par Robin Parbrook, Co-responsable des investissements alternatifs asiatiques chez Schroders
La quasi-totalité des valeurs exposées à l’hydrogène ont bien progressé en 2020. Alors, que signifie cet engouement et s’agit-il d’une bulle ?
Les énergies renouvelables peuvent et vont permettre de décarboner la production d’électricité. Les énergies renouvelables et les batteries peuvent et vont permettre de décarboner le secteur automobile. Mais ces technologies seront moins adaptées pour l’aviation, le transport maritime, les véhicules commerciaux, la sidérurgie ou la fabrication d’engrais. Dans toutes ces industries vitales, il semble que l’hydrogène sera nécessaire, ou au moins qu’il offrira l’une des solutions les plus viables pour la décarbonation.
L’hydrogène peut être brûlé dans un moteur ou une chaudière à combustion pour le transport et le chauffage ; utilisé pour alimenter une pile à combustible pour le transport ou le chauffage ; ou utilisé comme agent de réduction pour fabriquer de l’acier. Il peut aussi être utilisé comme agent de stockage d’énergie : en été, l’énergie solaire excédentaire peut être utilisée pour produire de l’hydrogène, qui peut ensuite être stocké et converti en électricité consommée en hiver. Tous ces processus ont des émissions de CO2 nulles ou bien moins élevées que les autres solutions qui existent actuellement. Quelle sera la quantité d’hydrogène nécessaire ?
L’hydrogène est déjà utilisé dans quelques procédés industriels à grande échelle, tels que le raffinage du pétrole et la production d’ammoniac et d’engrais azotés. Toutefois, si l’hydrogène devait réaliser son potentiel sur ces nouveaux marchés finaux que sont le chauffage, l’industrie, les transports et le stockage d’énergie, la production et la consommation d’hydrogène devraient augmenter de 7 à 10 fois par rapport aux niveaux actuels. Le graphique ci-dessous a été préparé par le Hydrogen Council, un consortium de groupes industriels et énergétiques, pour mettre en évidence la croissance potentielle du marché si tous les types d’utilisation de l’hydrogène mentionnés ci-dessus se concrétisent.
La production d’hydrogène ne crée-t-elle pas elle-même des émissions ?
Oui. 95 % de la production d’hydrogène existante est exceptionnellement polluante, puisqu’elle est produite à partir de gaz naturel (10 kg de CO2 par kg d’hydrogène produit) ou de la gazéification du charbon (20 kg de CO2 par kg d’hydrogène produit). Cependant, l’électrolyse de l’eau permet de produire de l’hydrogène sans CO2. Si des énergies renouvelables sont utilisées pour produire l’électricité, la production d’hydrogène peut ne pas émettre de CO2.
Quels sont les coûts respectifs de ces différents modes de production ?
Aujourd’hui, l’hydrogène obtenu à partir d’énergies renouvelables coûte beaucoup plus cher que celui produit à l’aide des combustibles fossiles. Cela devrait toutefois changer, et d’ici 2030 l’hydrogène dit « renouvelable » devrait franchir le seuil de rentabilité et devenir la méthode de production la moins chère ; à ce stade, il ne sera alors pas nécessaire de poursuivre d’autres méthodes de production. La situation est très similaire à celle des véhicules électriques (VE) et des énergies renouvelables il y a 5 ou 10 ans.
Le graphique ci-dessous compare les coûts de l’hydrogène « bleu » (fabriqué à partir du gaz naturel) calculés avec différents prix du gaz, à l’hydrogène renouvelable. En 2030, si l’hydrogène produit en combinant un gaz très bon marché avec le captage et le stockage du carbone reste légèrement moins cher que celui obtenu en utilisant l’énergie solaire, la différence sera toutefois relativement faible. D’autres analystes prévoient une baisse plus rapide des coûts de production de l’hydrogène renouvelable.
Peut-on estimer la taille du marché de l’hydrogène vert ?
L’évolution dépendra essentiellement de la capacité de l’industrie du gaz naturel à convaincre les décideurs politiques que le couplage avec des installations de captage et de stockage du carbone constitue une solution viable. En théorie, les coûts de fabrication de l’hydrogène à partir du gaz naturel puis du stockage souterrain du CO2 pourraient rester compétitifs par rapport à l’hydrogène produit en utilisant des énergies renouvelables. Cependant, à l’heure actuelle, personne n’utilise vraiment cette technique à grande échelle, qui pose par ailleurs toutes sortes de problèmes juridiques et environnementaux liés au stockage souterrain de dizaines de milliards de tonnes de CO2.
Les coûts de l’hydrogène dérivé d’énergies renouvelables vont fortement baisser comme le montre le graphique ci-dessus, sous l’effet des économies d’échelle et de la baisse constante des coûts des énergies renouvelables, il est donc très probable que l’hydrogène vert supplantera l’hydrogène sous-produit des énergies fossiles dans 10 ans. L’hydrogène vert ne représentant que 1 % du marché de l’hydrogène aujourd’hui, le potentiel est énorme. Dans un scénario idéal, pour détenir 100 % des parts d’un marché qui sera huit fois plus vaste, la production d’hydrogène vert devrait être 800 fois plus importante qu’aujourd’hui en 2050 !
Cette transition est-elle soutenue par la réglementation ?
L’Union européenne (UE) est la plus avancée dans sa planification de la transition vers une économie à zéro émission, et elle a reconnu la nécessité de développer une industrie solide de l’hydrogène pour permettre la décarbonation de l’industrie, des transports et du chauffage. En juillet, l’UE a dévoilé sa stratégie en matière d’hydrogène, qui vise l’installation d’au moins 40 GW d’électrolyseurs d’hydrogène renouvelable et la production de 10 millions de tonnes d’hydrogène renouvelable d’ici 2030. Cette stratégie prévoit des investissements estimés entre 24 et 42 milliards d’euros pour la capacité des électrolyseurs à l’horizon 2030.
Quelles seront les conséquences de cette transition en matière d’investissement ?
Cela aura bien sûr beaucoup de conséquences sur les investissements. Les entreprises énergétiques et les sociétés d’ingénierie industrielle pourront bénéficier des opportunités de construire et d’exploiter toutes les nouvelles installations d’hydrogène vert. Il faudra également prévoir des centaines de gigawatts de nouvelles capacités d’énergie renouvelable pour fournir de l’électricité aux électrolyseurs, et ces nouveaux volumes d’énergie renouvelable ne sont pas encore intégrés dans les prévisions de marché concernant les fournisseurs d’énergie éolienne et solaire.
Toutefois, l’opportunité la plus évidente en matière de résultat et d’investissement sera la croissance des entreprises capables de pénétrer le marché des équipements pour tous les nouveaux électrolyseurs qui seront déployés. Aujourd’hui, les ventes d’équipements pour électrolyseurs représentent un marché vraiment minuscule, avec seulement 250 millions de dollars de chiffre d’affaires en 2020.
La production d’hydrogène vert requise pour décarboner l’ensemble de ces industries dans le monde entier nécessiterait un marché annuel des électrolyseurs proche de 25 milliards de dollars au plus fort de la phase de construction. Dans ce contexte, le fait qu’il n’y ait qu’une poignée d’acteurs leaders du marché des électrolyseurs aujourd’hui en fait un secteur très intéressant, car même s’il y a de nouveaux entrants, la technologie est complexe et les acteurs établis forment rapidement des alliances et nouent des relations avec les développeurs et les groupes énergétiques. Cette concentration leur permet de réaliser des économies d’échelle et de réduire leurs coûts.