par Eléonore Bunel, Responsable de la gestion taux chez Lazard Frères Gestion
Après une baisse généralisée des taux en 2020 sous l’action des banques centrales, l’année 2021 démarre dans un contexte nouveau. Le retour de l’inflation pousse les taux longs à la hausse, tandis que l’anticipation d’un retour à la normale permet un recul des primes de risque.
Depuis le début de l’année 2021, deux mouvements opposés s’observent sur les marchés obligataires. D’une part, les taux longs commencent d’ores et déjà à remonter sur le segment des dettes souveraines, aussi bien en Europe qu’aux États-Unis. D’autre part, une baisse des écarts de taux (spreads) s’observe entre les titres les plus sûrs (investment grade) et les titres plus risqués (high yield).
Dettes souveraines : l’inflation entre dans l’équation
Chaque phénomène a son explication. Intéressons-nous tout d’abord à la hausse des taux longs sur le segment souverain.
Que l’on se rassure tout d’abord : cette hausse est sans rapport avec celle observée dans certains pays d’Europe en 2011-2012 suite à la « crise de l’eurozone ». Contrairement à ce qui s’était observé à l’époque, les investisseurs ne s’inquiètent plus de la solvabilité des États, bien que l’endettement public ait bondi avec la crise du Covid-19. En zone euro notamment, la BCE a tiré les leçons de la précédente décennie, et restera très active pour absorber les dettes des pays européens dans le cadre de son « plan d’achats d’urgence pandémique » (PEPP).
La hausse des taux souverains s’explique donc surtout par le retour de l’inflation. En zone euro, l’indice des prix a surpris en janvier, en s’affichant en hausse de +0,9% par rapport au mois de janvier 2020. Aux États-Unis, l’inflation s’approche quant à elle de 1,5% après être tombée à 0,1% en juin dernier. La « reflation » de l’économie devrait se poursuivre cette année, amplifiée par un fort effet de base après une année 2020 marquée par la chute des prix du pétrole. A ceci s’ajouteront les hausses de prix induites en 2021 par la reprise économique et le besoin, pour les entreprises, d’augmenter leurs marges dans la mesure du possible pour rembourser leurs dettes.
En Europe, les taux à 10 ans ont ainsi repris environ 35 points de base depuis le début de l’année. Le Bund allemand, qui s’échangeait à -0,60% fin décembre, est revenu à -0,25% au cours de la dernière semaine de février. L’OAT française de même échéance est remontée de -0,35% à 0% et le taux à 10 ans espagnol est repassé de 0% à +0,40% sur la même période. L’Italie reste un cas à part, l’arrivée de Mario Draghi au gouvernement ayant eu un effet d’apaisement sur les taux longs. Aux États-Unis, le mouvement est encore plus marqué : les Treasuries à 10 ans ont repris 55 points de base depuis le début d’année, passant de +0,90% à +1,45%. La remontée de l’inflation se conjugue à l’attente de forts volumes d’émissions liés au plan de relance de 1.900 milliards de dollars souhaité par l’administration Biden.
La pression à la hausse sur les taux longs devrait donc se poursuivre cette année. Les taux courts restent quant à eux sous l’emprise des banques centrales et ne semblent pas en mesure de remonter à ce stade. La BCE ne devrait pas remonter ses taux directeurs avant 2023 au plus tôt, la Fed est prête à garder ses taux à leur niveau plancher y compris en cas de retour de l’inflation au-dessus de 2%, et la Bank of England (BoE) envisage quant à elle d’appliquer des taux directeurs négatifs.
High yield : des primes de risque revenues à leurs niveaux d’avant-crise
De manière plus générale, le redémarrage économique attendu cette année devrait se traduire par une baisse des leviers après leur forte hausse en 2020. Cette perspective s’accompagne d’ores et déjà d’une amélioration des notations d’emprunteurs attribuées aux entreprises par les agences spécialisées comme Moody’s. Il semble clair que la vague de « downgrades » est désormais derrière nous.
Ce contexte porteur explique la détente actuellement observée sur les dettes d’entreprises « risquées ». Avec une baisse des taux de 20 points de base en une seule semaine début février, les primes de risque du segment obligataire high yield sont revenues à leurs niveaux d’avant-crise pandémique. Pour les détenteurs de ces titres, le mouvement est bénéfique : rappelons que lorsque les taux du marché baissent, la valeur des titres détenus en portefeuille s’apprécie.
En somme, les obligations high yield, à l’inverse des dettes souveraines, confirment leur profil intéressant dans le cadre de la reprise économique espérée en 2021. Le potentiel de resserrement des spreads est certes limité désormais, mais les rendements offerts par ce segment de marché restent attractifs selon nous.
Notons enfin que le taux de défaut sur le segment high yield devrait désormais diminuer au cours des prochains moins pour revenir en fin d’année sur des moyennes historiques aux alentours de 2% à 2,5%, après un pic attendu en mars à 5,4% selon Moody’s. Il est intéressant de souligner que ce dernier chiffre, qui vient rappeler les risques inhérents à cette classe d’actifs, est finalement resté à un niveau bien plus bas qu’anticipé au début de la crise du Covid-19.