par Gilles Bridier est journaliste (API.doc)
En désignant le Luxembourg comme un paradis fiscal et en soulignant que l’on ne peut s’accommoder au plan national de pratiques que l’on combat au niveau international, Nicolas Sarkozy a clairement braqué contre lui Jean-Claude Junker, le premier ministre luxembourgeois. Celui-ci préside également l’Eurogroupe qui réunit les ministres des finances des pays de la zone euro. Aussi, lorsque Paris a évoqué la possibilité de mettre sur pied un plan de relance européen pour lutter contre la récession, Jean-Claude Junker a t-il vite balayé cette proposition, renvoyant la présidence française dans ses buts en s’appuyant sur une décision de l’Eurogroupe de laisser les Etats mettre sur pied des mesures ciblées. Pas question de laisser la France se reposer sur l’Europe pour trouver les éléments d’une relance économique. Tant pis pour l’image de l’Union, encore une fois en ordre dispersé.
Mais derrière cette mise au point, on assiste à un bouleversement des rôles dans l’Union européenne. D’habitude, lorsque l’unité européenne est battue en brèche et laisse la place à des solutions nationales qui minent la cohésion de la communauté, Jean-Claude Junker est le premier à le déplorer et à travailler à la construction de solutions collectives. Mais cette fois-ci, trop heureux de rendre la monnaie de sa pièce à Nicolas Sarkozy, il change de partition sans donner dans la nuance. Pourquoi ? A cause de la situation budgétaire de la France, qui laisse planer une suspicion sur les raisons profondes de cette proposition. x
Le budget français en toile de fond
L’année 208 devrait se terminer avec un déficit de 49,4 milliards d’euros selon Bercy, au lieu des 41,7 milliards prévus. Et pour 2009, les prévisions du gouvernement portaient sur un creusement du déficit à 52,1 milliards dans l’hypothèse irréaliste d’une croissance économique de 1% ; hypothèse déjà dépassée puisque Christine Lagarde vient d’abaisser ses prévisions à 0,2-0,5% et que Bruxelles ne pronostique qu’une croissance nulle l’an prochain en France. De sorte que le déficit public de 3% du PIB en 2008, atteindrait 3,5% en 2009 et 3,8% en 2010 ! De quoi faire gonfler la dette publique qui devrait représenter les deux tiers du produit intérieur à la fin de l’année, plus que les 60% autorisés par le Pacte de stabilité européen. Et plus la dette est élevée, plus le service de la dette (c’est à dire le montant des intérêts) est lourd : il dépasse maintenant 40 milliards d’euros par an. La France voit ainsi fondre ses capacités d’engager une relance… Sauf à remettre à plat toute la politique économique qui a été celle de Nicolas Sarkozy jusqu’à présent. Ou à s’endetter encore plus, et à alourdir encore le montant des intérêts.
En avançant l’hypothèse d’un plan de relance européen, le gouvernement français espérait-il trouver des marges de manœuvre dont il ne dispose plus au niveau national ? En se défaussant, en quelque sorte, sur l’Europe ? C’est probable. Voilà pourquoi Jean-Claude Junker a vite fait un sort à cette proposition, renvoyant la France à ses contradictions avec le soutien de l’Allemagne qui, après avoir mené de difficiles restructurations économiques, ne tient pas à partager les marges de manoeuvre qu’elle a pu se ménager. Le plan de relance de 50 milliards d’euros que vient de présenter Berlin est à usage strictement interne.
Tacle contre passage en force
On aurait tort de croire que l’Allemagne et le Luxembourg ont toujours partie liée. Berlin n’apprécie guère les stratégies fiscales du Luxembourg qui se traduisent par d’importantes sorties de capitaux allemands vers les banques luxembourgeoises voisines. Mais en l’occurrence, une ligne de défense s’est créé contre les propositions françaises, qu’il s’agisse d’une relance concertée ou d’une présidence française de l’Eurogroupe pour poursuivre l’action à la tête de l’Union, ou d’une participation des chefs d’Etat à cet Eurogroupe à la place des ministres des finances. Chaque fois, Paris se retrouve « taclée » et le message est clair : les décisions se prennent à quinze quand il s’agit de la zone euro, et à vingt sept pour l’Union. Pourtant, la pression mise sur l’Europe par Nicolas Sarkozy a montré son efficacité pour hisser l’Europe aux avant-postes internationaux dans la réaction à la crise. Par ailleurs, en défendant l’idée d’un gouvernement économique, le président français n’est pas si éloigné de Jean-Claude Junker qui préside cet Eurogroupe. Car quelle était au départ la justification de ce groupe qui n’a pas de statut institutionnel dans l’Union européenne ? Coordonner les politiques économiques des pays de la zone euro, précisément. Et le premier ministre du Luxembourg en était un partisan déclaré.
Mais il faut croire que l’actuel président de l’Eurogroupe, déjà douché par l’accusation de paradis fiscal à l’encontre de son pays, craint que l’activisme du président français ne rendent explosives les relations avec la Banque centrale européenne. Nicolas Sarkozy a déjà pris position contre la politique monétaire de la BCE, réclamant des mesures accommodantes plus volontaristes pour soutenir l’activité alors que la BCE, tout à sa mission pour la sauvegarde de la monnaie, estime que les Etats doivent user du levier budgétaire. Dans ce bras de fer entre Paris et Francfort, Jean-Claude Junker choisit le respect des institutions européennes et des traités, en contradiction avec les coups de boutoir du président français pour faire évoluer les règles.
Une Commission absente
Conflit de personnalités auquel serait suspendue la cohésion européenne, ou divergences de politiques économiques ? On remarque, dans ce contexte de crise financière et d’affrontement d’egos, la discrétion ahurissante de la Commission européenne, souvent présentée comme le «gouvernement de l’Union », apparemment pétrifiée et incapable s’adapter à une conjoncture qu’elle n’avait pas anticipée, semblant juste attendre que passe une présidence française qui la déborde et la dépasse.