par John Plassard, Spécialiste en investissement chez Mirabaud
Que l’image du décollage de la navette Space-X samedi passé était belle et remplie d’émotion pour les personnes ayant notamment assisté à la catastrophe de la fusée Colombia le 1er février 2003 au cours de la mission STS—107. Le rêve américain de dominer l’espace refait surface et la conquête de mars n’est plus un fantasme. Cependant, derrière les autocongratulations et la politisation de l’évènement, se cache une industrie de plus de 1'000 milliards de dollars. Comment investir dans ce commerce en pleine croissance et quels sont les pièges à éviter ? Synthèse et analyse.
a. Les faits
Les astronautes américains Bob Behnken et Doug Hurley se sont envolés samedi 30 avril du centre spatial Kennedy, en Floride, à bord d’une fusée de SpaceX, première société privée à se voir confier par la NASA une mission aussi prestigieuse. Le premier étage de la fusée Falcon-9 s'est posé sans encombre sur sa barge dans l'océan Atlantique.
L'arrimage à la Station spatiale internationale s’est fait dimanche 31 mai 2020 à 16h27. « C'est incroyable ! », s'est émerveillé Donald Trump, placé à trois kilomètres du site. Voici neuf ans que les États-Unis n'avaient pas envoyé d'hommes dans l'espace depuis leur sol. Pour les États-Unis, les enjeux sont considérables avec un accès à l'espace, low-cost (voir plus loin).
Pour trois milliards accordés depuis 2011, SpaceX a entièrement développé un nouveau taxi spatial et promis à la Nasa, sa cliente, six allers-retours vers l'ISS.
Pour mémoire, depuis 9 ans les Américains devaient se tourner vers les vaisseaux Soyouz fabriqués par la Russie.
Au-delà de la nouvelle indépendance américaine se cache aussi une industrie qui pourrait atteindre les 1'000 milliards de dollars dans les prochaines années.
b. Une croissance à peine croyable
Lorsque l'astronaute américain Neil Armstrong est le premier Homme à poser le pied sur la Lune le 21 juillet 1969, on imagine alors que l’industrie spatiale va décoller en flèche. Cependant les budgets du gouvernement américain fondant à vue d’œil (contrairement à celui de l’armée), Washington a dû se raviser à plusieurs reprises avant d’abandonner ses projets de conquérir mars. La flamme est réapparue sous Barack Obama et ensuite sous Donald Trump sous l’impulsion notamment de Elon Musk, le fondateur de SpaceX (et notamment de Tesla).
Morgan Stanley par exemple estime que l'industrie spatiale mondiale pourrait générer des revenus de plus de 1’000 milliards de dollars d'ici 2040, contre 350 milliards de dollars en 2019. À court et moyen terme les opportunités les plus importantes pourraient provenir de l'accès à l'Internet haut débit par satellite.
Plus globalement, le développement de l’industrie spatiale pourrait profiter au ministère américain de la défense, ainsi qu'aux industries aérospatiales et de défense, et contribuer à cibler et à accélérer les investissements dans les technologies et les capacités innovantes.
c. Les coûts ont été réduits
Aujourd'hui, le développement de fusées réutilisables pourrait bien marquer un tournant historique dans l’investissement spatial.
SpaceX est devenu le lanceur de fusée américaine le plus actif, réduisant considérablement le coût de lancement des satellites tout en prouvant qu'il peut réutiliser les parties les plus précieuses des fusées en faisant atterrir les boosters.
À l'époque de la navette spatiale, le lancement d'un satellite dans l'espace coûtait environ 24’800 dollars par livre (0.45 kilogramme). Un petit satellite de communication pesant quatre tonnes coûtait près de 200 millions de dollars pour le faire voler.
Aujourd'hui, un satellite SpaceX Starlink pèse environ 227 kilogrammes (500 livres). Grâce à une architecture réutilisable et à une fabrication moins coûteuse, nous pouvons en attacher des douzaines à des fusées pour en réduire considérablement le coût ; un lancement de SpaceX Falcon 9 coûte aujourd'hui environ 1’240 dollars par livre.
Grâce à la baisse des coûts d’accès à l’espace, environ 80 pays disposeront de leurs propres satellites, ce qui n’empêchera pas le secteur de demeurer une activité à haut risque avec un taux d’échec voisin de 5 % des projets en orbite.
d. Comment investir dans la thématique ?
Comme nous l’avons vu au point b, il y plusieurs façons d’investir dans la thématique. J’en sélectionne ici 4 :
• Les vols habités
Alors que Boeing et Lockheed Martin ont tous deux un héritage dans le domaine des vols spatiaux habités, Virgin Galactic est la première société dont l'activité principale est de faire voler des gens dans l'espace à avoir été cotée en bourse en octobre 2019.
Virgin Galactic présente des similitudes avec deux autres entreprises spatiales construites par des milliardaires au cours de ce siècle : Blue Origin (Jeff Bezos) et SpaceX. La première développe également une fusée pour les touristes de l'espace, tandis que la seconde prévoit d'utiliser son énorme fusée Starship comme moyen de voyager rapidement d'un endroit à un autre sur Terre, connu sous le nom de voyage spatial point à point.
• Le développement commercial et militaire
Si c’est une thématique dans laquelle nous nous refusons d’investir, force est de constater que le secteur militaire est un gros « consommateur » du développement spatial. En 2018 par exemple,
L'année dernière, Northrop Grumman par exemple a racheté Orbital ATK, l'un des principaux fournisseurs de moteurs-fusées à propergol solide, et a rebaptisé la société Northrop Grumman Innovation Systems. Outre la construction d'engins spatiaux destinés à envoyer des cargaisons à la Station spatiale internationale, l'unité spatiale de Northrop développe également sa fusée OmegA pour un certain nombre de contrats de lancement de l'armée de l'air américaine.
• Les satellites de communication
L'activité des satellites de communication est variée, puisqu'elle va des fabricants aux fournisseurs de vidéo à large bande, en passant par les opérateurs et les entreprises de systèmes au sol. La majorité des entreprises axées sur les satellites entrent donc dans la grande catégorie des communications par satellite.
Cependant, pour les investisseurs qui cherchent à investir dans l'industrie spatiale en pariant sur les satellites de communication, c’est alors la catégorie où il y a le plus d’acteurs cotés « pure play ». La plus importante d'entre elles en termes de valeur marchande est DISH Network, qui possède et exploite une flotte de satellites de diffusion directe. DISH était auparavant un service fourni par EchoStar, une autre société de cette liste qui fournit plusieurs services de communication au-delà de la seule diffusion de la télévision.
À lui seul, SpaceX veut envoyer plus de 4,5 fois plus de satellites en orbite cette décennie que les humains n'en ont jamais lancés depuis Spoutnik afin, notamment, de voir des milliers de satellites travailler « ensemble » (ou en tandem) pour fournir un accès à l'internet aux populations les plus pauvres et les plus isolées de la planète.
• Imagerie et analyse de données
Cette catégorie est la moins importante en terme de chiffre d’affaires, mais peut-être la plus prometteuse. Maxar Technologies est la seule entreprise « pure play » de la catégorie, mais pourrait facilement être incluse dans la sécurité nationale ou les communications par satellite. Mais, ayant acquis DigitalGlobe en 2017, Maxar exploite ce qu'elle prétend être « la constellation de satellites imageurs la plus avancée au monde ».
Plusieurs analystes du secteur comparent l'imagerie géospatiale actuelle au développement du système de positionnement global, ou GPS, à la fin des années 1970.
Enfin, il existe plusieurs entreprises privées qui se concentrent sur différents domaines de l'imagerie et de l'analyse des données. Spire Global, Planet Labs et Orbital Insight sont considérées comme les trois prochaines entreprises du secteur qui pourraient bientôt entrer en bourse. Spire Global et Planet Labs exploitent chacun des constellations de petits satellites, le premier recueillant des données sur des sujets tels que la météo et le second prenant régulièrement des images de la surface de la Terre.
• Divers
L’univers de la conquête spatiale a bien évidemment d’autres facettes. On peut notamment signaler les projets d’exploration (Lune, Mars…) ou encore l’exploitation minière des astéroïdes sur lesquels nous ne nous étendrons pas aujourd’hui.
Les acteurs traditionnels (Nasa, Agence spatiale européenne…) pourtant leader et seuls acteurs il y a quelques années de cela vont ainsi devoir se partager le gâteau avec les nouveaux entrants.
e. Synthèse
Le sujet de l’espace est un sujet qui fait rêver tout le monde. Depuis peu cependant ce rêve est devenu réalité et il est possible d’investir dans cette thématique qui devrait représenter la bagatelle de 1'000 milliards de dollars dans seulement quelques dizaines d’années. Pourquoi hésiter ?