par Alain Krief, Responsable de la Gestion obligataire chez Edmond de Rothschild Asset Management
Nous vivons une crise sanitaire qui a engendré une récession mondiale mais depuis la fin mars 2020, notamment grâce aux actions des banques centrales et des gouvernements de par le monde, les marchés de crédit se sont nettement redressés alors que la pandémie perdure. Sur le front politique, les élections américaines et le Brexit sont désormais derrière nous. Nous entrons donc dans une nouvelle année avec un sentiment positif, étant donné que les campagnes de vaccinations ont commencé. L’espoir d’un retour à la « normale » est dans tous les esprits.
Le consensus de marché pour 2021 table sur une croissance mondiale forte de l’ordre de 5%, dont plus de 4% pour les États-Unis, 5% pour l’Europe et près de 10% pour la Chine. Ce même consensus anticipe surtout un trimestre de rattrapage très fort pour les États-Unis et l’Europe, à plus de 10% annualisé. Les taux souverains en Europe et aux États-Unis restent, et resteront, grâce aux actions des banques centrales, très bas selon nous. Toutefois, malgré l’appellation répandue de « taux sans risque » et compte tenu des attentes sur les trajectoires de croissance en 2021, il est difficile de penser que les taux puissent encore baisser. Le pilotage de la duration s’avère alors crucial pour 2021 au sein d’une stratégie obligataire, car une légère hausse des taux à 10 ans génèrera sans doute des rendements négatifs à certains moments. Pour accompagner cette « normalisation » souhaitée par les banques centrales, les injections de liquidités sont massives et peuvent accélérer ou amplifier certaines tendances.
Sur les marchés de crédit, de nombreuses disparités sont apparues pendant cette crise que la remontée progressive observée depuis fin mars 2020 n’a pas dissipées. Très vite, il a été clair pour les investisseurs qu’il fallait se porter sur le crédit de qualité, à savoir la catégorie « Investment Grade », pour deux raisons simples. Tout d’abord, les entreprises aux fondamentaux solides pouvaient résister à cette récession et les dettes de ces mêmes entreprises étaient directement soutenues par les achats des banques centrales. Même phénomène sur les marchés émergents où les dettes de ces pays notées en catégorie « Investment Grade » ont été les premières à voir affluer les placements de liquidités, les acteurs du marché investissant à bon compte. Ce mouvement a eu pour conséquence, en fin d’année, de creuser l’écart entre la catégorie « Investment Grade » et les actifs obligataires dits « risqués ».
Faut-il pour autant se précipiter pour investir dans des segments tels que le « High Yield », la dette souveraine ou d’entreprises émergentes, ou encore la dette subordonnée financière ?
Croissance et facteurs de soutien hétérogènes
Chacune de ces classes d’actifs dites « risquées » devrait bénéficier de la recherche de rendement des investisseurs, au regard des prévisions de croissance, mais aussi de différents moteurs de performances qui ne sont pas les mêmes pour toutes. Ces facteurs de soutien hétérogènes, le moment de leur déclenchement et le contexte de marché détermineront la direction de ces segments du crédit et leurs performances. xxxxxxxxxxxxxxxxxx Concernant la dette subordonnée financière, les instruments risqués que sont les AT1 (Additionnal Tier 1) par exemple ont été conçus pour absorber les pertes. Or dans cette crise, les banques ont joué le rôle d’agent économique des gouvernements et sont donc implicitement soutenues. Cette prime de risque supplémentaire offerte pour ces instruments se retrouve finalement trop importante par rapport au véritable risque encouru. La réduction progressive des risques fondamentaux devrait donc dans un premier temps contribuer à la compression des spreads de ces titres. Par la suite, lors de la reprise réelle de l’économie, les fondamentaux des banques peuvent alors se détériorer en fonction de l’augmentation éventuelle des NPLs (Non Performing Loans ou Prêts Non Performants), conduisant à entrer dans le fameux cycle inversé des banques par rapport au cycle économique.
Pour le crédit « High Yield », reprise économique et croissance riment en général avec resserrement des spreads de crédit et compression plus forte des notations les plus basses. La période dans laquelle nous entrons ne devrait pas déroger à cette règle. La normalisation devrait aussi dans un premier temps réduire les disparités entre les secteurs liés au Covid-19, comme le transport aérien, le tourisme, les industries et services cycliques et les secteurs moins sensibles à la pandémie tels que les télécoms ou la santé. Les taux de défaut attendus, si importants à prendre en compte pour les primes de risque sur cette classe d’actifs, ont été revus à la baisse. Nous n’avons pas assisté à de multiples « jump to default » (ou « défaillances immédiates ») comme lors de la crise de 2008, notamment grâce au soutien des banques centrales et des gouvernements. Ces institutions ont tout mis en oeuvre pour que l’activité reparte afin que les entreprises, qui pour la plupart se sont fortement endettées durant cette crise, puissent retrouver la voie de la profitabilité.
Les taux de défaut pourraient s’affiche autour de 5% pour 2021 et 2022. Des défauts, nous en observerons, mais plus étalés dans le temps que prévu initialement, ce qui signifie que la sélection des titres notamment au sein des secteurs en difficulté reste cruciale. Il est intéressant de noter que les obligations convertibles peuvent représenter un moyen d’être investi sur ces secteurs fortement secoués par la crise de 2020. Les compagnies aériennes, croisiéristes, sociétés de cinéma par exemple sont venus dès le début de la crise se financer sur ce marché en forte croissance l’an passé. En outre, cette classe d’actifs permet de s’exposer aux secteurs en croissance et de bénéficier selon nous de la convexité de ces instruments. Dans un contexte de fortes disparités et de potentiels de rattrapages très importants, elle constitue selon nous un véritable moteur de performance.
Les marchés émergents ont aussi beaucoup souffert pendant la crise sanitaire et économique. Ils commencent à peine à retrouver des couleurs. La forte croissance attendue en 2021 a pour conséquence première de soutenir le cours des matières premières (pétrole mais aussi métaux), tandis que la politique accommodante de la Fed entraîne une baisse du dollar. Ces tendances – dont on ne peut pas exclure qu’elles pourraient perdurer tout au long de l’année 2021 – sont très favorables, selon nous, aux marchés émergents.
Les secteurs de l’énergie, des transports, les Mines et Métaux, l’infrastructure notamment en Afrique, comptent parmi ceux qui pourraient tirer leur épingle du jeu dans un contexte de reprise. Sur le front de la dette souveraine émergente, les pays comme l’Argentine, l’Ukraine ou encore la Turquie devraient combler leur retard si bien sûr les risques géopolitiques inhérents à cette classe d’actifs s’amenuisaient. Toutefois, si les primes de risques importantes sur certains pays devraient générer de la performance, les titres longs à forte duration peuvent pâtir d’un mouvement de hausse des taux longs américains, probablement au cours de la deuxième moitié de l’année.
2021 apportera son lot de défis, très différents de ceux que les investisseurs ont dû relever au cours des années précédentes. Le premier défi, et non des moindres, consistera à piloter le retour à la normale grâce au contrôle de la crise sanitaire en cours. Ensuite, viendra le temps de la remise en marche de l’économie mondiale avec un soutien équilibré des banques centrales pour limiter les défauts systémiques et accompagner la croissance sur la durée. Il s’agira notamment de réduire progressivement les aides exceptionnelles accordées aux entreprises et relancer l’emploi sans casser la croissance. La principale incertitude relève du séquencement de ces étapes. Les marchés suivront sans aucun doute de très près ces évolutions. Néanmoins, concernant les classes d’actifs risqués au sein du marché du crédit, cette incertitude devrait avoir un impact limité, au regard des fortes primes de risque offertes aux investisseurs. Seule la matérialité de la croissance retrouvée importera.