Le moins que l’on puisse dire c’est que la Société Générale a commis une erreur d’appréciation majeure en annonçant l’attribution d
Le moins que l’on puisse dire c’est que la Société Générale a commis une erreur d’appréciation majeure en annonçant l’attribution de 320.000 stock-options à ses quatre principaux dirigeants, dont le président Daniel Bouton et le directeur général Frédéric Oudéa. Dans un contexte de crise économique mondiale et face au tollé dans le monde politique, les bénéficiaires ont finalement renoncé à ces stock-options. Mais cette décision n’a pas éteint la polémique. Des voix s’élèvent, à droite comme à gauche, pour demander la suppression des stock-options. Réformer ce système est nécessaire mais le supprimer ne résoudrait aucun problème.
De quoi s’agit-il ? Les stock-options permettent à des salariés d’obtenir le droit d’acheter des actions de leur entreprise à une échéance donnée, en général quatre ans, et à un prix fixé à l’avance. Si à la date d’échéance, le cours de bourse est plus haut que le prix d’attribution, le salarié lève ses stock-options et les revend en empochant une plus-value. Ce système a été développé dans les entreprises de haute technologie de la Silicon Valley, aux Etats-Unis, afin d’attirer des talents sans avoir à leur verser des salaires colossaux qu’une entreprise naissance (start-up) n’aurait pas les moyens de se permettre. Il a été généralisé rapidement dans les grandes entreprises cotées américaines et européennes où il s’agissait d’”aligner les intérêts du management et ceux des actionnaires”. En améliorant les performances pour le plus grand profit des actionnaires, les managers salariés pouvaient espérer une récompense.
Ce système a parfaitement fonctionné dans l’environnement du capitalisme financier qu’on connaissait dans les années 1990 et jusqu’en 2007. A l’époque, les actionnaires ne juraient que par la rentabilité capitaux propres et poussaient à de meilleures performances financières, sanctionnant le moindre recul trimestriel. Les stock-options étaient alors attribuées selon des critères purement financiers, en particulier le Total Shareholder Return (TSR), c’est-à-dire le retour total pour l’actionnaire.
Dans la situation que nous connaissons depuis le déclenchement de la crise financière, l’heure est peut-être venue de recourir à d’autres critères d’attribution. Passons sur l’intervention des gouvernements : les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont encadré les rémunérations des dirigeants dont les entreprises reçoivent une aide publique. La France ne l’a pas fait et s’offre désormais un psychodrame national à chaque fois qu’un grand groupe annonce des gratifications pour les patrons (stock-options à la Société Générale, parachute doré pour le P-DG de Valeo).
Plus fondamentalement, il faut maintenir les stock-options mais en réformer profondément le mécanisme. Il faut ainsi que tous les salariés en profitent. Les jeunes patrons de start-up de la Silicon Valley nous expliquait à la fin des années 1990 qu’ils donnaient des stock-options aussi bien aux cadres dirigeants qu’aux ingénieurs et aux secrétaires parce qu’ils considéraient que tous les salariés participaient à la réussite de l’entreprise. “Si une secrétaire répond mal à un client potentiel, on perd un contrat. Si elle est efficace, on gagne un client. Si la personne chargée du nettoyage des locaux ne fait pas bien son travail, un client potentiel trouvera les locaux sales et ne voudra peut-être pas travailler avec nous. Si c’est propre, cela change beaucoup. Tous les détails comptent dans la vie d’une entreprise”, soulignait un jeune fondateur de start-up à Palo-Alto, au coeur de la Californie. En revenant à Paris, les patrons à qui ce point de vue était rapporté répondait que l’idée était généreuse mais qu’une généralisation des stock-options risquait de fragiliser des salariés n’ayant pas l’habitude la bourse. De fait, les stock-options ont été réservées à une partie des salariés. Et les problèmes actuels, en particulier les tensions entre les salariés et leurs patrons, auraient sans doute été moindres si tout le monde y avait eu droit.
S’agissant des critères, des chefs d’entreprise expliquent qu’il faut sortir désormais des seuls éléments financiers. Ces dernières années, les gérants de fonds ont développé de multiples produits de placement prenant en compte des critères sociaux, environnementaux et de gouvernement d’entreprise. La mode est à l’investissement socialement responsable (ISR). Dans ces conditions, comme me le disait cette semaine un patron de PME, il serait possible d’attribuer des stock-options en fonction de tels critères. “Si le P-DG d’un grand groupe affiche des résultats financiers excellents mais que sa politique sociale est mauvaise et s’il ne respecte pas certaines règles environnementales, pourquoi aurait-il droit à des stock-options ? Pour les patrons de PME comme moi, je trouve que ce système n’est pas sain”, disait-il. C’est peu ou prou ce qu’expliquent désormais des membres du gouvernement.
Le système des stock-options doit donc être maintenu et étendu car il peut permettre aux salariés d’être davantage associés à la réussite de l’entreprise et de se constituer un patrimoine. Mais les critères d’attribution doivent être revus en intégrant, surtout pour les dirigeants, des critères sociaux et environnementaux en plus des critères financiers. Seule une telle réforme est susceptible de réconcilier les salariés et les patrons.