par Sylvain Broyer, Costa Brunner, Jean-Christophe Caffet, Jésus Castillo et Cédric Thellier, économistes chez Natixis
Un acquis de croissance quasi nul à fin 2010…
Le message de notre scénario 2010 pour l’économie de la zone euro est clair : le rebond enregistré lors du second semestre 2009 sera éphémère.
Les mesures significatives de soutien engagées par les gouvernements ont certes permis de stopper l’hémorragie, en particulier dans le secteur automobile avec les dispositifs de prime à la casse1, mais ne seront que temporaires en l’absence de marges de manœuvre budgétaires conséquentes.
Or, la zone euro ne pourra compter sur aucun relais de croissance solide : la demande intérieure demeure apathique, tandis que la reprise de la demande mondiale adressée à la zone euro s’avère essentiellement liée à la mise en place des plans de relance. En conséquence, le rebond des exportations sera, lui aussi, fragile.
Au total, la croissance sera donc très modérée en 2010, de l’ordre de 0,2% en GA. Le risque d’une nouvelle récession (deux trimestres consécutifs de recul du PIB) ne peut toujours pas être exclu. Ces prévisions apparaissent globalement plus pessimistes que celles des organismes officiels.
Surtout, le profil trimestriel de croissance offre un acquis à fin 2010 quasi nul. Les ajustements consécutifs au choc négatif de croissance enregistré fin 2008 – début 2009 se poursuivront en 2011 à l’échelle de la zone :
- Variable retardée par rapport au cycle d’activité, l’emploi reculera encore de 0,5 point sur l’année et ne devrait se stabiliser qu’en fin de période
- après le choc violent de 2009 (-2,3 points), la productivité par tête continue son redressement et demeure élevée (+1,3 point)
- Le partage de la valeur ajoutée sera encore en défaveur des salariés, avec une progression des salaires réels quasi nulle, voire négative (la hausse modérée des salaires nominaux étant compensée par l’inflation, pourtant faible, de l’ordre de 1%)
- En conséquence, les coûts salariaux unitaires (CSU) resteront en territoire négatif (-0,4% en moyenne annuelle), exerçant une pression à la baisse sur l’inflation sous-jacente2.
La croissance encore fragile en début d’année devrait s’affirmer au fil des trimestres, à mesure que les ajustements touchent à leur fin, pour approcher son rythme potentiel (0,5% T/T) en fin de période. En moyenne annuelle, la progression du PIB de la zone s’affichera à 0,7%. Même dissymétrique, le scénario de croissance présente bien un profil en W.
Les différentes composantes du PIB devraient évoluer comme suit :
- La consommation des ménages sera pénalisée par la conjugaison d’une situation sur le marché du travail toujours dégradée et d’un recul du pouvoir d’achat de la masse salariale que devront compenser les transferts sociaux. Même si en dynamique la situation devrait s’améliorer en cours d’année avec un ralentissement des suppressions nettes d’emploi ainsi qu’une progression (timide) des salaires nominaux, les dépenses de consommation privée resteront nettement en retrait en comparaison de leur évolution annuelle moyenne entre 2002 et 2007, à respectivement +0,6% en GA contre 1,5%. Un risque supplémentaire réside dans l’ampleur du phénomène de désendettement des ménages, illustré par le net ralentissement de la distribution de crédit sur la période récente.Entre un scénario pessimiste de contraction marquée et prolongée du crédit et un retour sur les niveaux observés ces dernières années, nous adoptons une position intermédiaire de progression modérée du crédit à moyen terme. En effet, les ratios d’endettement des ménages rapporté à leur revenu disponible brut n’ayant pas atteint des niveaux aussi importants que dans les pays anglo-saxons (légèrement au-dessus de 80% en zone euro contre plus de 120% aux Etats-Unis et près de 160% au Royaume-Uni), cela plaide en faveur d’un ajustement plus modéré, qui pèsera néanmoins sur les dépenses de consommation privée. De plus, certains pays de la zone n’ont pas subi de bulle immobilière récente (Allemagne, Autriche).
- Après avoir été soutenue par les plans de relance en 2009/2010, la consommation publique devrait nettement ralentir en 2011. En effet, avec l’ouverture extraordinaire et généralisée des déficits budgétaires, la maîtrise des dépenses, ou tout au moins leur modération, est une nécessité. Leur part dans le PIB pourrait ainsi diminuer de 0,5 point, légèrement au-dessus des 50%, après un bond de plus de 4 points en deux ans. Nous tablons alors sur une progression de la consommation publique autour de 0,8% en GA pour 2011, un point sous sa moyenne de long terme, avec une contribution à la croissance inférieure à 0,2 point de PIB.
- Après trois années de contraction, très sévère en 2009 (de l’ordre de 10%) et plus modérée en 2010 (autour de 1,5%), la FBCF totale devrait se stabiliser en 2011. Le profil trimestriel devrait exhiber une amélioration tendancielle : d’une part, l’investissement productif suivra le redressement du taux d’utilisation des capacités de production – mais le mouvement devrait être très progressif, compte tenu du niveau actuel historiquement faible de ce dernier et de l’atonie de l’activité en 2010, bien que soutenu par la restauration des profits des entreprises. D’autre part, l’investissement résidentiel devrait bénéficier de la fin de l’ajustement dans le secteur de la construction, en particulier en Espagne.
- Enfin, la contribution du commerce extérieur à la croissance de la zone euro devrait être globalement neutre en 2011. Après une forte contraction attendue en 2009 (supérieure à 10%) puis une relative stabilisation en 2010, nous tablons sur une reprise du commerce mondial pour 2011, de l’ordre de 5% sur l’année, bien moins qu’avant la crise (9%). Les exportations et les importations de la zone euro devraient alors suivre une trajectoire similaire, parallèlement à celle du commerce mondial, en W, subissant le contrecoup de l’essoufflement des plans de relance à l’échelle planétaire en 2010 avant de se redresser en 2011.
Au final, la croissance 2011 en zone euro sera donc encore relativement faible, voisine de 0,7%. Néanmoins, la dynamique trimestrielle positive ainsi que l’acquis de croissance obtenu en fin de période (0,7 point de PIB), permettent d’envisager un retour à la croissance potentielle pour 2012, soit une croissance proche de 1,5%. L’output gap continuera en revanche de s’ouvrir en 2011, proche de 6 points, ce qui constitue une menace supplémentaire sur les finances publiques européennes.
Les finances publiques sous pression
Parmi les stigmates de la crise, celles portées par les finances publiques sont particulièrement remarquables : l’ouverture du déficit public de la zone se monte à 5 points de PIB en deux ans, celui-ci passant de 1,9% en 2008 à 6,9% fin 2010. Pour 2011, compte tenu de l’écart de croissance à son potentiel3, on peut estimer à 0,4 point supplémentaire l’aggravation du solde budgétaire, via sa composante cyclique.
Parallèlement, le niveau de 85% du PIB atteint par la dette publique en 2010 (+15 points en deux ans), alourdira la charge d’intérêts afférente de l’ordre de 0,2 point en 2011. En retenant une hypothèse de consolidation budgétaire conforme au benchmark prévu dans le Pacte de Stabilité et de Croissance, soit 0,5 point, on parvient à peine à compenser l’ouverture du déficit cyclique et le supplément de charge de la dette ; autrement dit, à stabiliser le déficit total à près de 7%. Toutefois, la réversibilité des mesures 2010 des plans de relance, ainsi que les orientations d’austérité déjà annoncées par certains gouvernements permettent d’envisager une amélioration du déficit structurel supérieure à 0,5 point.
Au final pour 2011, nous tablons sur un déficit autour de 6,5% du PIB et une dette publique de 90%.
Scénario de politique monétaire
Les projections de croissance et d’inflation établies par le staff de la BCE pour 2011 ne seront connues que début décembre. Mais gageons qu’elles ne seront pas très éloignées de notre scénario : d’une part, un redressement de la croissance qui demeure néanmoins sous son potentiel ; d’autre part, une inflation stable autour de 1-1,5%, soit toujours sensiblement sous l’objectif, mais avec un ralentissement dangereux des inflations sous-jacentes. Par ailleurs, les questions demeurent encore nombreuses concernant la stratégie de sortie des mesures non standard.
Envisager les modalités et le timing précis est sans doute prématuré aujourd’hui. En revanche, il est clair pour la BCE que cette sortie se fera indépendamment de la politique conventionnelle de taux directeurs4 : les hausses pourront donc être antérieures, postérieures ou concomitantes à la stratégie de sortie. Nous tablons sur un scénario de relèvement progressif du taux refi, parallèlement au redressement de la croissance nominale.
La BCE accompagnerait ainsi l’amélioration conjoncturelle par une normalisation de sa politique monétaire, dans une perspective à horizon 2012 de retour de la croissance à son potentiel, mais pas au-delà. L’ampleur et la rapidité du cycle de hausses des taux devraient alors être modérées. Nous envisageons un premier mouvement au deuxième trimestre 2011, pour un taux refi sans doute encore sous les 2% en fin d’année.
NOTES
- Pour plus de détails, cf. Flash n° 399 « Dans quelle mesure les primes à la casse ont-elles contribué au rebond de la production industrielle ? »
- Toutefois, il convient de souligner l’hétérogénéité des situations nationales au sein des 4 grands pays de la zone, cf. focus de la présente Note.
- Nous retenons un scénario relativement optimiste sur l’horizon de prévision, avec comme hypothèses de travail une croissance potentielle de 1,5% et des taux longs avoisinant les 3,5%, écartant ici le scénario de krach obligataire. Le taux d’inflation associé est de 1%.4 Cf. Special Report 2009-256 « Quels indicateurs guideront la BCE dans sa stratégie de sortie ? »