par Laetitia Baldeschi, Responsable des Etudes et de la Stratégie, Juliette Cohen et Bastien Drut, Stratégistes chez CPR AM
Plusieurs pays du G20 ont annoncé ces dernières semaines vouloir atteindre la neutralité carbone en 2050. Cela tranche avec la politique des Etats-Unis, qui sont sortis de l’accord de Paris ce 4 novembre de façon effective, mais l’élection de Joe Biden change largement la donne. Les événements récents devraient marquer un tournant dans la lutte contre le changement climatique. C’est ce que nous analysons ici.
L’accord de Paris, clé de voute de la stratégie globale de réduction des émissions de C02
L’accord de Paris conclu le 12 décembre 2015, prévoyait dans son article 4 de « parvenir à un équilibre entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions par les puits de gaz à effet de serre au cours de la 2ème moitié du siècle ». Les signataires de l’accord avaient convenu que les actions qu’ils avaient entreprises jusque-là étaient insuffisantes pour atteindre l’objectif de limiter le réchauffement à 1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle. Il était donc prévu que les Etats renforce leurs plans d’action pour le climat d’ici 2020 en mettant à jour leurs contributions nationales, les NDC (Nationally Determined Contributions) et en adoptant une stratégie de long terme à horizon 2050.
x Les annonces réalisées ces dernières semaines d’un objectif de neutralité carbone du Japon et de la Corée du Sud à horizon 2050 et de la Chine à horizon 2060 s’inscrivent donc dans la mise en œuvre directe de l’accord de Paris. Notons qu’à l’exception de la Turquie, tous les pays du G20 ont ratifié l’accord de Paris. Les Etats-Unis sont le seul pays à en être sorti (voir plus loin).
Les pays ayant pour objectif la « neutralité carbone » en 2050 sont de plus en plus nombreux. Lors de la COP 25 en décembre 2019, les Etats partageant cet objectif se sont regroupés dans la Climate Ambition alliance. 120 pays plus l’Union européenne ainsi que des villes, régions et entreprises ont rejoint cette alliance dès le départ. A l’occasion de la réunion des ministres des finances pour l’action climatique le 5 juin dernier, le secrétaire général de l’ONU, António Guterres a annoncé la « Race to zero », appelant les régions, villes, entreprises et université à s'engager à atteindre la neutralité carbone d'ici 2050 aux cotés des Etats. L'objectif était de créer une dynamique avant la COP26, prévue en novembre 2020 à l’époque et reportée depuis à 2021 à cause de l’épidémie de covid, où les gouvernements doivent renforcer leurs contributions à l'accord de Paris. Aujourd’hui, ces deux initiatives fédèrent 2290 participants.
Ces annonces constituent des pas en avant importants mais il faudra qu’elles s’accompagnent rapidement d’annonces précises pour engager la baisse des émissions de CO2 sur une trajectoire compatible avec l’accord de Paris. Il est notamment indispensable que les trajectoires des NDC soient mises à jour comme prévu et qu’elles soient compatibles avec l’objectif de neutralité carbone en 2050. Climate Action Tracker considère qu’actuellement beaucoup de pays n’ont pas adopté d’objectifs intermédiaires alignés avec leur annonce de neutralité carbone en 2050.
Aux Etats-Unis, des élections déterminantes pour la politique climatique
L’une des premières décisions qu’a prise Donald Trump au cours de son mandat a été de quitter l’accord de Paris le 1er juin 2017. La victoire de Joe Biden change largement la donne. Dans son programme de campagne, Joe Biden indiquait vouloir un retour dans l’accord de Paris dès le 1er jour de son mandat et vouloir que les Etats-Unis atteignent la neutralité carbone dès que possible mais pas après 2050 (avec la fermeture des centrales électriques utilisant des énergies fossiles avant 2035). Il ne fait donc aucun doute que les Etats-Unis rentreront dans l’accord de Paris en janvier 2021. S’il est possible que Biden ne puisse pas compter sur le Sénat, qui pourrait rester républicain1, il pourra tout de même recourir aux executive orders sur un certain nombre de sujets environnementaux. Son site de campagne proposait l’utilisation de ces outils pour :
- Abaisser fortement la pollution des exploitations de pétrole et gaz
- Opérer la transition des véhicules du gouvernement fédéral vers une flotte de véhicules électriques,
- Développer des standards environnementaux rigoureux pour les voitures afin que 100% des véhicules légers soient électriques à terme
- Améliorer les performances énergétiques des bâtiments de l’administration et faire en sorte que l’administration utilise 100% d’énergie verte
- Obliger les entreprises cotées à publier les risques liés au climat dans leurs opérations et chaînes d’approvisionnement.
L’objectif de produire 100% d’électricité sans énergies fossiles (c’est-à-dire avec le nucléaire et les diverses énergies renouvelables) d’ici 2035 est particulièrement ambitieux puisque 62% de l’électricité américaine provenait des énergies fossiles en 2019 (20% de nucléaire et 18% de renouvelable, voir graphique en annexe). Si cette politique était effectivement entreprise, cela représenterait des investissements colossaux dans l’éolien et le solaire (le premier a déjà beaucoup progressé sur les dernières années). De même, les investissements en véhicules électriques et en infrastructures associées seraient colossaux. Au passage, rappelons que les transports et la production d’électricité représentent respectivement 28 et 27% des émissions de gaz à effet de serre aux Etats-Unis et que de telles mesures, si elles venaient à être effectivement adoptées, auraient un impact significatif dans le cadre de la lutte contre le changement climatique.
Enfin, il est important de souligner qu’un certain nombre de collectivités locales américaines ont poursuivi leurs efforts sur le climat, en dépit de la sortie de l’accord de Paris du gouvernement fédéral. Par exemple, les Etats de Californie, de New York ou du Nevada ainsi que des villes (Austin, Boston, Dallas ou Miami) font partie de Climate Ambition alliance mentionnée plus haut.
La Commission européenne souhaite que l’Europe devienne le 1er continent « neutre carbone »
En Europe, la Commission européenne a présenté en mars 2020 une proposition de loi (Loi européenne sur le climat pour l’Europe) pour inscrire l’objectif de neutralité carbone en 2050 dans la loi et en faire un objectif contraignant. Pour renforcer la probabilité d’atteindre ce but, la Commission a rehaussé son objectif intermédiaire fixé en 2030 avec une réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) de 55% par rapport à leur niveau de 1990 contre 40% dans sa version précédente. Toutes les politiques sectorielles de l’UE devront désormais être compatibles avec cet objectif.
Cette révision des objectifs s’accompagne d’une adaptation de la gouvernance européenne afin de pouvoir suivre les progrès des Etats. Ces derniers devront présenter des plans nationaux énergie-climat d’ici septembre 2023 au plus tard, et tous les cinq ans par la suite afin que la Commission puisse évaluer la cohérence des mesures nationales et des mesures prises par l’UE au regard de l’objectif de neutralité climatique et de la trajectoire pour 2030-2050. Des recommandations pourront être adressées aux Etats qui ne suivent pas une trajectoire compatible avec les objectifs climatiques.
L’adaptation de plusieurs textes de la législation européenne en matière climatique est prévue d‘ici l’été 2021 pour mettre en œuvre les objectifs climatiques de l’UE. Des études d’impacts sont en cours et doivent s’achever fin novembre sur les textes suivants :
- Révision de la directive sur les SEQE (système d’échange de quotas d’émissions de GES) pour étendre son périmètre à d’autres secteurs au 2ème trimestre 2021
- Règlement sur les efforts de réduction des GES pour les secteurs hors SEQE, comme les transports, les bâtiments, l’agriculture ou la gestion des déchets qui devront baisser leurs émissions de 30% d’ici 2030 (base 2005) au 2ème trimestre 2021
- Règlement sur l’utilisation des terres, changements d’affectation des terres et forêts. L’objectif est d’avoir un cadre pour le développement des puits de gaz.
- Règlement définissant les normes d’émissions de CO2 des véhicules des particuliers et utilitaires légers.
Enfin, si l’UE s’est alignée avec l’objectif de neutralité carbone en 2050, plusieurs pays de l’Union affichent des objectifs encore plus ambitieux. C’est notamment le cas pour la Finlande qui a avancé son objectif de neutralité carbone à 2035, l’Autriche à 2040 et la Suède à 2045.
En Asie, une clarification progressive des objectifs climatiques
Après avoir été largement critiqué face à la timidité de ses engagements environnementaux, le Japon s’est engagé, par la voix de son nouveau premier ministre Yoshihide Suga, à atteindre la neutralité carbone en 2050. Jusqu’à présent, la politique climatique consistait à passer à une « société décarbonée» le plus tôt possible dans la seconde moitié de ce siècle, tout en prenant des mesures audacieuses pour réduire les émissions de GES du Japon de 80% d’ici 2050. Cet objectif restait pour autant assez flou, sans valeur de référence notamment pour la réduction envisagée, et ne s’accompagnait pas de mesures concrètes.
Dans son discours au Parlement, Suga a indiqué qu’il allait promouvoir les énergies renouvelables et s’attacher à renforcer la sécurité du nucléaire. Il propose de promouvoir la recherche, notamment au niveau des nouvelles générations de batteries solaires et du recyclage du carbone. Il a également promis de changer fondamentalement la dépendance de long terme du Japon aux énergies fossiles. Le secrétaire général des Nations Unies a salué cet engagement du Japon, en indiquant qu’il n’avait aucun doute sur les capacités financière et technologique du Japon pour atteindre son objectif mais aussi en soulignant le rôle que le Japon pourrait tenir auprès des pays émergents dans cette démarche.
Il est intéressant de relever que cette annonce japonaise intervient un mois après celle de la Chine lors de l’intervention du Président Xi Jinping devant l’assemblée des Nations Unies. A cette occasion, il avait indiqué que le pic des émissions carbone de la Chine interviendrait avant 2030 avec un objectif de neutralité carbone d’ici 2060. Lors de son discours, le président Xi a promis de réviser les contributions déterminées au niveau national (NDC) de la Chine en conséquence et a appelé tous les pays à respecter leurs engagements au titre de l'accord de Paris de 2015.
Pour autant, il convient de rester prudent sur cet engagement chinois. En effet, à la mi-2020, la Chine avait autorisé plus de nouvelles centrales à charbon que sur l’ensemble des années 2018 et 2019, environ 100GW de capacités nouvelles sont en construction, après 32GW en 2018 et 44 GW en 2019, et la tendance ne s’inverse pas : 105 GW de capacités supplémentaires font l’objet de demandes de permis. Le rebond économique qui a suivi la crise de la covid repose en grande partie sur l’industrie lourde et sur les infrastructures. Il faudra donc être attentif au plafond annuel d’émissions de C02 qui sera mentionné dans les objectifs du 14ème plan quinquennal. Un autre élément nous invite à rester prudents quant aux objectifs ambitieux annoncés: dans le plan de contrôle de la pollution atmosphérique pour l’hiver 2020-21 publié fin septembre dernier, le ministère de l’écologie et de l’environnement a proposé une cible pour la qualité de l'air dans la région « Beijing-Tianjin-Hebei », similaire aux niveaux observés en 2019-2020. Cela suggère qu'aucune amélioration significative n'est envisagée pour l'hiver prochain. Les exigences de fermetures provisoires des 39 industries clés restent présentes dans le plan, mais les détails suggèrent que cette suspension sera très probablement inférieure à celle de l'année dernière pour les aciéries intégrées, le ciment et l'aluminium notamment. L’objectif reste donc la croissance avant tout !
Cinq ans après l’accord de Paris, le consensus obtenu après d’âpres négociations pour s’engager vers la neutralité carbone à horizon 2050 a fait preuve d’une certaine résistance si l’on se réfère aux engagements récents pris par plusieurs membres du G20. La victoire de Joe Biden aux élections américaines va sans doute marquer un tournant dans la lutte contre le changement climatique puisque les Etats-Unis devraient revenir dans l’accord de Paris et devraient jouer un rôle moteur sur le sujet au niveau mondial. Au-delà des engagements politiques, il faut désormais que les actes suivent et que les NDC 2020 soient publiés et en ligne avec les ambitions affichées. L’année qui vient apparait en ce sens tout à fait décisive.