par Antonio Serpico, Gérant Senior dans l’équipe European Fixed Income de Neuberger Berman
Pendant le mois de mars 2020, nous avons vécu un des plus violents écartements de spreads de crédit de l’histoire des marchés financiers. L’ampleur de cet écartement est comparable à celui de 2008, à la différence que cette fois-ci l’écartement s’est concrétisé en trois semaines et non en douze mois. Durant le mois de mars, la liquidité sur le marché de crédit était complètement asséchée : les fonds et les ETFs vendaient pour faire face aux rachats et personne n’achetait. Ce manque de liquidité a rendu la correction des marchés extrêmement violente.
Pendant le mois de mars, la courbe des spreads s’est d’abord aplatie pour finalement s’inverser : les obligations de maturité courte ont vu leurs spreads s’écarter plus que les obligations du même émetteur avec des maturités plus longues. Il s’agit d’un signe évident de stress sur le marché qui puni les obligations courtes, étant donné les fortes incertitudes à court terme causées par une importante crise, comme ici la crise pandémique mondiale liée au Covid-19.
Durant le mois d’avril, nous avons assisté à des injections de liquidités sans précédents sur le marché : la BCE a mis sur la table plusieurs plans d’achats d’actifs correspondant à peu près à 1000 milliard d’euros sur douze mois, avec un plan de financement à taux négatifs pour les banques européennes dans l’objectif de laisser ouvert le robinet de liquidité afin que l’économie réelle puisse fonctionner et se remettre en marche après l’arrêt des activités de production imposé par le confinement en Europe.
Pendant le mois d’avril, on a donc vu revenir un peu de liquidité sur le marché avec des acheteurs de crédit qui ont finalement pointé leur nez. Les spreads ont commencé donc à se resserrer et la courbe de spread à se normaliser.
Aujourd’hui, début juillet, les spreads du crédit européen sont revenus à un bon niveau par rapport à ceux du mois de mars : les indices CDS Main et Xover ont récupéré à peu près 70% et 60% par rapport à l’écartement connu au cours du mois de mars. Aujourd’hui, il y a encore de la valeur à ces niveaux de spreads, qui prévoient des niveaux de faillite plus élevés que prévu. A titre d’exemple, le niveau des spreads HY européen prévoit un niveau de défaut de 5-6% pour 2021, contre notre attente de 3-4%.
Pendant cette crise des marchés, il a fallu être dynamique dans la gestion des risques : un achat de protection sur les CDS s’est imposé pendant la chute des marchés, vu que la vente d’obligations était très difficile étant donné la liquidité extrêmement faible. Au contraire, après la chute violente des marchés, les valorisations des obligations étaient très attractives, que ce soit sur le IG ou le HY. A ce moment-là, nous avons acheté du risque de crédit en nous concentrant sur des émetteurs solides qui avaient été mis sous pression par les ventes indiscriminées du mois précèdent. Pendant le fort rallye d’avril et mai, nous avons continué à gérer activement nos expositions crédit, en vendant des secteurs qui avaient surperformé (non-cycliques) et en achetant des secteurs qui avaient sous-performé (cycliques). La compression des spreads de crédit pendant ce « recovery » et cette gestion active nous ont aidé à faire rebondir fortement nos performances.
Nous sommes convaincus que dans ce contexte économiques une gestion active est toujours appropriée, vu que le marché est en train de chercher son équilibre, pris entre des chiffres économiques meilleurs que prévu d’un côté et une propagation importante de la crise sanitaire dans le monde de l’autre. Cet équilibre n’est pas facile à trouver et on peut s’attendre à de la volatilité sur le marché de crédit avec une dislocation entre les secteurs et même entre différentes maturités de la même obligation.
A propos justement des maturités, aujourd’hui les courbes de crédit se sont généralement normalisées et on trouve par conséquent moins de valeur sur les maturités très courte, les investisseurs favorisent donc les maturités de 3-4 ans plutôt que de 1-2 ans. Par contre, on trouve encore de la valeur sur des obligations à call court (corporate hybrids ou subordonnées financières) où les courbes sont plus pentues par rapport à des obligations seniors.
Pour terminer, un commentaire sur les « anges déchus » : après un gros écartement des spreads les obligations qui ont vu leurs notations (voire une seule parmi leurs notations) passer à « junk », ont connu un « recovery » important des spreads qui sont presque revenus aux niveaux d’avant-crise. L’impact des « anges déchus » sur les portefeuilles n’était finalement pas si important sur la période entre mars et juillet. En revanche, l’achat d’« anges déchus » pendant le mois d’avril était la source de performance la plus importante sur les trois derniers mois pour nos fonds. Ce choix découle de la gestion active que nous avons évoquée précédemment. Dans le cadre de la gestion de notre fonds NB Ultra Short Term, par exemple, l’achat d’obligations très courtes comme Schaeffler 22, Valeo 22, GM 21, Ford 21, a contribué de façon importante à la performance du fonds, car ces obligations ont rebondi de plusieurs points (jusqu’à 10) pendant les trois derniers mois. Ce rebond était possible grâce à l’inclusion des « anges déchus » dans le programme d’achat de la FED (et des discussions au sein de la BCE) et à l’intérêt des fonds HY pour ces émetteurs qui viennent de rejoindre leurs indices.