif de parvenir à un accord politique avec le Conseil et le Parlement d'ici juillet. Le projet a été jugé ambitieux et reçu un accueil positif des présidents des groupes PPE, S&D, Renew Europe et Verts qui ont appelé les pays « frugaux » à faire preuve de solidarité.
M. Weber, le président du PPE, a demandé que solidarité n’aille pas sans responsabilité ce qui d’une certaine manière illustre une envie de négociation de part et d’autre.
En plus du budget pluriannuel en tant que tel, Bruxelles suggère 500 Mds€ de subventions directes et 250 Mds€ de prêts. Pour financer ce projet, la Commission acte par ailleurs le principe d’une levée de dettes sur les marchés financiers, laquelle sera éligible aux achats d’actifs de la BCE. Christine Lagarde a estimé que l'économie de la zone euro devrait se contracter de 8 % à 12 % cette année, ce qui correspond à la partie basse des scénarios avancés jusque-là. Nul doute que la BCE sera un acteur nécessaire et volontaire dans ce projet.
Notons au passage, que dans des temps « reculés », les gouvernements empruntaient auprès des fonds de pension, des assureurs et des fonds souverains. Au milieu de la Covid-19, craignant que des emprunts publics massifs ne déstabilisent les marchés, ce sont les banques centrales qui s'engagent sans hésitation. Une augmentation extra- ordinaire des achats d'actifs est en cours afin de soutenir la stabilité financière. La réalité est que dans les principales éco- nomies avancées les banques centrales brisent le tabou du financement du déficit.
Achats d’actifs de la banque centrale en tant que part de l’émission de la dette publique 2020-21
Source : Bloomberg
La BCE est donc le maillon indispensable au projet européen. Le financement du plan sera fait à travers une émission de 750 Mds€ de dettes communes. On peut aussi se demander si cela ne se fera pas au détriment d’autres émetteurs, notamment l’Allemagne.
Le fonds de relance étant une partie du budget EU, cela implique une longue négociation. L’argent ne semble devoir être disponible que début 2021, et des sources proches de Bruxelles ont déjà évoqué une clé de répartition (non officielle) ciblant principalement les pays les plus fragiles : l’Italie, l’Espagne et la France !
Cependant, nous pensons que le plan de la Commission européenne fournit la pièce budgétaire manquante de la réponse de l’EU face à la crise. Cela porte un message politique fort en terme de solidarité fiscale au sein de l’Europe et cela ressemble à une première marche vers une potentielle union budgétaire.
Notons que les investissements seront réalisés en privilégiant les priorités de l’UE : le numérique, l’objectif de neutralité carbone et en favorisant la justice sociale. Tous les pays pourront bénéficier de fonds de l’UE.
Si l’Europe est en phase de déconfinement, la reprise économique est progressive et incertaine. La situation sanitaire continue d’envoyer des signaux encourageants, et ce plus de 14 jours après la levée des restrictions. Ces éléments sont des premiers pas favorables à la confiance des acteurs économiques, ce qui se reflète de nouveau dans les indicateurs d’activité IFO en Allemagne qui ont remonté, tout en restant éloignés des niveaux d’avant crise. Rappelons qu’aussi bien les indices PMI que l’IFO témoignent d’un environnement qui s’améliore mais qui reste en contraction. Les pays les plus exposés au secteur des services continueront de souffrir davantage nécessitant des mesures de relance toujours plus fortes de la part des États.
Ces annonces restent une bonne nouvelle, à un moment où malgré les chiffres économiques, certains indicateurs précurseurs montrent quelques signes encou- rageants pour le troisième trimestre. L’enjeux principal est de redonner confiance aux consommateurs européens et nous sommes sur le meilleur chemin possible pour l’instant.
Principaux achats à l’heure actuelle vs principaux achats des 12 prochains mois
Source : Bloomberg
De plus, cela devrait favoriser le marché actions de la zone Euro par une rotation d’actifs à court terme sectorielle (Banques, Industrie) mais aussi géographique.
Un compromis, notamment sur le montant final de l’enveloppe réservée aux dons, reste nécessaire pour assurer une reprise de la confiance des acteurs économiques et donc la croissance à partir du 3ème trimestre et par conséquence une tendance haussière mais progressive de l’euro face aux principales devises.
Bourses : performances sur trois mois
Changes : performances sur 3 mois
Au moins, la Présidente de la Commission peut compter sur la France et l'Allemagne, les deux poids lourds de l'UE, qui ont conclu l'accord révolutionnaire qui a ouvert la voie à la proposition de von der Leyen. L'Espagne, l'Italie et les autres pays du Sud sont évidemment en faveur car ils obtiendraient la plupart de l'argent. Pour une fois, les étoiles politiques peuvent être alignées. Auquel cas, 2020 restera dans les mémoires, et pas comme l'année de la pandémie.