par Jean-Christophe Caffet, Cyril Regnat, Jean-François Robin et Cédric Thellier, économistes chez Natixis
Le projet de loi de finances (PLF) pour 2010 présenté hier témoigne d’une certaine prudence de la part du gouvernement français à l’horizon des douze prochains mois.
Pour le gouvernement, si le budget 2009 était un « budget de relance », celui de 2010 sera un « budget de reprise ». Le PLF 2010 fait ainsi montre d’un certain volontarisme afin d’accompagner la sortie de crise en s’appuyant notamment sur des nouveautés fiscales, dont la mesure phare est la réforme de la taxe professionnelle. En outre, on notera le « verdissement » des dispositifs fiscaux.
Néanmoins, la maîtrise des dépenses « hors relance » demeure une priorité gouvernementale, avec en particulier la réaffirmation de la norme « zéro-volume » pour l’Etat.
Si les prévisions pour 2009/2010 (déficit total APU à 8,2% du PIB en 2009 et 8,5% en 2010) nous semblent réalistes, l’objectif affiché par la trajectoire pluriannuelle des finances publiques (un retour à 5% en 2013) nous paraît en revanche très optimiste. Un solde déficitaire de l’ordre de 7% du PIB en 2013 nous semble nettement plus réaliste.
Ce PLF 2010 ne tient aucunement compte du projet de « grand emprunt », la commission Rocard-Juppé ne rendant son rapport que courant novembre.
Une ambition de réforme fiscale en profondeur
Dans un contexte de crise économique et financière et d’ouverture historique du déficit budgétaire, le projet de loi de finances pour 2010 dévoilé hier fait preuve de volontarisme. Les deux objectifs majeurs consistent à accompagner et conforter la sortie de crise d’une part, à préparer la croissance de demain en soutenant la compétitivité des entreprises, la recherche et l’enseignement supérieur et le développement durable d’autre part. Le PLF 2010 s’appuie ainsi sur une ambition de réformer en profondeur la structure de la fiscalité, s’articulant autour de trois axes :
- Encourager l’investissement et l’innovation, en favorisant la compétitivité des entreprises. Ainsi, conformément à l’engagement Présidentiel, la suppression de la taxe professionnelle sera effective dès le 1er janvier 2010. La taxe professionnelle serait remplacée par une contribution économique territoriale (CET) composée, d’une part, d’une cotisation locale d’activité (CLA) assise sur les bases foncières, et d’autre part, d’une cotisation complémentaire (CC) assise sur la valeur ajoutée des entreprises. La réforme de la taxe professionnelle se traduirait, en régime de croisière, par une réduction de 5,8 Mds EUR par an de la charge pesant sur les entreprises. Cet allègement serait ramené à 4,3 Mds EUR par an compte tenu des surplus d’impôts sur les sociétés engendrés. Toutefois, compte tenu du décalage des dégrèvements dus au titre de la taxe professionnelle 2009 et de l’effet sur l’impôt sur les sociétés, le gain serait en 2010 de 11,7 Mds EUR. Autre mesure phare du projet de loi, le remboursement immédiat et accéléré du crédit d’impôt recherche, mis en œuvre à la fin 2008 dans le cadre du plan de relance de l’économie, serait prorogé pour les dépenses engagées par les entreprises au titre de l’année 2009, ce qui représente un effort supplémentaire de 2,5 Mds EUR.
- Mettre l’outil fiscal au service de l’environnement, avec notamment la mise en place d’une taxe carbone dont l’objectif est d’instaurer un signal-prix1 reflétant les coûts engendrés par les émissions de dioxyde de carbone. Le tarif de la taxe serait calculé sur la base d’un coût de la tonne de carbone initialement fixé à 17 euros, soit un produit de 4,5 Mds EUR, dont 1,9 Mds supportés par les entreprises et 2,6 Mds supportés par les ménages (y compris TVA). Des aménagements sont prévus pour tenir compte des contraintes propres à certains secteurs (agriculture, pêche, transport routier de marchandises). Le produit de la taxe carbone prélevé sur les ménages, y compris via la TVA additionnelle induite, ferait l’objet d’une redistribution intégrale et forfaitaire, par la création d’un crédit d’impôt : pour les foyers imposables, celui-ci viendrait en diminution de l’impôt dû ; pour les foyers non imposables, il serait restitué et prendrait la forme d’un « chèque vert ». Le premier versement interviendrait dès février 2010. Le « verdissement » de la fiscalité serait également illustré par un recentrage des dispositifs incitatifs mis en place dans le secteur du logement sur les logements économes en énergie, ou encore par l’abaissement des seuils du malus automobile initialement programmé pour 2012, qui serait anticipé d’un an.
- Mettre les prélèvements sur les ménages au service de l’équité fiscale, par exemple en exonérant d’impôt sur le revenu les aides mises en place dans le cadre du sommet social de février 2009 (primes de 200 et 500 euros,…), ou inversement, en fiscalisant certaines indemnités afin de ne pas accorder aux revenus de remplacements un régime fiscal plus favorable que celui appliqué aux revenus du travail. En outre, certaines mesures seraient prorogées (crédit d’impôt sur le revenu pour dépenses d’équipement de l’habitation principale en faveur des personnes les plus fragiles, le PTZ,…)
Selon les estimations du MINEFE, l’essentiel de l’impact des nouvelles dispositions fiscales du PLF 2010 sur le budget en 2010 sera représenté par le coût de la réforme de la taxe professionnelle, soit 11,7 Mds EUR.
En très forte hausse en 2009, le déficit ne s’ouvrirait que modérément en 2010
L’ouverture de 4,8 points de PIB du déficit en 2009 (à 8,2%) s’expliquerait selon le gouvernement par sa composante cyclique à hauteur de 2 points (une croissance très nettement en-dessous du potentiel), par le plan de relance (1,2 point) et 1,6 point de « surréaction » des recettes à la dégradation conjoncturelle. Pour 2010, l’ouverture supplémentaire de 0,3 point du déficit (à 8,5%) s’expliquerait par :
- la composante cyclique (+0,5 point), la croissance étant attendue un point sous le potentiel ;
- la réversibilité des mesures du plan de relance pour 2009 (-1,2 point) ;
- la continuité / les nouvelles mesures du plan de relance pour 2010 (+0,2 point) ;
- la réforme de la taxe professionnelle (+0,6 point) ;
- autres (+0,2 point).
Si les dépenses ont été extraordinairement dynamiques en 2009 sous l’effet des plans de relance, leur progression devrait être beaucoup plus mesurée en 2010
La maîtrise des dépenses « hors relance » est une des priorités du gouvernement. Ceci passe notamment par le respect de la règle du zéro-volume pour les dépenses de l’Etat (l’augmentation de 4,3 mds EUR prévue pour 2010 correspondant à une progression en valeur de 1,2%, égale à l’inflation prévue). En particulier, l’effort de réduction des effectifs est poursuivi avec le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, soit près de 34000 en 2010.
Mais cette relative stabilisation du déficit public en 2010 résulterait en réalité de deux mouvements contraires. D’un côté, une amélioration du déficit de l’Etat, qui passerait de 141 mds EUR en 2009 à 116 mds EUR en 2010 grâce au léger rétablissement des recettes attendu compte tenu du rebond de croissance, à la disparition d’une partie des mesures de relance et à la maîtrise des dépenses courantes. De l’autre, la situation dégradée sur le marché du travail, dont l’amélioration ne devrait se produire qu’à la fin de 2010, continuerait de peser sur les comptes sociaux : celui du régime général, mais également ceux des régimes complémentaires et de l’assurance chômage. Le déficit du régime général atteindrait ainsi un peu plus de 30 milliards.
Des hypothèses prudentes à court terme
Le projet de loi de finances pour 2010 fait preuve de prudence dans ses hypothèses de court terme. Nous partageons dans une large mesure ce scénario, avec une prévision de croissance du PIB similaire à celle du PLF en 2009 (-2,3%) et légèrement inférieure en 2010 (+0,4% selon nous).
Nos prévisions de déficit public pour l’ensemble des administrations publiques (APU) sont par conséquent assez proches des prévisions gouvernementales en 2009 et 2010. L’évolution de la situation budgétaire mensuelle de l’Etat sur les sept premiers mois de l’année suggère un déficit proche des 130 Mds d’euros en 2009, i.e. autour de 6,7% du PIB. Alors que le déficit des ASSO devrait dépasser 1% du PIB et que le déficit des APUL devrait s’être encore sensiblement creusé (très forte contraction des activités de construction et recul très prononcé des transactions immobilières), le déficit total des administrations publiques pourrait donc dépasser les 8% du PIB en 2009. Cette ouverture de plus de 4,5 points de PIB du déficit total APU serait imputable pour une petite moitié au cycle2 (soit 2 points de PIB), pour plus d’un point aux mesures décidées dans le cadre du plan de relance et du sommet social de février 2009, et pour près de 1,8 point de PIB à l’ouverture du déficit structurel3.
En 2010, la composante cyclique du déficit devrait selon nos prévisions de nouveau se creuser de 0,7 point (une prévision légèrement plus pessimiste que celle du PLF) tandis que le contrecoup du plan de relance (réversibilité d’une partie des mesures engagées en 2009) devrait permettre une résorption de plus d’un point du déficit. Les mesures engagées et/ou prolongées en 2010 accroîtraient le déficit de 0,2 point de PIB, si bien que celui-ci se situerait autour des 8% du PIB sur l’année, hors coût budgétaire des nouvelles mesures fiscales. Ainsi, en tenant compte de l’estimation de 0,6 point de PIB de la mise en place de la réforme de la taxe professionnelle, notre prévision de déficit total APU est proche de celle du PLF.
Toutefois, dans un contexte marqué par une profitabilité des entreprises certes en cours de redressement mais toujours très affaiblie, de remontée du chômage et de baisse encore plus prononcée de la consommation privée (-0,3% en 2010 selon nos prévisions), les risques d’une ouverture plus marquée que prévu ne manquent pas.
Côté APUL, et au vu de la tendance des dernières années, l’objectif d’un accroissement de 0,1 point du déficit (à 0,5% du PIB) peut paraître assez ambitieux dans un contexte de très forte contraction des activités de construction et de recul prononcé des transactions immobilières. La forte progression des dépenses observée ces dernières années est certes amenée à ralentir (cycle électoral) mais elle resterait soutenue par la progression continue des dépenses de fonctionnement (rémunération des salariés et transferts de compétence4)
Au final, nous tablons donc sur un déficit public proche de 8,2% du PIB en 2009 et de 8,6% en 2010. Sous ces hypothèses, et avec une prévision de croissance nominale légèrement inférieure à celle inscrite dans le PLF (1,5% vs. 2%), le ratio de dette/PIB approcherait les 85% du PIB en 2010 (84% dans le PLF).
L’équilibre repoussé après 2017 ?
La trajectoire pluriannuelle des finances publiques prévoit un déficit ramené à 5% du PIB en 2013. L’objectif d’équilibre budgétaire n’est donc clairement plus à l’ordre du jour à quelque maturité que ce soit, ni même le retour à un déficit public conforme aux engagements européens (3% du PIB) à l’horizon 2012 (fin de l’actuelle législature).
L’objectif affiché suppose un effort continu de réduction du déficit structurel supérieur à 0,5 point par an, de même qu’un excédent cyclique de 0,3-0,4 point par an à partir de 2011. Les prévisions à long terme du PLF reposent en effet sur l’hypothèse sous-jacente d’une croissance (2,5%) supérieure à son potentiel (1,8%) à partir de 2011. Implicitement, un retour à l’équilibre serait envisageable seulement après 2017 si ces conditions étaient réunies chaque année.
En l’état actuel des choses, cette hypothèse d’une croissance supérieure à son potentiel dès 2011 nous paraît très optimiste. En admettant que le déficit soit proche de 8,5% en 2010 et en supposant la croissance à son potentiel à partir de 2011, le déficit serait vraisemblablement plus proche de 7% en 2013 (sous l’hypothèse, assez forte en l’absence de hausse des prélèvements obligatoires, d’une réduction de 0,5 point de PIB par an du déficit structurel). En suivant cette tendance, l’équilibre budgétaire ne serait pas atteint avant 2025. Dans ce scénario, la dette publique atteindrait le seuil des 100% du PIB en 2013.
Programme de financement
Il est naturellement prématuré de se prononcer sur les papiers qui seront adjugés et sur l’impact de l’intégration du Grand Emprunt dans le programme de l’AFT. Le Trésor communiquera sur les détails de son programme d’émission 2010 vraisemblablement comme d’habitude courant décembre. Pour autant, la ventilation des ressources de financement de l’AFT nous donne des indications utiles concernant la stratégie d’émissions qui sera adoptée l’année prochaine.
En effet, le premier élément majeur concernant ce PLF 2010 reste la variation du stock de BTF. Les Bons du Trésor ont été utilisés cette année comme principale variable d’ajustement pour répondre au creusement du déficit budgétaire. En effet, la variation initialement anticipée dans le cadre de la LFR 2009 était de €37,7Mds contre une variation finale prévue de €69Mds. Sur les €253Mds de besoins de financement en 2009, le financement court-terme (via BTF) a représenté 28% du total.
En 2010, le recourt à ce type de financement serait moindre, de l’ordre de 14% d’où l’augmentation des émissions d’OAT/BTAN malgré des besoins inférieurs (€212Mds). En décidant de limiter la variation nette du stock de BTF sur l’année 2010, l’AFT tentera en effet d’éviter une accélération trop brutale du rythme d’adjudication de BTF qui, à 10Mds par semaine, est d’ores et déjà extrêmement élevé (un peu moins de €500Mds de BTF seront adjugés cette année). Les volumes de BTF adjugés l’année prochaine devraient approcher les €550Mds (rythme proche de €11Mds par semaine).
Les émissions brutes d’OAT/BTAN seront elles-aussi en hausse l’année prochaine. Près de €175Mds d’obligations seront donc offertes au marché par l’AFT contre un montant de €165Mds pour l’exercice 2009 (montant lui aussi révisé en hausse avec €145Mds initialement prévu en début d’année et 155 après une première révision en hausse). Bien que minime, l’évolution brute des émissions cache une variation nette moins flatteuse (les remboursements chuteront de €113Mds à €93Mds en 2010). Les émissions nettes passeront en effet de €52Mds à €82Mds l’année prochaine, soit une hausse de 58% contre une augmentation de seulement 6% en termes bruts.
Concernant la politique d’émissions des OAT et BTAN, l’AFT pourrait ajuster sa stratégie en fonction de l’appétit actuel des investisseurs pour les obligations courtes. Ainsi, la part de BTAN dans le financement M/LT, de l’ordre de 45% sur les 5 dernières années, pourrait être augmentée significativement l’année prochaine compte tenu de la politique accommodante de la BCE et de l’attractivité actuelle des papiers courts (carry et roll-down élevés). En tenant compte d’un découpage 52%/48% en faveur de la zone 2 ans – 5 ans, ce sont donc respectivement €91Mds de BTAN et €84Mds d’OAT qui pourraient être adjugés en 2010.
Particulièrement délaissé cette année du fait d’un moindre appétit des investisseurs et de la chute des inflations française et européenne, le segment des obligations indexées pourrait retrouver un peu de lustre l’année prochaine. La part du programme OATi/OATei n’atteindra ainsi qu’environ 6/7% cette année, un niveau bien inférieur à l’objectif de 10% habituellement annoncé et factuellement toujours dépassé. Pour assurer la liquidité du marché des indexés, l’AFT pourrait donc augmenter légèrement la part d’OATi/OATei à 12%, soit un peu plus de €21Mds.
A l’instar de cette année, on peut s’attendre à une politique opportuniste du Trésor français en fonction de l’état et de la cherté relative du marché. L’AFT continuera donc à abonder des titres off-the-runs et n’hésitera vraisemblablement pas à abonder plusieurs souches simultanément, bref à adopter une gestion active de sa dette.
NOTES
1 Pour plus de détails, cf. Flash 2009-362 « France : de la légitimité de la taxe carbone au recyclage optimal de son produit »
2 Sous l’hypothèse traditionnellement retenue d’une élasticité du déficit cyclique à la variation de l’output gap de 0,5.
3 Une très forte ouverture liée à un effondrement « spontané » des recettes fiscales (notamment les recettes d’impôt sur les sociétés et, dans une moindre mesure, les recettes de TVA) bien plus important que lors des précédents épisodes de crise. Voir le Rapport préparatoire au débat sur l’orientation des finances publiques (juin 2009) pour plus de détails sur ce sujet.
4 Voir Flash n°2007-335 : « France : où en sont les finances publiques ? »