Brésil : une singulière histoire de rating ou « Je t’aime, moi non plus »

par Catherine Lebougre, Economiste au Crédit Agricole

L’histoire du rating brésilien est marquée par un début chaotique, une longue succession de mouvements à la hausse, puis à la baisse durant près de dix ans. Débute ensuite, fin 2004, une série d’upgradesininterrompue jusqu’à trouver le Saint Graal (l’investment grade en 2008-2009), puis le perdre (fin 2015-début 2016) et amorcer une grande descente.

Les agences s’accordent, sans surprise, sur les facteurs de résistance : économie vaste et diversifiée, revenu par habitant élevé par rapport à ses pairs, marché intérieur profond pour la dette publique, politique monétaire proactive, taux de change flottant, déséquilibres et dette extérieurs modérés, réserves de change importantes.

Sans grande surprise non plus, les agences convergent globalement sur les faiblesses (déséquilibres budgétaires structurellement importants, dépenses publiques rigides, dette publique lourde, croissance économique faible et marge budgétaire très limitée) et blâment évidemment le choc économique et la dégradation des finances publiques consécutifs à la pandémie.

En avril 2020, Standard & Poor’s donne ainsi le ton en confirmant son rating (BB-), mais en révisant son outlook de positif à stable : la pandémie de Covid-19 change considérablement la situation économique, ainsi que le scénario politique et budgétaire à court terme, plaçant les réformes structurelles en seconde place sur l’agenda, après les mesures liées à la pandémie. Mais S&P salue les réformes fiscales et économiques (dont la réforme des retraites en octobre 2019) menées par l'administration du président Bolsonaro bien que l'exécutif affronte un congrès fragmenté. Même si un environnement politique potentiellement plus conflictuel peut nuire à la capacité du gouvernement à forger des alliances efficaces au Congrès, l'administration devrait mettre en œuvre des mesures d'assainissement budgétaire. Ainsi, S&P suppose, au-delà de 2020, une stabilisation de la dette publique nette autour de 70% du PIB[1]. S&P n’exclut pas la possibilité d’augmenter sa note au cours des deux prochaines années et évoque, notamment, un rétablissement plus rapide de la trajectoire budgétaire, de meilleures perspectives de mise en œuvre des réformes structurelles, suggérant une croissance économique plus forte et une stabilisation de la dette à moyen terme. L’agence évoque la possibilité d’une dégradation, si le profil budgétaire est plus dégradé que prévu pendant une période prolongée ou si une faiblesse imprévue de la balance des paiements entrave l'accès au marché ou bien encore si la crédibilité de politique monétaire fléchit, faisant planer un risque sur le système de change flottant.

En mai 2020, Moody's confirme sa notation (Ba2) et maintient une perspective stable, tout en notant que les retombées économiques du coronavirus retarderont le programme de réformes et conduiront à une augmentation importante de la dette publique en 2020. Moody’s cite les progrès accomplis : baisse de l'inflation, ancrage des anticipations d'inflation, efficacité de la politique monétaire, contraintes budgétaires constitutionnelles, réforme des retraites et du secteur financier, réduction des prêts bonifiés, environnement de taux d'intérêt favorable offrant un espace budgétaire supplémentaire pour absorber l'augmentation de la dette brute liée à la crise. Saluant la réponse rapide du Congrès en faveur d’un soutien budgétaire et monétaire important mais temporaire, Moody’s anticipe la reprise des réformes une fois la crise atténuée et l'assainissement budgétaire à partir de 2021 : "la détérioration budgétaire sera stabilisée et inversée dans les années à venir". Une aggravation de la dynamique politique (retards dans les réformes budgétaires nécessaires pour respecter le plafond des dépenses et stabiliser la dette) ou un choc pandémique matériellement plus profond et prolongé pourraient mettre le rating sous pression.

En novembre 2020, c’est au tour de Fitch de confirmer la notation (BB-) assortie d’une perspective négative (révisée à la baisse en avril 2020). Tout en insistant sur les avancées récentes (réforme du secteur public pour contenir les coûts salariaux, projet de réforme fiscale visant à simplifier un système complexe et lourd, projet en cours en faveur de l'autonomie formelle de la banque centrale), Fitch souligne le recours aux échéances plus courtes pour couvrir les besoins de financement du Trésor et l'incertitude entourant les perspectives d'assainissement budgétaire, y compris la viabilité du plafond des dépenses, principal point d'ancrage de la politique budgétaire. Compte tenu des tensions périodiques entre l'exécutif et le Congrès, l'absence d'articulation politique claire sur le séquençage et la hiérarchisation des réformes, ainsi que les intérêts particuliers peuvent entraver leurs progrès en 2021. Au titre des facteurs susceptibles d’entraîner une dégradation de la notation figurent : un affaiblissement significatif du cadre budgétaire et/ou un échec de consolidation des comptes budgétaires qui menace viabilité de la dette publique à moyen terme, une grave détérioration des conditions d'emprunt du souverain sur le marché domestique et/ou extérieur, une érosion du coussin que sont les réserves de change.

La détérioration des finances publiques est évidemment au cœur des préoccupations des agences : elle est effectivement substantielle. Selon le FMI[2], la dette publique augmenterait de près 12% du PIB en 2020, en dépit de l’utilisation des réserves liquides permettant de réduire les émissions de dette. La dette publique brute (nette) atteindrait ainsi 101,1% (66,8%) du PIB en 2020 et 99,3% (71,3%) en 2021 dont moins de 5% en devises (pour une dette externe totale proche de 46,6% en 2021) grâce à un déficit primaire ramené de 11,3% à 2,7% du PIB.

Finances publiques dégradées, possible blocage politique et retard, voire suspension des réformes, justifient une prudence plus nette sur les perspectives ; mais ne suscitent néanmoins pas de dégradation immédiate. Un excès de bienveillance ? Un paradoxe ?

Compte tenu de l’abaissement passé de leurs notations, tout downgrade supplémentaire conduirait à afficher les ratings qui prévalaient il y a près de quinze ans. Cela équivaudrait à rayer les progrès économiques et institutionnels accomplis par le Brésil (car il y en a) et s’apparenterait à une sorte de désaveu. Au-delà de leurs appréciations quasi similaires du risque "pur" (i.e. leurs ratings qui in fine sont une évaluation de la probabilité de défaut), les agences se démarquent selon les poids respectifs accordés à ce qui a été fait (au cours du passé lointain ou récent), à ce qui reste à faire et selon la probabilité que cela se fasse. Des distinguos subtils mais utiles, quand le risque baissier pèse sur un rating. Au printemps (il y a donc longtemps déjà…), S&P saluait les progrès récents et semblait encore croire au redressement, tout comme Moody’s qui portait, en outre, au crédit du Brésil des avancées décisives bien que plus anciennes. En novembre (avec une visibilité plus grande sur le choc lié à la pandémie et les récents développements), Fitch, plus "sévère", semblait s’alarmer des dérapages immédiats et douter des possibilités de correction.

Par ailleurs, compte tenu d’une couverture essentiellement domestique du besoin de financement public, l’appréciation du risque est complexe : le Brésil s’offre le luxe, inédit pour un pays émergent, de porter une dette et un besoin de financement très lourds, mais domestiques. Le Brésil s’échappe ainsi du cadre classique (voire "rustique" ?) dans lequel, faute d’investisseurs domestiques longs, la dette est principalement externe ou détenue par des non-résidents rendant le danger plus "palpable". Les craintes doivent donc porter sur la soutenabilité de la dette interne (très problématique mais n’exposant pas à une vulnérabilité aussi flagrante qu’un surendettement externe), les réformes, la croissance et, à plus court terme, au-delà du risque de marché, sur la menace d’éviction des emprunteurs de "second rang" faisant planer un doute sur la vigueur et la pérennité de la reprise post-crise.

Or, après une contraction du PIB de 5,8% 2020, le FMI table sur une reprise (molle) de 2,8% en 2021 avant que la croissance ne s’installe sur un rythme de 2,2% en tendance : un objectif qui, toutes choses égales par ailleurs, semble légèrement audacieux au regard notamment de la croissance déjà médiocre pré-crise (moins de 1,5%). Il faudra en outre composer avec une hausse du coût de financement et une pentification de la courbe des taux d’intérêt.

NOTES

  1. En octobre, selon la Banque centrale, la dette nette atteignait 61,2% du PIB pour une dette brute de 90,7% du PIB (contre 55,7% et 75,8%, respectivement en décembre 2019).
  2. FMI, 2020 Article IV Consultation, décembre 2020.

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