par Frédérique Cerisier, économiste chez BNP Paribas
Selon le projet de loi de finances (PLF), le déficit de l'Etat devrait atteindre EUR 141 mds cette année, soit 2,5 fois celui enregistré en 2008.
En 2010, il s'établirait encore à EUR 116 mds. Le coût budgétaire des mesures fiscales prises en 2010 et antérieurement, hors mesures du plan relance, dépasserait EUR 14 mds, près de la moitié de cette somme étant attribuable à des mesures pérennes de modifications des prélèvements.
Compte tenu de la poursuite de la dégradation des comptes sociaux, le gouvernement estime que le solde budgétaire de l'ensemble des administrations publiques pourrait s'établir autour de 8,5% du PIB l'an prochain, le ratio de dette publique atteignant 84% du PIB.
Bien qu'établie sous des hypothèses de croissance très favorables, la programmation pluriannuelle des finances publiques n'envisage qu'un redressement modéré de la situation budgétaire à moyen terme.
Le gouvernement a présenté la semaine dernière les projets de loi de finances (PLF) et de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2010. Ils devraient être débattus au Parlement dans les prochaines semaines.
2009 : un déficit de crise
Dans le cadre de ce projet de loi, les services du ministère des Finances ont réalisé une nouvelle estimation du déficit de l'Etat pour 2009, qui devrait atteindre EUR 141 mds cette année, soit 2,5 fois celui enregistré en 2008 (EUR 56,4 mds).
C'est également un montant très supérieur au déficit qui était attendu pour 2009 lors du second collectif budgétaire (104 mds, en mars denier), alors même que la plus grande partie des mesures de soutien à l'activité mises en place cette année étaient déjà décidées. Pour l'essentiel, ce décalage s'explique par :
- un coût plus élevé qu'attendu de plusieurs mesures du plan de relance (EUR 39 mds, soit 2% du PIB, contre 32 mds programmés dans le second collectif), en particulier l'accélération de remboursement de crédits d'impôts et de TVA ;
- pour plus de EUR 27 mds, par un effondrement des recettes fiscales (hors effets du plan de relance), beaucoup plus important qu'initialement attendu. Cette année, le produit de l'IS devrait s'établir autour de EUR 19 mds d'euros (contre 49 mds en 2008), soit une baisse de 30 milliards, dont seuls 8,3 mds seraient imputables au plan de relance.
2010 : un scénario de croissance prudent
Le PLF est bâti sur un scénario de croissance relativement prudent. L'an prochain, le PIB progresserait de 0,75% selon le gouvernement, après un repli de 2,2% en 2009 (prévisions BNPP : -2,0% en 2009 puis +1,2% en 2010). En particulier, le cadrage macroéconomique prend acte d'une poursuite de la dégradation du marché du travail (avec un repli de 0,4% de la masse salariale, après -1,3% en 2009) qui, conjointement avec le retour de l'inflation au-delà de 1%, limiterait les gains de pouvoir d'achat et donc la consommation des ménages (+0,8%).
Dans ces conditions, l'amélioration conjoncturelle ne devrait pas conduire à un redressement notable des recettes fiscales assises sur le revenu et la consommation des ménages. Un rebond spontané des rentrées d'IS est toutefois très probable : celles-ci ont été affectées cette année par l'ampleur des trop perçus au titre de 2008, qui ont donné lieu à d'importants remboursements en début d'année. Compte tenu de la forte baisse des acomptes versés cette année, ce phénomène ne devrait pas se reproduire en 2010. Au total, l'évolution spontanée des recettes fiscales devrait faire bénéficier les comptes publics de plus de rentrées supplémentaires de plus de EUR 10 mds.
Du côté des dépenses, la règle de croissance "zéro volume" est reconduite, pour les dépenses qui ne sont pas considérées comme faisant partie du plan de relance. Celles-ci ne progresseraient dès lors que d'un peu plus de 4 milliards d'euros l'an prochain, en ligne avec les prévisions d'inflation (+1,2%).
Une sortie "progressive" du plan de relance…
Plusieurs mesures du plan de relance cesseront de produire leurs effets en 2010. C'est, en particulier, le cas du dispositif d'accélération du remboursement des crédits de TVA et d'IS. Le coût du prêt accordé au secteur automobile cette année (6,4 mds) cessera également de peser sur les comptes de l'Etat.
Le gouvernement a, en revanche, décidé de reconduire une série de mesures, dont le dispositif d'aide à l'embauche pour les très petites entreprises (zéro charges), le remboursement du crédit d’ impôt recherche et la prime à la casse.
Dans l'ensemble, le gouvernement estime que le coût budgétaire de la "mission de relance de l'économie" passerait de 38,6 milliards d'euros en 2009 à 7,1 milliards l'an prochain. En ce sens, la sortie du plan de relance n'est pas véritablement progressive, puisqu'elle tendrait à redresser le solde budgétaire de près de 32 milliards d'euros en 2010.
… A laquelle se substitue une mesure pérenne de baisse des prélèvements
Les mesures fiscales du PLF pour 2010 devraient amputer le solde budgétaire l'an prochain de près de 10 milliards d'euros, un coût qui résulte essentiellement de la réforme de la taxe professionnelle (TP).
- La suppression de la TP et son remplacement par la contribution économique territoriale (CET) devraient coûter au budget de l'Etat EUR 11,7 mds d'euros en 2010, dont plus de 7 mds liés au décalage des dégrèvements dus au titre de la taxe professionnelle 2009 et de leurs effets sur le montant de l'IS. Le gouvernement a souligné que ce gain exceptionnel pour les entreprises prolongeait les mesures de soutien à la trésorerie mise en œuvre en 2009 (qui ne produiront plus d'effet l'an prochain). A partir de 2011, la suppression de la taxe serait donc en grande partie autofinancée par le gain induit de recettes fiscales1. Le coût pérenne de la réforme est pour l'instant estimé à EUR 4,2 mds d'euros.
- Le surcroît de recettes attendu de l'entrée en vigueur de la contribution climat – énergie (taxe carbone) est finalement estimé à la baisse, à EUR 1,5 md d'euros. Ce montant est net du procédé de redistribution forfaitaire de la taxe versée par les ménages (74 euros par foyer en moyenne).
A ces montants s'ajoute, pour un peu plus de EUR 4 mds, le coût supplémentaire de mesures prises antérieurement et, en particulier, le passage en année pleine de la baisse de TVA dans la restauration. Au total, le coût budgétaire des mesures fiscales prises en 2010 et antérieurement, hors "mission de relance", dépasserait EUR 14 mds, près de la moitié de cette somme (EUR 6,8 mds) étant attribuable à des mesures pérennes de modifications des prélèvements.
Le déficit budgétaire de l'Etat pourrait s'établir l'an prochain à EUR 116 mds, soit une baisse de EUR 25 mds par rapport à 2009. A ce niveau, le déficit de l'Etat aurait encore doublé par rapport à 2008.
La détérioration des comptes sociaux, reflet de la faiblesse de la croissance
En s'appuyant sur les mêmes hypothèses de cadrage macroéconomiques que le PLF, le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) estime que le déficit de la sécurité sociale devrait atteindre EUR 23,5 mds cette année, après EUR 10,2 mds en 2008. En 2010, il est encore attendu en hausse, à plus de EUR 30 mds.
La dégradation des comptes du régime général attendue cette année et l'an prochain s'expliquerait intégralement par la situation économique et le libre jeu des stabilisateurs automatiques, au travers de l'effondrement de recettes sociales (EUR -12 mds par rapport à 2008). Celui a résulté principalement de la baisse de la masse salariale, mais le projet de loi estime également à plus de EUR 3 mds le manque à gagner induit par la baisse des recettes assises sur les revenus du capital.
Les efforts de maîtrise des dépenses semblent en revanche avoir porté leurs fruits, puisque, selon le projet de loi, l'ONDAM (Objectif National des Dépenses d'Assurance maladie) serait quasiment respecté cette année, avec une progression des dépenses d'assurance maladie de 3,4% en 2009. Pour 2010, le gouvernement vise donc un objectif encore plus ambitieux, de 3%. Le PLFSS détaille ainsi un certain nombre de mesures (hausse du forfait hospitalier, baisse du taux de remboursement de certains médicaments, renforcement du contrôle sur les arrêts de travail, …) destinées à atteindre cet objectif. Côté recettes, l'effort de réduction des niches sociales se traduira l'an prochain par le doublement du taux du forfait social payé sur l'épargne salariale et les retraites complémentaires (+0,38 milliard), la suppression de certaines exonérations sur les contrats d'assurance-vie (+0,27 md). L'ensemble de ces mesures (dépenses et recettes) viendrait réduire de EUR 3 mds le déficit du régime général, qui s'établirait néanmoins à plus de EUR 30 mds (1,6% du PIB).
De faibles perspectives de redressement à moyen terme
Au final, le gouvernement estime que le déficit de l'ensemble des administrations publiques2 devrait donc atteindre 8,2% du PIB cette année et s'accroître à 8,5% en 2010.
Au cours de ces deux années, il dépasserait d'environ 5 points de PIB son niveau de 2008 (3,4%), signe que le soutien apporté par les finances publiques à l'économie, que ce soit au travers des mesures discrétionnaires prises par le gouvernement ou via les stabilisateurs automatiques, a été et va continuer d'être très important l'an prochain. Dans ces conditions, le ratio d'endettement brut des administrations publiques devrait s'accroître de près de 9 points de PIB cette année, puis, à nouveau, de 7 points de PIB l'an prochain, pour atteindre 84% en 2010. Rappelons que ces projections budgétaires ne tiennent pas compte du lancement du "grand emprunt" dont le montant et le calendrier sont encore inconnus.
Face à l'ampleur de la détérioration des finances publiques entérinée par ces deux projets de loi, il nous paraît peu probable que les documents de programmation pluriannuelle des finances publiques, qui devraient être prochainement transmis à Bruxelles, satisfassent la Commission Européenne, tant ils envisagent un redressement limité de la situation budgétaire, sous des hypothèses de croissance pourtant très favorables. En effet, si le cadrage économique retenu pour 2009-2010 apparaît comme tout à fait prudent, les hypothèses sur lesquelles s'appuient les projections de moyen terme (2011 à 2013) du gouvernement semblent, en revanche, très optimistes, à la fois en termes de croissance (2,5% par an en volume à partir de 2011) et d'inflation (1,75%). Surtout, ces évolutions s'accompagneraient d'une croissance de la masse salariale de 5% par an (contre une croissance nominale du PIB de 4,25%).
En matière d'ajustement structurel, les projections réitèrent la volonté, maintes fois répétée, de ne pas augmenter les prélèvements obligatoires à moyen terme3. Dès lors, l'objectif, ambitieux au regard des évolutions passées, d'une croissance des dépenses de l'ensemble des administrations publiques de 1% par an en volume, conduirait, selon nos calculs, à une réduction du solde budgétaire de 0,8 point de PIB par an4. Au final, et compte tenu d'un redressement conjoncturel des recettes, le solde général des finances publiques s'améliorerait, selon ces projections, d'environ 1 point de PIB par an5. En 2013, il s'établirait encore à 5% du PIB, le ratio de dette publique dépassant pour sa part 91% du PIB.
NOTES
- Certains députés avaient cet été proposé un relèvement temporaire du taux de l'IS en 2009 pour éviter ce surcoût exceptionnel.
- En sus des soldes budgétaires de l'Etat et du régime général de la sécurité sociale, dont les budgets sont présentés ici, cet agrégat inclut les soldes budgétaires des organismes d'administrations centrales, des collectivités locales, des rchômage.